dégustation des 7 vins de 2005 de la Romanée Conti et dîner chez Parick Pignolmercredi, 17 décembre 2008

La société Grains Nobles organise chaque année une dégustation des vins de la Romanée Conti en la présence d’Aubert de Villaine, copropriétaire et gérant du prestigieux domaine. Michel Bettane et Bernard Burtschy sont à ses côtés. La dégustation se tient dans une belle cave voûtée du Paris historique et le propriétaire des lieux et de Grains Nobles nous dit que cette cave doit dater des 12ème et 13ème siècles. Aubert dit qu’elle pourrait faire une belle cave bourguignonne même si la forme ronde n’est pas la forme anse de panier de la cave bourguignonne.

Cette année, on goûte les 2005, année prestigieuse s’il en est. Aubert qui est très occupé par beaucoup de projets prenants s’est muni de ses fiches de 2006 et pour lui, 2005 est déjà du passé. N’ayant pas beaucoup de données précises sur le 2005 qu’il commentera verre en main, il en profite pour donner des nouvelles de 2008. Année difficile dans sa gestation au point que l’on se demandait si elle serait millésimée, elle a été sauvée le 13 septembre par l’apparition d’un vent du nord qui a soufflé pendant un mois, a effacé le botrytis et a accéléré le mûrissement. Les baies ont vu leur volume réduit de deux tiers ce qui a entraîné une baisse de rendement mais une belle maturité. La vendange fut de la « haute couture » avec un écrémage important. Le rendement est de 15 à18 hectolitres à l’hectare ce qui est bas. Ce qui a été choisi sera très beau. Les blancs n’ont pas connu les mêmes problèmes.

Aubert de Villaine tient un propos très fort : « on ne doit plus parler de petites et grandes années. Il y a des années différentes, avec de gros écarts de personnalité, mais il n’y a plus de petites années. »

Il ajoute une phrase qui ne peut que me réjouir car elle épouse ce que je ressens : « ce n’est que depuis 1985 que l’on a les moyens de faire des vins du calibre de ce qui se faisait dans le passé ». Et il parle du « génie des anciens ». Ce grand vigneron, à la pointe de la recherche dans tous les domaines de ce qui peut améliorer la qualité du vin, au lieu de se croire au sommet de l’histoire, se place dans la continuité de l’expérience des anciens qui ne possédaient pas la science actuelle. Cette sagesse me touche beaucoup.

Aubert évoque l’année 2005 que nous allons boire et dit que les raisins avaient un état sanitaire parfait. Sur les tables de tri les raisins étaient magnifiques avec une maturité très homogène, ce qui a entraîné de forts rendements. Il dit que le tri est un élément essentiel mais n’est pas la clef unique. Une autre clé, c’est le rendement raisonné. Il répétera de nombreuses fois que ce qu’il cherche, c’est d’arriver à une « finesse de maturité ». Il indique que la biodynamie aide maintenant à cette finesse de maturité et Michel remarque que le réchauffement climatique est, pour le moment, favorable au vin de Bourgogne.

Les 2005 ont été mis en bouteilles en 2007, en période de lune descendante.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servi est d’un rouge assez clair, légèrement trouble. Le nez est extrêmement riche et charnu, très expressif de poivre, cassis et framboise. En bouche on note la fraîcheur, le caractère vert, astringent et une touche de framboise.

Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 a un rouge pur, aussi légèrement clair. Le nez est un peu plus strict mais très profond et l’on sent du poivre. En bouche, il est plus rond, plus charmeur, plus complet. Il y a de l’astringence, une belle longueur et une belle trace. L’Echézeaux est plus frais quand le Grands-Echézeaux est plus long. Le Grands-Echézeaux est plus tendu, avec une forte densité des tannins. D’une belle pureté, on sent un grand potentiel de garde. Michel Bettane s’extasie et il reviendra pour plusieurs vins sur la qualité des bois neufs. Le final du Grands-Echézeaux est fait de beaux fruits. On peut aimer ces deux vins sans forcément les hiérarchiser, même si le second est plus noble.

Le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un rouge de même nature que celui du précédent. Le nez est discret et de poivre. En bouche, c’est le cassis et la framboise qui s’imposent. Je trouve ce vin d’une grande structure et d’une forte trace en bouche. Je suis assez sensible à sa perfection.

Les vignes de ce vin sont plus vieilles de dix ans que celles du Grands Echézeaux, cinquante contre quarante en moyenne. Il est merveilleux à boire maintenant, pur, frais, joyeux, fruité, au beau final frais. Ce beau vin est d’une élégance rare.

Il forme un grand contraste avec le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2005 qui est d’un rouge plus sanguin, d’un nez plus arrondi et plus cohérent mais qui en bouche fait strict, militaire. Il y a une force énorme dans ce vin qui est beaucoup moins prêt à boire que le Romanée Saint-Vivant. Michel parle de classicisme dans la densité. Ce vin solide plus minéral doit attendre. Il sera grand.

La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un très beau rouge sombre. Le nez est très fin, complexe. Il y a du poivre, mais c’est un parfum quasi indéfinissable. L’attaque en bouche est spectaculaire. Le final est d’une race extrême. Ce vin est un vrai raffinement. Il provient de très vieilles vignes. Là aussi, c’est un vin qui devra attendre avant d’être bu. Aubert signale qu’il est dans une période fermée et qu’il s’ouvrira bientôt. Il dit qu’il aime boire les vins jeunes.

La Tâche a de l’astringence, du poivre, un côté minéral. Michel recommence à s’extasier sur la qualité du boisé. Son final est assez impressionnant mais je dois dire que je préfère aujourd’hui le Romanée Saint-Vivant qui est infiniment plus charmeur que ces deux vins fermés et prometteurs.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servie est un privilège extrême. Un peu plus de 5.500 bouteilles ont été faites. Ce vin est le plus cher de la planète. On ne peut pas ne pas ressentir la rareté de cet instant. La couleur est celle de La Tâche. Le nez est discret. L’attaque est délicieuse de fruits roses. Aubert nous dit que le secret de la Romanée-Conti, en général, c’est son côté légèrement vert. Il a un goût de pétale de rose, qui passe par la phase poivron vert.

En goûtant, je constate effectivement que le final est vert. Le vin claque. Il se caractérise par la finesse et la fraîcheur. Il est élégant et a aussi du corps. Le nez devient parfumé et très riche avec des accents de feuille de cassis. Il est très envoûtant. On sent que c’est un vin spécial. Il y a du rouge et du vert, du fruit et de la feuille. La verdeur signalée par Aubert est là. La fraîcheur impressionne.

La dernière gorgée est très intense, car je me demande si ce vin que j’ai dans ma cave, je le goûterai à nouveau de mon vivant.

Une surprise nous était réservée car le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2005 annoncé n’était pas inscrit sur nos feuilles de dégustation. Or il arrive dans sa splendeur. Aubert nous dit qu’il y a deux types de Montrachet. Ceux des années à botrytis, opulents mais de durée de vie assez faible, et ceux qui ont été épargnés par le botrytis, moins riches et plus minéraux, qui sont des vins de longue garde. Le 2005 est de la deuxième catégorie. Le nez est magique, incroyablement fort, minéral et riche. En bouche, il est minéral, tendu, pur, noble. Il a un fort picotement de poivre. Aubert dit qu’il a encore des ferments. Il rappelle qu’à la vendange, on cherche à recueillir les grains à maturité extrême. Michel s’extasie de son élégante fraîcheur sans une once de lourdeur.

Aubert signale qu’à l’aveugle total, c’est-à-dire sans voir le verre, presque personne ne sait reconnaître qu’il s’agit d’un vin blanc. Michel dit qu’aucun autre Montrachet n’arrive au niveau de celui-ci. Sa fraîcheur est invraisemblable et j’avoue que je suis totalement conquis. On est pour moi au septième ciel.

Il est assez difficile de procéder à un classement à ce stade de la vie des vins, mais je trouve que le Montrachet est à mon goût largement au dessus des rouges. Ensuite, je pense que moins les vins sont gradés et meilleurs ils sont à ce stade de leur vie. Aussi, sans préjuger de leur qualité intrinsèque ni de ce qu’ils seront quand on pourra les boire, mon classement est : Montrachet / Romanée Saint-Vivant / Romanée Conti / La Tâche / Grands Echézeaux / Echézeaux / Richebourg. Ce classement ne préjuge en rien de ce qu’il sera plus tard. J’ai eu plus de sympathie pour les vins les moins gradés, car plus ils sont grands, moins ils sont prêts à boire. Le nez le plus beau était celui du premier car il y avait l’effet de surprise d’entrer dans ce monde divin des vins du Domaine de la Romanée Conti.

Grains Nobles nous a fait bénéficier d’une occasion unique de boire ces vins côte-à-côte, car quand on boit au domaine les vins en fût, on passe d’un fût à l’autre, sans jamais avoir les sept vins ensemble. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un ami fidèle qui assiste à la réunion me dit : « allons dîner ensemble ». J’ai un programme chargé aussi, alors que je ne sais jamais dire non, je décline. Puis je me souviens que je devais livrer une bouteille au restaurant de Patrick Pignol pour un futur déjeuner où je vais ouvrir Lafite 1900, déjà livré. J’appelle le restaurant pour porter la bouteille et je hasarde : « auriez-vous quelque chose à grignoter ? ». On me répond oui, aussi immédiatement j’appelle mon ami déjà sur la route en lui disant : « veux-tu m’y rejoindre ? ». Il acquiesce.

Arrivé avant lui je raconte à Nicolas, le fidèle sommelier, ce que nous venons de boire. Le fait d’avoir fini sur le Montrachet à la trace indélébile impose un vin fort. Il me propose un Condrieu. Je n’ai pas envie et je jette mon dévolu sur un Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. Nicolas me dit que c’est un peu jeune, ce qui sera l’avis de mon ami. Mais ayant bu sept vins de 2005, j’estime qu’il vaut mieux rester sur une jeunesse typée. Pour gagner du temps, et comme il est tard, je commande le menu pour nous deux : cuisses de grenouilles façon meunière, échalotes grises, cresson de fontaine, dentelles de sésame et la côte de veau, saveur première et la cueillette du moment.

Il est certain qu’avec le goût en bouche du Montrachet, ça n’aide pas le Corton Charlemagne. Mais le palais s’habitue vite à un vin très riche, fruité, varié, salin et minéral. Je vois en lui une myriade d’évocations de fruits jaunes, et un final très pur. Sa jeunesse ne me déplait pas après ce que nous avons vécu. Les deux plats trop copieux à cette heure tardive sont parfaitement adaptés. C’est un grand Corton Charlemagne, mais il n’aurait pas fallu le boire après la perfection insolente du Montrachet 2005 de la Romanée Conti.

Grains Nobles est la seule structure française où Aubert de Villaine accepte de présenter ses vins. Nous avons vécu un moment d’une grande rareté.