Mon gendre invite des amis avec leurs enfants. Le champ de bataille crépite des rires, des joies et des pleurs d’une ribambelle d’enfants montés sur pile. En fin de journée le vent se calme, et le couteau aiguisé comme une lame de rasoir débite des tranches de jambon Serrano. Pour chacun, la première gorgée du Champagne Laurent Perrier Grand-Siècle en magnum non millésimé fait claquer la langue, avec ce commentaire : « ah, c’est bon ». Car ce champagne de soif capture nos envies. Le couteau tranche et tranche, mon poignet se plie et se plie pour remplir les verres.
Ma femme crie : « à table » et d’immenses plats de cannellonis nous attendent. L’un est nature, l’autre au comté et le troisième au parmesan. C’est le comté qui gagne sur un Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005. Riche, chaud car la température ambiante est forte, ce vin puissant et lourd est porteur de grandes promesses. Les cannellonis sont des accompagnateurs parfaits du vin rouge.
La transition avec le Chateauneuf-du-Pape Beaucastel 1994 est saisissante. On grimpe sur l’échelle des saveurs, des complexités et du charme. 1994 est une année qui correspond mieux aux chaleurs estivales, car l’alcool n’est pas étouffant. Ce vin est très subtil, complexe et raffiné. Comme malgré tout on le boit plus chaud qu’on ne le devrait, on trouve des similitudes avec les Bandol et Côtes de Provence, car l’alcool, même discret, monte plus aisément sur le devant de la scène.
Ma fille, gourmande comme moi, a acheté des cigarettes russes Delacre. Elle propose d’en ouvrir. Je crie : « ah, non ! », car je sais que je succomberais. Le paquet est ouvert. Au mépris de toute éducation je m’empare d’une Delacre et, l’utilisant comme une paille, je me mets à aspirer le jus de pamplemousses roses de ma coupelle, avec des bruits d’une absence totale de raffinement. Mais le plaisir est là, diabolique, primitif, sauvage et sensuel.
Un été sans cigarette russe est presque impossible à imaginer.