290ème dîner au restaurant Pagesmercredi, 20 novembre 2024

De temps en temps sur Instagram, je mets une énigme, appelée Enigma, dont les gagnants seront invités à partager avec moi un repas et des grands vins. La dernière date d’août 2024. Les personnes qui ont répondu sont au nombre de 34 sur les 8.421 qui ont lu l’énoncé. Il s’agissait de créer un programme de vins pour le menu du déjeuner du 15 août.

J’ai choisi les réponses les plus proches de mon propre choix et j’ai désigné cinq vainqueurs. Il a fallu ajuster nos agendas car les gagnants sont de Paris, de Lyon, des Pays-Bas, de Suisse et de New-York.

Par ailleurs, j’avais depuis quelques années offert des places à l’académie des vins anciens à des élèves de grandes écoles. Certains d’entre eux s’étaient inscrits au championnat européen des grandes écoles de dégustation à l’aveugle de vins. Un groupe de trois élèves ou ex-élèves a gagné ce concours et voulaient le célébrer avec moi lors d’un dîner.

L’idée m’est venue de fusionner les deux dîners, ce qui permettrait aux gagnants de l’énigme d’avoir un plus grand nombre de vins à déguster et aux jeunes gagnants du concours européen de participer à un dîner selon le schéma habituel de mes dîners. Ma fille est venue compléter notre table, car par un hasard incroyable, l’un des vainqueurs de l’énigme est le président de la société d’avocats de ma fille. Je ne le savais pas et c’est ma fille qui m’avait appris que son ‘patron’ serait du groupe des gagnants.

Nous sommes dix au restaurant Pages pour un dîner qui sera la 290ème de mes dîners. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et je serai rejoint par l’un des anciens étudiants qui a apporté trois bouteilles pour les trois étudiants : un chablis 1984, un Haut-Bailly 1928 et un Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, annoncé comme étant des années 1910, mais que je pense probablement des années trente, voire, au moment où on l’a bu de 1928 ou une année approchante.

Cet ami a aussi apporté des truffes et du beurre de truffe qui seront utilisés à bon escient par le chef.

Beaucoup de vins ont eu des bouchons qui se brisent, mais aucun parfum n’a montré des signes de faiblesse.

J’avais apporté un magnum de Champagne Deutz 1961, mais la couleur du vin me paraissait trop sombre, avec beaucoup de dépôt en suspension. J’avais ajouté un magnum de Heidsieck Monopole Diamant Bleu 1976 pour le cas où. Nous avons goûté le Deutz avec Pierre Alexandre le directeur et sommelier du restaurant et ce fut une plaisante surprise car la complexité de ce champagne est prometteuse. J’ai donc rangé le Heidsieck qui ferait double emploi.

Les convives sont tous à l’heure et je suis gâté par des cadeaux des gagnants de l’énigme, très généreux. Il se trouve que sur Instagram on peut me voir avec des pulls violets. L’un des gagnants m’a offert un pull violet. Quelle gentille attention :

Pendant l’ouverture des vins j’avais mis au point le menu avec le chef Ken qui sera organisé ainsi : amuse-bouches / wagyu cru / bar cru / homard breton / saint-pierre et purée de pommes de terre / lièvre à la royale / wagyu / dessert au marron et agrumes / financier.

Le Champagne Deutz magnum 1961 est servi et, si le premier verre est clair, plus Pierre-Alexandre sert les convives et plus les verres deviennent noirs. Je ne peux pas laisser cela aussi je fais ouvrir le Champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu magnum 1976 à la si jolie bouteille.

Dans les verres, le sédiment du Deutz tombe au fond, aussi ce que l’on boit est beaucoup plus clair. Le goût de ce champagne est intéressant car il est multiple. Il y a du sec, de l’aqueux, du minéral et de la douceur. Il se comporte plutôt bien. Le Heidsieck est absolument parfait. Il est gourmand, souple, accueillant. Sa couleur est joliment dorée. C’est un champagne de gastronomie.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est d’une cuvée que j’adore. Riche, accompli, il est brillant. Mais le Diamant Bleu qui a vingt ans de plus montre que la maturité est un atout considérable. Le Heidsieck est brillant avec le wagyu cru alors que le Henriot est excité par le bar cru.

Le homard a une cuisson absolument idéale qui m’a impressionné. Les deux blancs sont très différents. Le Chablis grand cru « Blanchot », domaine Raveneau, 1984 est riche, rond, noble, conquérant, d’une richesse extrême, alors que le Chassagne Montrachet Les Ruchottes Ramonet 1992 est subtil, tout en longueur avec un goût délicat qui ne s’arrête jamais. Alors qu’on pourrait aimer les deux car ils ont des facettes très différentes, le chablis ‘écrasera’ le Chassagne dans les votes, certainement parce que l’accord avec le homard est totalement fait pour le chablis.

On va retrouver des différences aussi sensibles avec les deux bordeaux. Le Château Ausone 1953 est un Saint-Emilion très grand, qui est l’archétype de ce que doit être saint-émilion. Au contraire, le Château Haut-Bailly 1928 est un vin noble, gourmand et riche comme le sont les 1928, mais on serait incapable de le situer sur la planète Bordeaux, car on ne ressent pas le Pessac-Léognan. Le saint-pierre est fait pour l’Ausone mais le Haut-Bailly est très gourmand.

Le lièvre à la royale fait selon la recette du sénateur Couteaux est léger (si l’on peut dire). Le Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable 1928 est un vin accompli, rond, d’une richesse extrême. C’est cette richesse qui me pousse à proposer 1928 comme millésime, alors que l’un des étudiants l’a trouvé dans un lot de vins de Marey-Monge plutôt dans les années dix. Mais 1928 ou 1929 sont plausibles.

A côté du bourgogne, le Vega Sicilia Unico 1969 me fait tomber en pâmoison, car il a un fruit rouge si délicat qu’on croirait un vin de moins de vingt ans. Quelle grâce légère ! Le Marey Monge est fait pour le lièvre et le Vega est fait pour le wagyu. Les deux vins sont splendides mais c’est le Marey-Monge qui raflera la mise dans les votes.

Le dessert préparé par Lucas est absolument exceptionnel de finesse et épouse les sauternes à la perfection car le marron est tout en douceur avec des agrumes délicats.

Le Rousset Peyraguey Sauternes 1983 est bouchonné mais l’ami qui l’a apporté avait une autre bouteille qui a montré un sauternes subtil, pas du tout en force, contrairement au Château De Fargues Lur-Saluces 1983 qui est d’une richesse gourmande extrême. C’est un vin solide et noble.

J’avais servi au 289ème dîner le Black Head Rum West Indies Cazenove probable 19ème siècle que j’avais situé alors vers les années trente, mais j’avais oublié qu’un rhum aussi boisé devait avoir passé des décennies en fût, ce qui justifie la nouvelle estimation de date. Le rhum est toujours fort, intense, boisé, avec des notes mentholées. Il est si expressif que je l’ai mis deuxième de mon vote. L’un des ex-étudiants m’a dit qu’à la réflexion il aurait aimé le mettre premier.

C’est le moment des votes. Chacun vote pour ses cinq vins préférés. Tous les vins ont eu un vote sauf le Rousset Peyraguey Sauternes 1983, dont une première bouteille était bouchonnée mais la seconde bue après nos votes. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premier : le chablis 1984 trois fois, le Heidsieck 1976 deux fois comme le Bourgogne année autour de 1928 et le Vega Sicilia 1969, tandis que le Château Ausone 1953 a eu un vote de premier.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable # 1928, 2 – Chablis grand cru Blanchot, domaine Raveneau, 1984, 3 – Champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu magnum 1976, 4 – Vega Sicilia Unico 1969, 5 – Château Ausone 1953, 6 – Château Haut-Bailly 1928.

Mon vote est : 1 – Vega Sicilia Unico 1969, 2 – Black Head Rum West Indies Rum maison Cazenove à Bordeaux # 19ème siècle , 3 – Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable # 1928, 4 – Château Haut-Bailly 1928, 5 – Chablis grand cru « Blanchot », domaine Raveneau, 1984.

Il est intéressant de constater que les trois vins des ex-étudiants sont classés pour la table en 1, 2 et 5 et pour moi en 3, 4 et 5. Leurs apports sont remarquables.

Il convient de féliciter le restaurant pages pour ce repas de très haut niveau. La cuisson du homard était exceptionnelle, le saint-pierre cuit lui aussi avec grande délicatesse, le lièvre gourmand et presque aérien, le wagyu de qualité rare et de cuisson idéale et le dessert magique au point que j’ai demandé à Lucas de boire le Fargues pour qu’il voie à quel point son plat était parfait.

Naoko Teshima, la propriétaire du restaurant, a accompagné notre aventure avec plaisir.

Ce repas ‘Enigma’ a été exceptionnel.