292ème dîner au restaurant Maison Rostandvendredi, 20 décembre 2024

Le fils d’un ami et ami lui-même m’a rendu d’importants services. Il est amateur de vins. Pour le remercier de tout ce qu’il m’apporte je lui ai proposé de faire un dîner à la façon de mes dîners. Il viendra avec un ami, amateur de vins lui aussi, qui est associé dans sa société.

Nous ne serons que trois mais j’ai voulu que ce dîner soit comme un de mes dîners ‘officiels’. Il sera donc le 292ème de mes dîners.

Le restaurant Maison Rostand a été fermé pendant sept mois pour des travaux importants. Il me tardait de faire un dîner avec le chef Nicolas Beaumann. Il m’a demandé de lui fournir la liste des vins afin qu’il réfléchisse à un menu pour mes vins.

J’arrive un peu avant 16 heures au restaurant et je fais la connaissance de Frédéric, le nouveau directeur qui a travaillé dans un nombre important de restaurants dont Joël Robuchon aussi bien chez Jamin que rue Poincaré. Je salue Perle, son assistante.

La décoration a complètement changé la disposition et la décoration. Il y a beaucoup plus de logique dans l’espace de cuisine. L’impression est favorable.

Jérémie, le sommelier que j’apprécie beaucoup est un des seuls anciens avec un serveur souriant et le chef bien sûr. Il arrive au restaurant alors que j’ai presque fini toutes les ouvertures des vins, qui ne m’ont pas posé de problème. Seul le Dom Pérignon 1966 me montre un bouchon fortement rétréci et qui a noirci, comme celui du Dom Pérignon 1980 que j’ai ouvert récemment. Cette prestigieuse maison de champagne devrait sans doute étudier ce phénomène, car il pourrait limiter la longévité des champagnes.

En discutant avec Jérémie, je lui demande de prévoir un champagne d’ouverture pour préparer le palais avant l’entrée en piste du champagne de 1966 qui est d’un autre monde que celui des jeunes champagnes.

Quand Nicolas Beaumann arrive, nous discutons du menu. Ayant vu en cuisine des cuisiniers travailler des rougets, je demande que l’on fasse un plat simple de rouget pour le Pétrus, car cette association est sacrée pour moi. Pour l’autre vin rouge Nicolas propose un chevreuil, ce qui est opportun. Après les amuse-bouches nous aurons des coquilles Saint-Jacques puis du homard. Le dessert sera à base de pommes et j’ai demandé des financiers pour accompagner le Rhum final.

Tout est sur les rails. Il me reste beaucoup de temps aussi j’observe cette fourmilière ou plutôt cette ruche où une armée de cuisiniers accomplit les préparations avec un soin attentif.

Les deux amis arrivent et Jérémie nous sert un Champagne Jacques Selosse Initial dégorgé en 2022. Il est très ouvert, aux belles complexités et grandes subtilités. C’est un grand champagne et les amuse-bouches sont très pertinents, exposant des saveurs très différentes du salé au sucré.

L’un des amuse-bouches est doté d’une sauce très crémée au riz et d’une épice forte que je n’ai pas mémorisée. La sauce appelle le Champagne Dom Pérignon 1966 dont le premier abord est magique. On sent que dans l’ascenseur des saveurs, ce vin nous fait grimper de mille étages. On entre dans le monde fascinant des champagnes anciens où tout est cohérent, infiniment complexe et charmant. Mes convives sont subjugués par ces complexités que l’on ne trouve pas chez les champagnes jeunes, même s’ils sont grands.

Le menu conçu par le chef Nicolas Beaumann est : coquilles Saint-Jacques de Grandcamp cotisées à la truffe noire, beurre blanc au cresson / homard bleu confit, céleri et jus de la presse / rouget au naturel, artichauts rôtis, jus des arêtes au vin de syrah / chevreuil, le dos maturé, fritté aux ‘5 saveurs’, butternut confit à la sauge, airelles et sauce poivrade / la pomme rubinette caramélisée, crème au jasmin, sorbet au vinaigre de cidre / financiers.

Les coquilles Saint-Jacques sont superbes et forment un bel accord avec le Champagne Dom Pérignon 1966. Mais l’accord est très linéaire du fait du cresson et de la truffe alors que l’accord avec la sauce du riz était beaucoup plus latéral et large. Le champagne est d’un accomplissement parfait. Il est comme un soleil qui rayonne. On est sur une planète de saveurs infinies.

Le homard est absolument délicieux et riche ce qui convient à merveille au Montrachet Robert Gibourg 1992 à la couleur encore très claire, au parfum joyeux et à la longueur enrichissante. Ce n’est pas un Montrachet pesant. Il est fluide et aérien. Il est comme un accomplissement. Il convient de souligner que l’accord du plat et du vin est fusionnel, d’une continuité linéaire parfaite. On ne sait plus séparer ces deux complices, le plat et le vin.

Le Pétrus 1977 est d’une année dite faible. Le parfum du vin est d’une élégance extrême et d’une largeur infinie. En bouche, il ne montre aucune puissance, mais une subtilité infinie. Il est gracieux et charmant. C’est un Prince charmant. Et l’accord avec le rouget est impérial.

Mes amis sont un peu sonnés. Car lisant mes comptes-rendus ils s’imaginent que mes recherches d’accords sont intéressantes. Mais à ce point, ça les subjugue. Du moins, c’est ce que je crois voir.

Le Pétrus dans cet état et à cet âge, si subtil, si élégant est un très grand Pétrus. Qui l’eût dit ? J’avais le souvenir d’une réussite identique.

Les yeux de mes amis s’arrondissent quand ils voient apparaître la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998. Ce qui est intéressant, c’est que le parcours en bouche de ce vin suit une trajectoire assez semblable à celle du Pétrus. C’est un vin très long, très subtil, qui ne joue en aucun cas sur la puissance mais sur la fluidité élégante. Il y ajoute un charme certain.

Le chevreuil est un plat excellent mais lorsque j’en ai parlé ensuite avec Nicolas il nous est apparu qu’une viande plus calme comme du veau eût été un compagnon plus adapté à cette belle Romanée car elle est encore jeune. C’est un vin encore en devenir, qui nous laisse entrevoir combien il serait immense avec trente ans de plus, mais est déjà doté de telles qualités qu’il est adorable et fou de plaisir.

Le Château d’Yquem 2001 est d’une année mythique. La première fois que je l’ai bu, j’ai eu un choc physique, celui que j’ai parfois, face à un vin parfait. Ce 2001 que nous buvons en demi-bouteille est promis à un avenir légendaire. Là, il est tout simplement parfait, riche, gourmand et en même temps salin et frais. Le dessert à la pomme est idéal, alors que le sorbet ne convient pas. Mais qui s’en soucie.

Je suis venu avec le Black Head Rum West Indies Rum maison Cazenove à Bordeaux # 19ème siècle que j’ai déjà servi dans des dîners récents. Il est noir dans le verre et son parfum laisse à penser que son passage en barriques a dû durer de nombreuses décennies. Je l’adore et les financiers sont idéaux pour calmer la puissance de ce rhum riche et imposant.

Si l’on respecte le protocole de mes dîners, il faut voter et je demande que nous votions pour nos quatre préférés.

Le vote combinant nos trois votes est : 1 – Dom Pérignon 1966, 2 – Pétrus 1977, 3 – Romanée Saint-Vivant 1998, 4 – Montrachet 1992.

Alors que nos trois votes sont différents, mon vote est strictement le même que celui du consensus : 1 – Dom Pérignon 1966, 2 – Pétrus 1977, 3 – Romanée Saint-Vivant 1998, 4 – Montrachet 1992.

C’est un plaisir de faire des dîners chez Maison Rostang, car le chef Nicolas Beaumann connaît bien mes désirs, qui ne font pas barrage à son talent. Jérémie est un sommelier tonique et souriant qui prend un grand plaisir à accompagner nos aventures. J’ai versé un verre de chaque vin pour que Jérémie le partage avec certains membres de l’équipe.

Je crois que mon désir de faire plaisir a atteint son but. J’avais choisi des vins qui représentent l’excellence dans chaque région. Mes amis me maudiront bientôt, car tel le serpent parlant à Eve, j’ai inoculé le désir qu’ils remontent d’un cran leurs budgets d’achats.