Mon fils fête un anniversaire de chiffre rond avec des amis de son âge à son domicile. Il me dit : « n’apporte rien, j’ai tout prévu ». Ce fut vrai. Par une belle soirée de printemps dans son petit jardinet, le Champagne Pierre Montcuit 1995 se boit avec une facilité rare. Né au Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs, il est extrêmement agréable et de belle précision. J’adore ce type de champagnes. Le Champagne Ruinart rosé sans année est moins intéressant et un peu court. Il glisse bien en bouche. Les bulots, blinis aux œufs de saumon et autres cochonnailles se dévorent en accompagnant des discussions animées
Nous passons à table, et le Chevalier-Montrachet Domaine Ramonet 2004 impose le silence par son parfum capiteux et déclenche les bravos par son goût envoutant, profond de riche plénitude. Ma belle-fille a fait un menu très brillant, avec langoustines et coquilles Saint-Jacques crues, une épaule d’agneau confite avec boulgour et aubergines, fromages et crème caramel. Le bordeaux de l’année de mon fils, Lafleur-Pétrus 1969 est nettement plus avenant que le souvenir que j’en avais gardé. Il faudrait beaucoup d’imagination pour croire qu’il vient de cette maigre année. On se prend même à le trouver gouleyant. C’est dire ! Alors que je suis un farouche défenseur de la langue française, il existe des expressions anglaises qui ont une force d’évocation que le français ne donne pas. Le Château Latour 1928 est « jaw dropping ». Littéralement, il fait tomber la mâchoire tant on est ébahi. L’instant où on le découvre est saisissant. Il représente toute la justification de ma démarche vers les vins anciens et je suis heureux que mon fils ait choisi ce vin de sa cave pour son anniversaire. La richesse d’évocation dont toutes les notes sont subtiles, est incroyable. Ce vin pousse au recueillement, à l’intériorisation de saveurs dont on a envie de capter religieusement toutes les nuances, tant il tintinnabule des myriades de douceurs.
Alors, le pauvre Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1996 qui lui succède n’est franchement pas aidé d’apparaître à cet instant sur le fromage. Rien en lui n’accroche l’attention, tant le mirage du vin de neuf fois neuf ans coiffe de béatitude nos cerveaux tétanisés. Le cerveau se réveille sur l’Aleatico vin doux fortifié de l’île d’Elbe, qui évoque les pruneaux confits, les figues et des saveurs doucereusement orientales.
De ce beau dîner affectueux et chaleureux deux vins émergent, un éblouissant Latour 1928 et un grand Chevalier-Montrachet 2004. Une très belle soirée.