294ème dîner au restaurant Astrancevendredi, 14 mars 2025

Le 294ème dîner se tient au restaurant Astrance, dans la belle salle privative à la table parfaite, de forme elliptique. Nous sommes douze dont une seule femme, venue avec son époux de Pologne. Un autre participant étranger vient de la Malaisie. Les neuf autres convives sont français dont six sont des camarades de la même promotion d’HEC. Il y a cinq nouveaux ce qui est agréable.

A 16 heures je viens au restaurant pour ouvrir les vins qui ont été déposés il y a deux jours, avec 160 verres de l’Académie des Vins Anciens, prêtés pour ce dîner. Le sommelier Lucas m’aide à ouvrir certaines bouteilles. Tous les parfums se sont révélés encourageants, sauf celui du Cos d’Estournel 1955 qui paraît bouchonné. Certains bouchons se sont désagrégés, mais globalement l’ouverture est facile, ce qui a permis que l’on bavarde avec Lucas et un ami fidèle de mes repas (c’est probablement son quinzième dîner) qui a eu la gentillesse de faire ouvrir un Champagne Ambonnay Marguet Grand Cru 2010, dégorgé en 2016, qui contient 58% de pinot noir et le reste en chardonnay. C’est une belle surprise d’un champagne rond et expressif, agréable pour attendre les participants.

De même qu’il y a le théorème de la tartine de beurre qui tombe toujours sur le côté beurré, il y a aussi le théorème des invitations à horaire précis : il y a toujours un invité qui a du retard. L’ambiance souriante de toute la table a permis de considérer cela comme bénin.

Le menu qui a été réalisé par le chef Pascal Barbot sur les idées que nous avions échangées est : gressins, jabugo et fleur de sel / ormeau en fines lamelles, bouillon court aux algues / médaillon de homard vapeur, sauce homardine, riz koshihikari / asperge blanche et verte, coulis d’amande, huile de curry / agneau de lait de Lozère, jus de cuisson infusé à la truffe noire / pigeon doré sur coffre et rôti d’abat / entrecôte de bœuf Wagyu de Hida, sauce légèrement poivrée / tartelette aux agrumes de saison / fine tarte au chocolat / financier à la rose.

Le Champagne Krug Vintage Magnum 1996 a une jolie couleur très claire, une bulle abondante et se montre « droit dans ses bottes » tant il est conforme à ce qu’on attend d’un Krug d’une grande année.

Paradoxalement, la rigueur du Krug va mettre en valeur le Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/2013. Ce champagne est éblouissant de finesse et de subtilité. Et surtout il développe des complexités extrêmes. J’avais demandé des ormeaux à Pascal Barbot et l’accord ormeaux et Selosse est magique. J’adore ce choc des extrêmes.

Le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1990 est un très grand vin, riche et magnifiquement fait. Mais le Chante Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1952 d’une rare fraîcheur va le surpasser car il est fait pour la lourde sauce du homard, qui paralyse le Bâtard. Le vin de Bourgogne retrouve sa grâce sur le riz exceptionnel. Beaucoup de convives marquent leur étonnement de voir un Hermitage de 72 ans aussi frais et intense. Il est aussi très gourmand.

Souvent je considère qu’associer les Château Chalon avec le Comté est trop conventionnel aussi ai-je proposé à Pascal Barbot qu’on mette le Château Chalon Jean Bourdy 1947 au milieu du repas. Et Pascal a proposé des asperges. L’accord est de forte émotion car le vin du Jura au parfum extrêmement fort trouve des expressions très subtiles. Le vin est raffiné et riche. Un pur bonheur.

Le Château Cheval Blanc Saint-Emilion 1960 côtoie le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1955. Au service du 1955, je redoutais la présence d’un goût de bouchon mais Lucas qui avait senti le vin m’a rassuré et effectivement tout défaut s’est effacé. Les deux bordeaux sont très différents. Le Cheval blanc est tout en finesse et noblesse alors que le Cos d’Estournel est un fonceur, un taureau de combat. Jamais je n’aurais imaginé que le Cheval Blanc deviendrait le gagnant des votes avec une compétition très forte.

Le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 1998 est d’une délicatesse raffinée. Il est tellement bien fait, équilibré, serein. J’ai voulu qu’il fasse son chemin avec le Vega Sicilia Unico 1941 d’une grande pureté et qui est d’une jeunesse étonnante. Les deux cohabitent très bien sur un pigeon excellent et sur le wagyu qui met en valeurs les vins.

La délicate tartelette aux agrumes met en valeur le Château d’Yquem 1962 serein, charmeur comme un Frank Sinatra. Il a un botrytis très peu marqué qui lui donne sa finesse.

J’ai ajouté au programme le Maury La Coume du Roy Domaine de Volontat 1925 car il a cent ans. Riche, ensoleillé, il est très plaisant et va servir à mettre en valeur le Vin de Chypre 1870 dont la complexité est centuple.

C’est la première fois, je crois, que huit vins sont nommés premiers dans un de mes dîners. C’est assez incroyable qu’il y ait autant de diversité dans les préférences. Le Cheval Blanc 1960 est nommé trois fois premier et sera le vainqueur et ce qui est rare, c’est que ce premier ne figure pas dans mes cinq premiers.

Le Chambertin 1998 et le Vega 1941 ont chacun deux votes de premier. Cinq autres vins ont un vote de premier.

Le vote du consensus est : 1 – Château Cheval Blanc Saint-Emilion 1960, 2 – Vega Sicilia Unico 1941, 3 – Château Chalon Jean Bourdy 1947, 4 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/2013, 5 – Château d’Yquem 1962, 6 – Chante Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1952.

Mon vote est : 1 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/2013, 2 – Vega Sicilia Unico 1941, 3 – Château Chalon Jean Bourdy 1947, 4 – Chante Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1952, 5 – Vin de Chypre 1870.

Pascal Barbot a fait une cuisine d’une grande sensibilité et c’est très agréable de voir à quel point il s’est impliqué dans ce repas. L’ambiance a été extrêmement chaleureuse et nous avons parlé en anglais et en français d’une façon très naturelle. C’est un des repas les plus heureux que j’aie eu la chance d’organiser.