Le 291ème dîner se tient au restaurant Astrance dans le joli salon du premier étage où la table a la forme idéale d’une ellipse. Il y a une semaine Pascal Barbot a bâti avec Christophe Rohat, Lucas le sommelier et moi le menu qui est conçu pour mes vins. Nous nous connaissons depuis si longtemps avec Pascal que la ligne vertébrale du menu est vite tracée.
J’arrive un peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Pour les deux très vieux bordeaux, de 90 et 106 ans, les goulots ne sont pas cylindriques mais ont des boursouflures en haut du goulot. L’extraction des bouchons me demande beaucoup d’efforts. A ma grande surprise cela continue avec les deux bourgognes beaucoup plus jeunes de 48 ans. Le parfum du vin de 1918 est si exceptionnel que je demande à Lucas de mettre un bouchon de verre et de descendre le vin en cave, pour ne pas perdre ce parfum merveilleux.
Tous les parfums sont prometteurs. Le seul qui peut être sujet à question est le parfum du Montrachet.
Un ami fidèle est venu me rejoindre et offre un Champagne Louise Brison Pinot Noir de la Côte des Bar 2014 très amer car ultra brut, qui est peut-être plaisant, mais trop difficile pour mon palais.
Nous sommes dix dont cinq sont des habitués et cinq sont des nouveaux, dont un américain qui vit à Denver, venu hier par avion et qui repart demain matin. Ce dîner est le seul motif de son voyage.
Le menu composé par Pascal Barbot est ainsi libellé : jambon ibérique Pata Negra et feuilleté / brioche toastée / foie gras mi-cuit et mélasse de pomme / carpaccio de coquille Saint-Jacques, truffe noire et huile de noisette / émincé de bar de ligne, riz koshihikari et beurre blanc sauce soja / gros rouget ‘vapeur de laurier’, sauce beurre rouge / râble de lièvre doré, oignons doux des Cévennes / compotée de lièvre façon sénateur Couteaux / stilton au naturel / mangue et zestes d’agrumes / madeleines financiers à la rose.
Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959 est le champagne de bienvenue avec les amuse-bouches. Il n’a pas de bulle mais le pétillant est racé. C’est un champagne cohérent, rond, équilibré de grand plaisir. Les champagnes anciens de ce type sont charmants et goûteux. Le finale est long et superbe.
Le Champagne Salon Le Mesnil 1988 est totalement différent. Il est puissant, fort et conquérant mais en même temps, sa palette gustative est large et entraînante. C’est un Salon de grande maturité, très convaincant. La truffe puissante et de qualité excite bien ce champagne noble.
Le Château Laville Haut Brion 1969 a un parfum incroyable d’une puissance extrême et très séduisant. Le vin est riche, droit, cinglant comme un fouet. Le riz est extraordinaire de légèreté et de douceur et s’accorde bien à ce grand blanc. Ce qui est incroyable c’est que si l’on disait que ce vin est de 2005, on pourrait l’accepter. Sa jeunesse est étonnante.
Le Montrachet Morin Père &Fils 1990 n’a pas la puissance qu’il pourrait avoir. Il est agréable et doux, mais le vin de Graves est beaucoup plus excitant sur le plat de bar délicieux. Le montrachet obtiendra quand même un vote de premier.
Qui imaginerait que deux bordeaux canoniques créeraient avec le rouget un accord aussi extraordinaire ? Le Château Grand La Lagune 1934 est un vin très élégant et de grande personnalité. Très équilibré et goûteux, il est parfait pour le plat. On lui donnerait quarante ans seulement.
Mais à côté de lui il y a un vin miraculeux. Le Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918 a un parfum persistant de fruits rouges. Quelle beauté que ce parfum ! Je suis subjugué par la fraîcheur de ce vin délicat et racé, de grande complexité. Un bonheur. Je suis le seul à l’avoir mis premier, plus impressionné que d’autres par la justesse vibrante d’un vin de 106 ans.
Les deux bourgognes vont accompagner le râble de lièvre et le compoté de lièvre. L’Echézeaux Domaine Dujac 1976 est d’une grande jeunesse et d’une très belle expression épanouie et sereine. Il est le plus adapté au râble.
Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976 est divin avec le compoté de lièvre, plus puissant et plus intense, ce qui convient à ce subtil vin de la Romanée Conti, au nez expressif et salin et au finale aussi salin. Un grand vin de la Romanée Conti qui sera le vainqueur dans les votes.
Les deux bourgognes sont brillants, le Dujac dans la sérénité et la droiture et le vin de la Romanée Conti dans la grâce et le velours, avec l’accent terrien typique des vins du domaine.
Il y a des années que je n’avais pas expliqué comment manger le stilton et boire un sauternes. C’est avec plaisir que j’ai dit à nouveau « mâchez, mâchez, mâchez » pour que la salive qui se forme en bouche permette la douceur de l’accord.
Le Château Climens Barsac 1966 est un vin féminin d’une délicatesse extrême. Il est tout velours.
Le Château de Fargues Sauternes 1985 est beaucoup plus guerrier et solide, d’une grande affirmation. C’est le Climens qui profite le mieux de la douceur de la mangue.
J’ai apporté deux alcools dont j’avais ouvert les bouteilles lors de précédents dîners. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° a gardé sa vivacité de cow boy Texan. Il est un appel à fumer un cigare de la Havane. La Fine de Mouton de la cave de Philippe de Rothschild est plus complexe et plus noble mais moins sensuel que le Bourbon. Le financier à la rose est agréable pour les deux alcools. Peut-être plus avec le Bourbon.
C’est le moment des votes. Nous sommes dix à voter, mais le sommelier Lucas ayant fait un travail remarquable, pour la première fois nous avons ajouté son vote aux dix autres. Neuf des dix vins ont eu au moins deux votes ce qui est appréciable mais ce qui l’est encore plus est que sept vins sur dix ont eu un vote de premier. C’est exceptionnel.
Deux vins ont obtenu trois votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976 et le Château Laville Haut Brion 1969 et cinq autres ont eu un vote de premier, le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959, le Montrachet Morin Père &Fils 1990, le Château Grand La Lagune 1934, le Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918 et le Château Climens Barsac 1966.
Le vote de la table est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976, 2 – Château Laville Haut Brion 1969, 3 – Echézeaux Domaine Dujac 1976, 4 – Champagne Salon Le Mesnil 1988, 5 – Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918, 6 – Château Grand La Lagune 1934.
Mon vote est : 1 – Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918, 2 – Château Laville Haut Brion 1969, 3 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976, 4 – Echézeaux Domaine Dujac 1976, 5 – Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1959.
Pascal Barbot a réussi à créer des accords merveilleux avec les vins dont le plus grand et le plus inattendu est celui du rouget vapeur de laurier avec les deux bordeaux vénérables, suivi – à mon goût – par l’accord du compoté de lièvre avec le Grands Echézeaux.
Lucas a fait un service des vins parfait. Pascal était souvent présent auprès de nous pour commenter les plats. Il a été chaudement applaudi.
Par l’ambiance amicale qui a régné toute la soirée, ce 291ème dîner est un des plus chaleureux de mes dîners.