La 41ème séance de l’Académie des Vins Anciens se tient une nouvelle fois au restaurant Macéo. Nous serons trente, ce qui est beaucoup moins que la dernière fois, car il y a moins d’étrangers et moins d’étudiants.
Nous serons répartis en trois tables et je crois avoir battu le record de mes apports, avec 34 vins, ce qui est manifestement beaucoup trop mais je souhaite que chaque table ait plus de vins qu’il n’est nécessaire, ce qui permet que l’affectation des vins à chaque table soit respectée.
L’ouverture des vins au restaurant Macéo commence très tôt du fait du nombre de vins, à 14h30. Je suis rapidement accompagné par des habitués de l’académie, venus avec leurs outils, mais aussi avec des vins qui ont pour mission de donner du cœur à l’ouvrage aux ouvreurs. Un ami espagnol apporte un Amontillado fait selon la technique de la solera, démarrée en 1830. Il a avec lui du chorizo et du boudin noir, pour le cas où nous aurions une petite faim. Un autre ami néerlandais a apporté un champagne blanc de blancs. Il y a sans doute d’autres vins apportés mais j’étais concentré sur l’ouverture des vins. Un autre ami a apporté un Comté de 42 mois qui devra accompagner les premiers champagnes à table.
Nous ouvrons les vins, des bouchons se brisent ou résistent et globalement les parfums sont satisfaisants. Les ouvreurs et moi sommes à la table 1 où il devrait y avoir deux champagnes qui ne sont pas ceux de l’apéritif. Les deux ont des parfums très fatigués. Il est fort probable qu’ils ne seront pas buvables. On verra. Il y a tant de vins que ce n’est pas un problème.
Des académiciens arrivent avec beaucoup d’avance aussi assez rapidement nous allons commencer l’apéritif. Avant de parler des vins, voici le programme de la soirée.
Les vins de l’apéritif de bienvenue : 2 bouteilles de Champagne Léon Camuzet à Vertus Blanc de Blancs sans année – 2 bouteilles de Champagne Pommery & Gréno sans année – 3 bouteilles de Champagne Gobillard 1990.
Les vins de la table 1 : Champagne Cattier à Chigny années 1960 Magnum – Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1961 – Chablis Grand Cru Les Preuses René Dauvissat 1978 – Bienvenues Bâtard Montrachet P. Fromont 1953 – Château Etoile du Château de l’Etoile 1975 – Riesling Musbacher Eselhaut Mussbach 1901 – Vin rouge « Bouzy » Pommery & Gréno 1943 – Château Rauzan Gassies Mise Robert Chassaing 1943 – Domaine des Luques Graves 1929 – Château Le Pape Léognan 1929 – Chambertin Oschner & Fils 1929 – Richebourg Jean Gros 1959 – Bodegas Palacio – Rioja Reserva Especial 1935 – Château Coutet Barsac 1953 – Massandra Collection Sotheby’s Madeira 1923.
Les vins de la table 2 : Sancerre Robineau 1979 – Pouilly-Fuissé Louis Latour 1979 – Château Olivier Pessac Léognan 1949 – Anjou Cave Prunier 1928 – Château Brane-Cantenac 1970 – Château Rauzan Gassies Mise Robert Chassaing 1943 – Château Haut Batailley Pauillac 1962 – Château Haut Marbuzet 1962 – Gevrey Chambertin Joseph Bogion 1943 – Châteauneuf-Du-Pape Bouchard Père et Fils 1964 – Champagne Mercier demi-sec années 1960 – Château Laurétan Langoiran le Haut 1943 – Tête de Vouvray Maison Dubêche 1937 – Maury La Coume Du Roy 1925.
Les vins de la table 3 : Champagne Piper Heidsieck (circa 70) – Pouilly-Fuissé Louis Latour 1979 – Sancerre André Robineau 1979 – Château Olivier Pessac Léognan 1949 – Corton Charlemagne Charles Laurent Fils 1988 – Château Mouton Rothschild 1970 – Château Rauzan Gassies Mise Robert Chassaing 1943 – Gevrey Chambertin Joseph Bogion 1943 – Clos Vougeot André Tasteviné 1962 – Chambolle Musigny les charmes Girodit-Henry 1929 – Châteauneuf-Du-Pape Bouchard Père et Fils 1964 – Mas de Daumas Gassac 1991 – Château Laurétan Langoiran le Haut 1943 – Tête de Vouvray Maison Dubêche 1937 – Maury La Coume Du Roy 1925.
C’est assez impressionnant de voir les années qui seront servies : 1901, 1923, 1925, 1925, 1928, 1929, 1929, 1929, 1929, 1935, 1937, 1937, 1943, 1943, 1943, 1943, 1943, 1943, 1943, 1943, 1949, 1949, 1953, 1953, 1959, 1960, 1960, 1961, 1962, 1962, 1962, 1964, 1964, 1970, 1970, 1975, 1978, 1979, 1979, 1979, 1979, 1988, 1990, 1990, 1990, 1991 et 5 sans année. C’est vraiment l’esprit de l’académie que de permettre de boire toutes ces années. Les vins sont faits pour être bus et partagés.
L’apéritif démarre avec le Champagne Léon Camuzet à Vertus Blanc de Blancs sans année. C’était le champagne favori d’un de mes grands-pères car il y avait un lien de cousinage entre les deux familles. J’en ai donc acheté et ce que nous buvons doit être des années 90. J’aime ce blanc de blancs de Vertus car il a forgé mon goût pour les champagnes.
Le Champagne Pommery & Gréno sans année a beaucoup plus d’opulence et on peut penser que ce champagne est des années 70, avec beaucoup de charme.
J’avais acheté trois bouteilles de Champagne Gobillard 1990 en pensant qu’elles conviendraient bien à l’académie et je suis content de voir que leur fraîcheur est très engageante. Nous avons donc eu sur des gougères trois champagnes intéressants.
Le menu préparé par Adrian Williamson et le chef du restaurant est ainsi rédigé : œuf bio mollet, champignons forestiers et persillade / Saint-Jacques rôties, laitue braisée et topinambour, jus paprika / joue de bœuf braisée au vin rouge, mousseline de citrouille et jus au chocolat / trio de fromages affinés chez M. Bordier / fondant au chocolat noir et pâtissière à la cardamome.
Avec mes amis ouvreurs, nous étions persuadés que les deux champagnes allaient être beaucoup trop fatigués, d’autant que le Cattier avait une forte perte de volume et une couleur très foncée. A notre grande surprise, le Champagne Cattier à Chigny années 1960 Magnum est buvable. Les premiers verres versés sont clairs mais ceux qui suivent sont chargés de sédiment. Malgré cela, le champagne est agréable, même si l’on sent qu’il n’a pas une énergie farouche.
Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1961 a lui aussi du sédiment qui apparaît après les premiers verres servis. Il est buvable mais manque vraiment d’énergie. Le Comté 42 mois excellent a réveillé ces deux champagnes. C’est amusant de l’avoir fait.
Le Chablis Grand Cru Les Preuses René Dauvissat 1978 est une bouteille rare, d’une magnifique couleur. Le vin est de grande qualité et réagit remarquablement aux champignons.
Le Bienvenues Bâtard Montrachet P. Fromont 1953 est agréable à boire mais il est dans l’ombre du chablis.
A mon goût, le Château Etoile du Château de l’Etoile 1975, un vin que j’adore, n’a pas l’énergie que j’aurais aimé trouver.
Lorsque j’avais ouvert le Riesling Musbacher Eselhaut Mussbach 1901 j’avais été très surpris par l’opulence de son parfum très pur. Maintenant qu’il est servi, il est brillant, riche, intense et de belle longueur. Jamais on n’imaginerait qu’il ait 123 ans. C’est le généreux cadeau d’un fidèle académicien qui en plus faisait partie des gagnants de l’énigme récente.
Le parfum du Vin rouge « Bouzy » Pommery & Gréno 1943 m’avait étonné à l’ouverture, car je n’attendais pas cette puissance. Je suis ébloui par la richesse et la prestance de ce vin qui m’a plus que surpris. Quel bonheur de boire un tel vin rarement bu.
Le Château Rauzan Gassies Mise Robert Chassaing 1943 est un solide et charmant Margaux. Mais il y a trois 1929 qui vont retenir notre attention.
Le Domaine des Luques Graves 1929 est une très agréable surprise, riche et large comme un 1929 alors que le Château Le Pape Léognan 1929 me plait beaucoup moins.
Le Chambertin Oschner & Fils 1929 dont on ne sait pas grand-chose est un chambertin très plaisant. Je ne sais pas s’il a été un peu hermitagé, mais il est plein de charme.
Le Richebourg Jean Gros 1959 est un grand vin. Il est noble, pur, racé, et donne un très grand plaisir. C’est un vin de grand vigneron.
L’ami Fernando a apporté un Rioja Reserva Especial Bodegas Palacio 1935 et il en attendait beaucoup. Je n’ai pas eu l’étincelle qu’on pouvair souhaiter, même si ce vin riche est bien fait.
Le Château Coutet Barsac 1953 est lumineux comme tous les grands sauternes. Je n’avais pas remarqué que le dessert était au chocolat qui est l’ennemi des sauternes, mais les fromages prévus ainsi que l’un ou l’autre des fromages complémentaires ont mis en valeur ce subtil Coutet.
J’ai acheté des vins de la collection Massandra et j’ai été fasciné par la couleur rose du Massandra Collection Sotheby’s Madeira 1923. Ce vin a 101 ans mais il est éternel. Le parfum est charmant mais tout se passe en bouche. En le buvant on a l’impression que l’on a en bouche un serpent de saveurs qui s’agite. Le goût ne cesse de changer avec des notes savoureuses ou sérieuses et cette java qui se joue en bouche m’enchante. Quel bonheur de grâces serpentines.
L’ambiance était fantastique à toutes les tables et je n’ai eu que des échos positifs de tous. Je me suis amusé à classer les vins de ma table, ce qui n’est pas chose facile.
Mon classement de la table 1 est : 1 – Massandra Collection Sotheby’s Madeira 1923, 2 – Riesling Musbacher Eselhaut Mussbach 1901, 3 – Vin rouge « Bouzy » Pommery & Gréno 1943, 4 – Richebourg Jean Gros 1959, 5 – Chambertin Oschner & Fils 1929, 6 – Chablis Grand Cru Les Preuses René Dauvissat 1978.
Le choix du premier est pour la luxuriante richesse des complexités, le second pour la fraîcheur du riesling si vif, le troisième pour l’étonnement de voir un Bouzy aussi riche et les autres pour leurs qualités.
Le menu a été bien conçu et bien exécuté. Le service des vins et des plats a été parfait. Par la richesse de vins de qualité et l’ambiance agréable, cette 41ème académie est une des plus belles que nous ayons vécue.