L’académie des vins anciens a tenu sa sixième édition le 12 juin au Cercle suédois. Si le cadre est un des plus ravissants qui soient avec une belle vue qui surplombe le grand bassin du jardin des Tuileries, l’absence de climatisation en cette période est un handicap pour les vins rouges. Et le niveau de la cuisine ne restera pas dans les mémoires. Je visais 32 académiciens pour constituer deux groupes de seize vins. Mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 39 avec 45 vins ce qui m’imposa de constituer trois groupes.
Voici ces trois groupes par ordre de service des vins, sachant que plusieurs furent communs lorsque l’on eut deux bouteilles :
Groupe 1 : Champagne Besserat de Bellefon – Champagne Napoléon NM (1996) – Champagne Mumm cuvée René Lalou magnum 1979 – Champagne Napoléon 1982 – Champagne Grand Blanc Philipponat 1980 – Sylvaner Trimbach 1962 – Meursault maison Bichot 1928 – Château Petit Faurie de Soutard 1961 – Larrivet Haut-Brion rouge 1955 – Château Pontet St Emilion 1959 – Château Phelan Segur, mise negoce, vers 1934 – Château Petit Gravet 1929 – Santenay Clos de Tavanne 1959 – Corton Clos du Roi Prince de Mérode Joseph Drouhin 1949 – Cru Laneré Sauternes 1931 – Château Doisy Daëne 1934 – Vouvray le Haut Lieu moelleux Domaine Huet 1924
Groupe 2 : Champagne Besserat de Bellefon – Champagne Napoléon NM (1996) – Champagne Mumm cuvée René Lalou magnum 1979 – Champagne Napoléon 1982 – Champagne Delamotte 1985 – Meursault blanc Jaboulet-Vercherre 1961 – Château Gazin 1971 – Branaire Ducru 1959 – La Passion Haut-Brion 1971 – Chinon Couly 1958 – Nuits Saint-Georges Les Cailles Remoissenet P&F 1969 – Vosne Romanée Les Suchots Louis B?? 1945 – Côte Rôtie de Vallouit 1976 – Torres Coronas Gran Reserva 1955 – Hermitage rouge « Le Gréal » Sorrel 1990 – Château Filhot 1969 – Château la Dame Blanche 1953 – Maury La Coume du Roy de Volontat 1925
Groupe 3 : Champagne Besserat de Bellefon – Champagne Napoléon NM (1996) – Champagne Mumm cuvée René Lalou magnum 1979 – Champagne Napoléon 1982 – Krug Grande Cuvée vers 1985 – Corton Charlemagne Nicolas 1959 – Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1983 – Château Carbonnieux rouge 1982 – Château Grand Mayne 1987 – Château Pouget Margaux 1970 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1967 – Domaine de Chevalier rouge 1952 – Château Giscours 1967 – Mercurey Caves de la Reine Pédauque 1952 – Cos d’Estournel 1955 – Sauternes-Barsac Doisy-Daëne 1953 – Maury La Coume du Roy de Volontat 1925.
Les trois premiers champagnes furent servis debout au bar du cercle. Etant dans le groupe 1, voici quelques remarques, sachant que je n’ai pas pris de notes, car j’étais accaparé par des conversations et le devoir de faire semblant que tout procédait de mon organisation.
Le Champagne Besserat de Bellefon est le champagne de bienvenue, d’une bonne dizaine d’années, un peu dosé à mon goût, mais de belle générosité. Le Champagne Napoléon 1996 est un champagne de Vertus qui ne peut que me plaire, car le champagne familial depuis mes grands-parents provenait de cette commune. Très pur, précis, il excite gentiment le gosier en cette chaleur.
Le Champagne Mumm cuvée René Lalou 1979 en magnum a un nez renversant. On sait immédiatement que ce sera splendide. La bulle est très vivante, picotant même et le goût est absolument étrange car en milieu de bouche il y a des notes de pierre à fusil, de munition que l’on vient de vider de sa poudre. C’est un champagne envoûtant, d’une maestria rare.
Nous passons à table, avec le champagne Napoléon 1982 qui est non dosé et a été dégorgé il y a trois jours. Il a une belle fraîcheur convaincante. Mais mon goût est plus porté sur la maturité du champagne Grand Blanc Philipponat 1980 qui est absolument séduisant, combinant jeunesse et maturité. Le Krug Grande Cuvée vers 1985 vient troubler mes certitudes, car ce champagne fait avec des vins des années 70 a une noblesse évidente. Mais je garde un petit faible pour le Philipponnat, plus conforme à mes envies de ce soir.
Les surprises commencent pour tous avec le Sylvaner Trimbach 1962 car personne n’attendrait ce vin avec cette vigueur et cette vivacité expressive. C’est un Alsace qui fait honneur à sa région. On m’apporte un verre de Meursault blanc Jaboulet-Vercherre 1961 et là, c’est moi qui suis surpris que ce vin puisse avoir ce talent et une belle définition. Mais le respect s’impose avec le Meursault Fortier-Picard maison Bichot 1928 qui fait voyager dans l’imaginaire pur, tant le rêve côtoie le réel. Il y a à la fois des repères de grands Meursault, et des variations sur le thème de l’âge qui ne me laissent pas indifférent.
Le Château Petit Faurie de Soutard 1961 est un vin fort agréable, qui ne dégage pas une folle émotion mais représente bien la solidité de son année. Le Larrivet Haut-Brion rouge 1955 est d’un niveau bas dans la bouteille, d’une couleur très dense. Le vin fait un peu torréfié, et n’est pas déplaisant, sans plus.
Le Château Pontet St Emilion 1959 est d’une autre stature. Epanoui comme un 1959, il a le charme discret de la bourgeoisie. Le Château Phelan Segur, d’une mise négoce d’avant guerre dans une bouteille soufflée au cul profond doit être des années 30. Compte tenu de sa belle solidité on pourrait penser à 1934. Un vin solide plein de charme.
Le Château Petit Gravet 1929 que j’avais acheté à la famille propriétaire fait partie de ces vins que je chéris particulièrement car ils montrent à mes convives – et c’est l’objet de l’académie – que des vins qui ne sont pas des appellations les plus prestigieuses savent traverser le temps. Une jeune femme américaine à ma table, dont le vin bu le plus ancien est des années 70 reçoit comme un choc cette information nouvelle : un vin de 78 ans qui ne fait pas la une de tous les journaux peut être vivant, vibrant, excitant et passionnant. Le nez est marqué par les fruits rouges, la couleur est d’une jeune beauté et en bouche, ce Saint-émilion est rassurant de joie de vivre.
Le Santenay Clos de Tavanne 1959 est un bourgogne solide et sans histoire. L’émotion la plus absolue vient du Corton Clos du Roi Prince de Mérode Joseph Drouhin 1949 que j’ai apporté. Il a la perfection absolue des bourgognes que l’on aime, sauvages, fous, chantants, intrépides. Un vin à conserver en mémoire comme une chanson entêtante.
Le Cru Laneré Sauternes 1931, aussi de ma cave, d’une propriété qui m’est totalement inconnue, montre une fois de plus qu’un petit sauternes exprime avec l’âge des saveurs d’agrumes délicats et de fruits exotiques comme le font les grands. Ah, bien sûr, quand on a la chance d’avoir ensuite un Château Doisy Daëne 1934 exceptionnel, on mesure qu’un vin plus grand, c’est un vin plus grand. Surtout quand ce sauternes est ici au sommet de son art. Il a l’épanouissement absolu du beau sauternes où citron, pamplemousse ananas et mangues cohabitent avec café, thé et caramel. Sa densité est exceptionnelle.
Le Vouvray le Haut Lieu moelleux Domaine Huet 1924 était fermé d’un muselet comme un vin de champagne. Le niveau du liquide collait au bouchon, car il y avait moins d’un millimètre d’air. A l’ouverture plus de cinq heures auparavant, le bouchon était fort imbibé et le liquide légèrement pétillant. En bouche, l’impression est curieuse, car on ne sait pas bien dans quelle direction va ce vin curieux mais fort sympathique. Inclassable il dérouta plus d’un.
Certains académiciens étant fort fiers de leurs apports, on m’apporta quelques verres. Le Chinon Couly 1958 est fort intéressant. Fragile, timide, au goût incertain, il m’attire beaucoup par son envie de plaire. Le Branaire Ducru 1959 est un vin d’un accomplissement absolu, bouteille saine comme on les aime. Le Corton Charlemagne Nicolas 1959 est fatigué malgré une couleur séduisante. Il n’a pas survécu à la chute subite de son bouchon dans le liquide au moment de l’ouverture. Le Château Pouget Margaux 1970 est fort aimable. On fit fort compliment du Domaine de Chevalier rouge 1952 pris dans ma cave qui est une réussite étonnante de cette année, mais je n’en eus point. Le Cos d’Estournel 1955 est un vin au sommet de son art. De niveau parfait il n’a aucun défaut. Le Maury La Coume du Roy de Volontat 1925 est délicieux et charmeur comme à l’accoutumée.
Si je dois retenir quelques vins de ce que j’ai bu ce sera le Meursault 1928 très pur témoignage des goûts de l’époque, le Petit-Gravet 1929 tout en charme contenu, l’immense Doisy-Daëne 1934 et le spectaculaire Corton 1949. Rien que cela justifie l’académie. Le Mumm René Lalou 1979 en magnum est une merveille. Il y avait vraiment de quoi apprendre le monde des vins anciens. Aux sourires, à l’ambiance enjouée, on mesure que l’académie correspond à une envie d’entrer dans ce monde fascinant.