Nous remontons de cave. Eric Rousseau sent le vin qui m’avait donné un doute et il n’y a plus la moindre trace de bouchon. J’indique à Eric le vin que j’ai apporté, un Château Rayas Châteauneuf du Pape 1992. La comparaison qui paraît la plus pertinente serait avec un Clos de Bèze de la même année. Eric pense qu’il en a un. Il n’en trouve pas et prend un Clos Saint-Jacques 1992.
Nous allons déjeuner au restaurant Chez Guy à Gevrey-Chambertin. J’avais déjà déjeuné dans ce restaurant sympathique où l’on peut apporter son boire. Le menu que nous prenons est simple : terrine persillée et joue de bœuf cuite douze heures. Ce choix s’avère pertinent. Le Château Rayas Châteauneuf du Pape 1992 a un niveau dans le haut du goulot. Son nez est superbe et son goût est d’un équilibre saisissant. Le Clos Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 1992 est à peine sorti de cave aussi est-il froid et manque cruellement d’épanouissement. Son odeur est timide et son goût est rectiligne. Il a acidité et amertume avec un final iodé. Au début de la dégustation la similitude entre les deux vins est remarquable et progressivement, plus les vins se développent et plus les différences apparaissent. Le Rayas qu’on aurait rangé à l’aveugle en Bourgogne devient de plus en plus rhodanien et le Clos Saint-Jacques affirme de plus en plus sa typicité bourguignonne. Il est même étonnamment bourguignon, avec cette amertume que j’aime tant. Mais il s’affiche beaucoup plus vieux que son millésime. Je lui donnerais volontiers 20 ans de plus alors qu’Eric, qui connaît mieux ses vins penche pour 1985. Le vin s’étoffe tout en gardant son amertume.
Le Rayas est taillé comme un TGV. Il trace sa route sans changer d’un iota. Il est éblouissant de perfection car il a tout pour lui. Lorsque je dis que ce vin est tout simplement exceptionnel, Eric abonde en disant que c’est le plus grand Rayas qu’il ait jamais bu, m’annonçant pour mon bonheur d’avoir bien choisi que les vins d’Emmanuel Reynaud sont des vins qu’il adore.
Le plus enrichissant de ce déjeuner c’est d’avoir mis côte à côte ces deux vins et Eric regrette que je ne l’aie pas prévenu de ce que j’apportais, car il aurait préparé son vin arrivé sur table beaucoup trop froid et insuffisamment aéré. Il faudra donc créer une nouvelle occasion, avec le Clos de Bèze cette fois.
Le Clos Saint-Jacques s’est montré plus vieux que ce qu’il aurait dû être avec une amertume prononcée et un fruit un peu bridé mais avec un beau final bourguignon, complexe et sans concession. Le Rayas a fait un étalage insolent d’un équilibre absolu, d’une homogénéité qui n’a pas dévié d’un pouce de tout le repas, et d’un accomplissement quasi irréel.
Ce déjeuner où j’ai apporté un vin qui a plu à Eric et où j’ai pu converser avec un vigneron de talent, qui fait des vins que j’adore, m’a particulièrement ravi.
Chateau Rayas 1992
les deux bouchons. Celui du Rayas est très impersonnel
les plats sont simples mais bons