Après une journée passée en mer avec des amis, nous nous retrouvons tous à dîner à mon domicile. L’apéritif débute sur un Champagne Charles Heidsick mis en cave en 1997 qui étanche la soif que donne le séjour en mer. De la poutargue, des sablés au parmesan, des dès de fromage de chèvre à la figue, du jambon Pata Negra s’amusent gentiment avec ce beau champagne rond, joyeux, sans souci. Il se boit si bien qu’il faut vite ouvrir un champagne Dom Pérignon 1998 qui impose sa personnalité, de plus en plus marquée par les dix ans qu’il vient de vivre. Le caractère floral, le goût de groseille blanche qui flirte avec un pamplemousse rose et la finesse de la bulle composent en bouche un tableau pastoral. On comprend le charme redoutable de ce champagne.
Nous commençons à table par une terrine de courgettes qu’accompagne fort bien un Mas de Daumas Gassac blanc 2001, au sommet de sa forme, sommet sur lequel il s’installe sans doute pour longtemps. Le fumé, les fruits délicatement confits chantent en bouche.
Mais le plaisir s’accroît quand ma femme nous présente une de ses nouveautés, un maquereau en filets au foie gras dans une robe de chou. Le Daumas Gassac est concerné par chacune des saveurs et leur ajoute une cohérence. L’accord est divinement bon. Le sucré du foie gras, l’amertume du chou et l’intensité du maquereau créent tant de résonnance avec le vin qu’il gagne en coffre, en chair, et délivre un plaisir complet. Son opulence et sa longueur sont à signaler.
Un des amis ayant apporté un fond de bouteille à me faire découvrir à l’aveugle, un chablis 1986 que je n’ai pas reconnu, je décide d’en faire autant pour les rouges. Et quand ce professionnel du vin, qui a bien reconnu la région, me dit du premier vin : « il s’agit là d’une très grande année », je suis particulièrement content. Car il s’agit de Château Ausone 1992, d’une année particulièrement ignorée des amateurs. Le fait qu’Ausone en cette petite année ait réalisé un vin puissant, ayant du corps, de la profondeur, et une longueur que jamais 1992 ne devrait avoir, confirme une fois de plus que l’on extrémise à l’excès les écarts de jugement entre les années. Ce vin est un grand vin, dont on sait qu’il n’a pas tout ce qu’Ausone peut donner, mais qui offre un plaisir sans mélange et sans restriction.
Le vin suivant, bu aussi à l’aveugle, subjugue cet ami professionnel et l’ami propriétaire du bateau sur lequel nous avons fendu l’onde. L’idée qui leur vient est celle du Rhône septentrional. Le vin est un Rimauresq, Côtes de Provence 1983 rouge, d’une plénitude étonnante. Absolument accompli, d’une maturité qui durera encore pendant des décennies, ce vin a toutes les caractéristiques d’un Côtes de Provence, mais sublimée. Je pense qu’à l’aveugle, je n’aurais pas reconnu non plus tant ce vin brillant dépasse les critères normaux des Côtes de Provence. Un grenadin de veau cuit à basse température avec des courges de Nice cuites sur une sauce à l’amande et la noix s’accorde avec les deux rouges brillamment car chaque composante du plat est destinée à mettre en valeur les deux rouges.
Nous essayons un camembert Jort et un camembert d’Isigny. Alors que le Jort, combinant le crémeux et l’amertume ammoniaquée est d’une sensualité rare, l’un d’entre nous, le marin, déclare sa préférence pour celui d’Isigny. Tous les goûts sont dans la nature !
La tarte aux quetsches s’associe au Château Filhot 1990 beaucoup mieux que je ne le pensais. Le sauternes d’un beau jaune commençant à accrocher de filets d’or à sa robe est très élégant et déjà arrondi dans sa jeunesse. On sait que soixante ans de plus le rendront magique, mais tel qu’il est là, à l’état d’adolescent, avec des notes d’un abricot discret, il est chaleureux, plein de joie et ravit le palais. Son adaptabilité à l’acidité de la quetsche est à signaler.
Nous n’avons pas voté mais après coup je voterais pour le Rimauresq 1983, suivi ex aequo par l’Ausone 1992 et le Dom Pérignon 1998. Chaque vin s’est bien comporté malgré l’atmosphère étouffante et orageuse peu propice aux vins. Dans ce dîner dont la cuisine de ma femme fut d’une grande justesse, les accords mets et vins fonctionnèrent tous. Il faut vite recommencer.