L’hôtel où je réside a le délicieux avantage de rassembler une bonne partie de tout ce que je déteste. Il y a toujours l’employé dévoué qui, au moment où vous avez du miel qui coule dans la manche de votre pyjama, vient vous demander si vous n’avez pas des chaussettes à faire laver. Il y a toujours un autre employé qui, au moment où vous trébuchez en enfilant une jambe de votre pantalon vous demande s’il peut venir remplir le minibar. Il y a la gentille femme de chambre qui fait votre chambre mais oublie de remplacer les serviettes. Il y a le concierge zélé qui vous informe au téléphone que le taxi que vous avez demandé est là mais quand vous arrivez dans le hall vous déclare qu’il n’est plus là car il ne pouvait pas attendre. Et il y a aussi votre fidèle pomme de douche qui distille le chaud et le froid pour vous surprendre. Ma matinée s’est donc passée à maudire le génie humain qui exclue l’excellence.
Un intermède sympathique se passe dans le hall d’entrée de l’hôtel. J’attends que ma chambre soit nettoyée et l’on m’apporte un message disant qu’une personne dont le nom ne me dit rien veut me saluer. Il s’agit d’un autrichien qui vit à New York et qui va participer aux deux dîners à venir. Il se présente et nous parlons de vins. Je sens son enthousiasme pour l’expérience de ce soir. Cela me motive. Je prends ensuite un frugal sandwich en chambre pour déjeuner, entrecoupé d’initiatives de service purement agaçantes. Un taxi me conduit à quatorze heures à la maison Boulud.
Je vais ouvrir mes bouteilles à la cave, car il ne me semble pas opportun de les remonter en salle pour ensuite les redescendre. Mais l’odeur de frites et d’oignons frits qui envahit le voisinage me fait plutôt peur. Je montre à Koen comment j’officie et l’ouverture ne me pose aucun problème majeur. Les odeurs de La Tâche 1961 et du Cros Parantoux Henri Jayer 1989 sont assez fermées, alors que celles du Corton Charlemagne Jean François Coche Dury 1996 sont comme le klaxon d’un routier international. C’est une explosion de parfums. Mes deux Chypre 1845 sont l’expression absolue de mon graal. Je suis assez satisfait. Avec Koen le sommelier je remonte de la cave les vins rouges dans la salle que nous utiliserons. Les autres vins sont mis à rafraîchir. Croisant Daniel Boulud, je lui suggère qu’un peu de poivre noir imprègne les madeleines car les vins de Chypre ont une forte odeur de cette épice. Daniel intègrera brillamment ce souhait.
Je corrige les fautes d’orthographe ou de présentation des menus imprimés par le restaurant et c’est l’heure d’une petite sieste à mon hôtel.