Une amie, organisatrice fort enthousiaste de dîners littéraires et soirées théâtrales me demande de présenter mon livre à l’un de ses dîners. La différence fondamentale entre l’auteur d’un livre sur les vins et l’auteur d’un livre sur les épopées d’Alexandre le Grand, c’est qu’on peut plus facilement suggérer au premier de venir avec des échantillons. Quelques vignerons amis m’aident dans cette entreprise. Je m’aide moi-même pour les autres vins. La veille de la manifestation, appel angoissé de mon amie, la date, l’époque, le sujet, que sais-je, on ne se bouscule pas pour venir m’écouter. Le challenge devient intéressant, et en très peu de temps, moins d’une journée, on rassemble une brochette de gens passionnants, qui vont se substituer aux habitués de ces dîners. Des journalistes, des écrivains, un dessinateur célèbre, des assidus de mes dîners se placent autour de deux tables enjouées, prêts à profiter de l’instant. Le champagne Delamotte en magnum est manifestement agréable. C’est un blanc de blancs de belle facture. Pas de question, ça se boit avec plaisir, le message clair rassurant par sa précision.
Le Chablis Grand Cru les Vaucoupins William Fèvre 2001 est un Chablis de grande classe. Il démarre sur une note citronnée, puis rapidement prend du gras. Un Chablis de belle construction qu’un plat incertain de saumons crus ne comprit pas. Le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 2000 est chaud en bouche, rond, déjà structuré. Un grand expert en vins anciens, passionné de l’histoire des techniques et du goût me demande quand il sera bon à boire. Je réponds : « mais, maintenant ! », puisque ce que l’on a en bouche coule de source. Bien sûr il va se civiliser. Mais c’est déjà du vin sérieux, solide, prêt à se comparer à d’autres si on le lui demande.
J’avais prévu ensuite un double magnum de Côtes du Roussillon village Cazes 1989, bouteille que j’avais apportée au salon des grands vins, qui fut ouverte mais ne fut pas consommée. Le débouchage / rebouchage d’il y a plus d’un mois avait vieilli le vin d’un bon dix ans. Et hélas, il avait attrapé un léger goût de bouchon. Mais il exprimait une forme de vin à maturité qui méritait qu’on l’essaie, pour toucher au vécu de ces vins patinés. Les deux rouges s’exprimèrent sur un poisson d’élevage potable.
Le dessert, composite comme souvent, fut accompagné par un vin que j’avais apporté, un Chardonnay de Jérusalem, vin d’Ormoz, vendanges tardives 1993, titrant 13° et légèrement sucré, d’un litchi agréable. Sur des fraises, ô miracle, le vin fut fort plaisant.
Il ne s’agissait évidemment pas d’un dîner gastronomique mais d’un dîner littéraire. L’apport du restaurant était un vin de l’île de Ré baptisé avec audace « Royal » dont le cousinage avec un vin buvable n’est pas forcément évident. Ce qui comptait ce soir, c’est la chaleur de discussions enflammées, sérieuses ou non, qui réunirent des gens de grande passion, et de grand intérêt. Belle initiative de mon amie, transformée en happening du plus bel entrain.