Deux jours plus tard, je me présente à nouveau au restaurant de l’hôtel des Gorges de Pennafort pour y déjeuner avec un couple d’amis, fidèles de mes dîners. Faire deux expériences dans un temps si court permet d’affiner la vision sur la cuisine et sur l’atmosphère générale du lieu.
Mon ami a envie de prendre le grand menu dégustation et il est obligé de faire des trésors de persuasion pour que sa femme le rejoigne dans cette voie. Je suivrai le mouvement.
Le menu est : carpaccio de langoustine à la mangue / huître pochée, sabayon, œufs de saumon, ciboulette, caviar / salade de homard à l’huile d’olive de monsieur Berenguier / raviolis de foie gras et parmesan / saint-pierre rôti au persil / turbot braisé au champagne et caviar / langoustines poêlées aux girolles / filet de bar poêlé aux artichauts / granité citron et sorbet aux airelles / plat principal (pour mes amis ris de veau braisé et pousses d’épinards – pour moi : pigeonneau rôti aux asperges et petit pois / plateau de fromage / ananas poché et pamplemousse rafraîchis au basilic / millefeuille à la vanille et sa glace minute / dôme chocolat au lait, noisette / mignardises.
Alors que ce menu est pantagruélique, nous avons eu droit à des ajoutes qui montrent la volonté du chef Philippe da Silva d’offrir une générosité sans égale. Certains plats m’ont évoqué cette célèbre phrase des Tontons Flingueurs : « c’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases». J’ai envie de transposer cette phrase « culte » en : « c’est curieux chez les cuisiniers ce besoin de marier des produits qui ne vont pas ensemble ». Ainsi la terrine de foie gras aux figues est un plat où la figue étouffe le foie gras, ne lui permettant pas de s’exprimer. L’exemple le plus flagrant est celui du carpaccio de langoustine à la mangue. Les fines tranches crues de langoustines sont recouvertes d’une épaisse crème de mangue qui masque complètement le goût de la langoustine.
Mais le chef est capable d’offrir aussi une cuisine sobre de grande qualité. Le plat que j’ai préféré est celui du pigeonneau, remarquablement réalisé. Habitué par mon épouse à des cuissons de poissons à la seconde près, j’ai trouvé les poissons un gramme trop cuits mais excellents. Globalement, si la cuisine est excessivement généreuse, au point que nous avons dû refuser le foie gras poêlé et le plateau de fromages, elle est de grande qualité mais devrait se simplifier, pour enlever les ingrédients et ajoutes qui n’apportent rien à l’équilibre du plat. Cette remarque vaut encore plus lorsque l’on choisit des grands vins.
Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 est une merveille de champagne. Sa couleur est d’un blé blond d’été, la bulle est active et le goût s’impose. Le champagne prend possession du palais, avec un message puissant et typé. On sent le miel et le beurre, mais c’est surtout l’équilibre persuasif qui emporte notre enthousiasme. C’est un champagne qui joue dans la cour des grands et ses 27 ans lui vont à merveille.
Je suis un inconditionnel de « La Cabotte » aussi ai-je choisi un Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2003. Ce Chevalier a en fait le niveau d’un Montrachet. Lorsqu’Odile la sommelière me fait goûter, je trouve le vin étonnamment vert, comme un vin d’un an mais dès qu’il s’aère, tout s’assemble. Opulent, racé, riche, il est gouleyant et gourmand. Il emplit la bouche, il est noble et son équilibre me plait. C’est un grand blanc de Bourgogne sans une once de lourdeur. Sa complexité aromatique est belle évoquant les beaux fruits blonds d’été. Il est à l’aise sur tous les plats de poissons que nous avons goûtés.
Le Chambertin Grand Cru Jean & Jean-Louis Trapet 2010 a la grâce des chambertins et l’exquise délicatesse du domaine Trapet. Si le Chevalier-Montrachet est dans l’affirmation, le chambertin est dans la subtilité. C’est l’amour courtois. Avec la délicieuse chair du pigeonneau, je me régale. Le vin est jeune bien sûr, mais on ne le sent pas tant il a déjà l’assurance des grandes années. C’est un grand moment. Dans vingt ans, ce vin sera sublime.
Les Gorges de Pennafort est manifestement un grand restaurant. Avec un peu moins de générosité – c’est assez paradoxal de le suggérer – un peu moins de complication et d’ajoutes inutiles, ce restaurant serait quasiment idéal. Lorsqu’on déjeune en extérieur par des températures qui dépassent 30°, la gestion des températures des vins est cruciale. La sommelière s’en est bien acquittée. Je reviendrai, mais pas dans deux jours !