De retour dans le sud, nous allons dîner à la table d’hôtes d’Yvan Roux avec deux amis. Yvan a verni aujourd’hui les tecks de l’immense terrasse, aussi notre table est-elle à l’intérieur. La baie vitrée entièrement ouverte nous permet de communier avec le paysage magnifique dont nous ne nous lassons pas. Babette ouvre un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Il est très vert et s’impose d’un fort goût de citron vert. Venant de faire juste avant le dîner avec l’amie présente une grande promenade en forêt avec des passages escarpés, je reçois le champagne comme un breuvage désaltérant, et cette jeunesse en verdeur est une belle jouissance. Le moment est aux sensations fortes. Yvan, tenant en main un nouveau jambon Pata Negra comme il le ferait d’un banjo nous apporte un monticule de tranches du jambon délicieux. Un peu plus salé que le précédent, au gras chaleureusement goûteux, ce jambon se marie merveilleusement bien au champagne. La gourmandise me fait abuser de la générosité d’Yvan.
Une petite assiette de friture de girelles et d’un poisson dont je n’ai pas retenu le nom offre des chairs blanches virginales que le champagne accepte bien. Des seiches, têtes et corps appelleraient un vin rouge tant elles sont fortes, mais le Laurent-Perrier s’en tire très bien, au point qu’il me faut vite commander une seconde bouteille.
Yvan nous présente un homard bleu de la Méditerranée aux fortes pinces qui sera servi sur assiette quelques minutes plus tard. Mon ami déclare que c’est le meilleur homard qu’il n’ait jamais mangé. Il faut dire que la chair de la queue du homard ainsi que le corail ont des saveurs époustouflantes, plaçant le homard à un niveau de plaisir rare.
Je fais ouvrir le vin que j’ai apporté, champagne Substance de Jacques Selosse, dégorgé en mars 2008. Je sais que c’est un infanticide de boire ce vin dégorgé si récemment, car ces champagnes élevés selon la méthode des soleras, c’est-à-dire avec ajoutes successives de millésimes dans un tonneau qui ne se vide jamais depuis 1986, mais j’avais trop envie de le goûter. La couleur est d’un fumé presque rose, que l’on ne distingue pas nettement, car la nuit est tombée et l’éclairage d’une maigre bougie ne donne pas la couleur réelle. Le nez de ce champagne est d’une élégance rare. En bouche, il est totalement déroutant. Il y a du fumé, des fruits jaunes et verts comme la pêche ou la reine-claude, et l’impression qui prévaut est celle d’un champagne surpuissant, racé, et d’une grande noblesse. C’est un grand champagne fortement énigmatique.
Un petit saint-pierre a une chair extrêmement raffinée. Les accompagnements des deux plats ont des bases de tomates. Ils sont appréciables et bien élaborés, mais la rupture gustative est peu favorable aux champagnes que nous buvons.
Selon la tradition, je succombe à la glace vanille d’Yvan qu’il agrémente de deux macarons au chocolat qui devraient faire trembler les Ladurée et autres Pierre Hermé. Une fois plus, on mange bien chez Yvan Roux.