Un ami vigneron de Vosne Romanée passe ses vacances avec sa femme et ses enfants à peu de distance de notre lieu de villégiature. Assidu de la lecture de ces bulletins, sa curiosité est excitée de découvrir la table d’hôtes d’Yvan Roux. Si l’accès est difficile, la récompense est au bout du chemin, avec une vue féerique sur la mer argentée.
Yvan est encore torse nu, préparant les futurs plats, car nous sommes en avance sur l’horaire que j’avais annoncé. Nous mettons au point l’ordre des plats en fonction des vins que j’ai apportés. L’apéritif se prend dans la magnifique cuisine que nous prenons comme comptoir, ce qui nous permet de bavarder avec Yvan et Babette pendant qu’ils organisent les entrées. Yvan tranche le Pata Negra et j’ouvre un Champagne Salon magnum 1995. Je me sers un verre et mon visage se barre d’une grimace : ce que je bois n’est pas ce que j’attends de Salon 1995. L’odeur n’est que tristesse, le vin est bouchonné. Et effectivement en bouche, on ressent un léger goût de bouchon. Je comptais sur ce vin pour honorer mon ami et son épouse, aussi suis-je contrarié. C’est l’esprit bougon que je sers ma fille, mon gendre et mes amis. Tout en croquant les fines tranches de Pata Negra « Cinco Jotas », le champagne devient légèrement plus amène, mais il reste un peu d’amertume. Ce n’est qu’au moment où nous nous asseyons à table que le Salon retrouve 100% de ses facultés. Pour en être bien sûr, je le goûte à de multiples reprises, et c’est clair qu’il est revenu à son vrai niveau, joyeux, goulu, fait de fruits jaunes et de citron. Il retrouve la belle longueur de Salon 1995. Une fois de plus, la patience est récompensée.
Le carpaccio de thon rouge au citron vert est délicieux et s’accorde bien avec le Salon. Yvan nous explique que la pêche au thon rouge est autorisée sous condition de taille du poisson et lorsque le poisson est pêché, il est bagué, et une partie de la bague est adressée à un organisme de contrôle de la pêche. Nous ne sommes donc pas des complices d’une prédation.
Des tempuras de lotte et de feuilles de sauge baignent dans un pesto suffisamment léger pour que le champagne trouve le diapason qui vibre avec la lotte.
Pour les seiches rôties au Pata Negra et piment d’Espelette, déglacées au champagne Salon, nous pouvons essayer aussi bien le champagne que le Châteauneuf-du-Pape Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998. Le vin est riche, puissant, lourd, fort en alcool, mais réussit à montrer une belle élégance. Ce vin plait à ma fille qui raffole de ces vins riches. Cet Hommage d’une grande année est un vin de grand plaisir.
Le filet de rouget poêlé et safrané à l’ail confit est préparé avec les foies du poisson, et cette chair est mise en valeur de façon exemplaire. Nous nous régalons. C’est le moment d’ouvrir le Moulin des Costes Bandol 1983. Je croyais que la comparaison serait possible avec le Châteauneuf, mais le combat n’aura pas lieu. Le Bandol est légèrement torréfié, un peu cuit, sur une pente de maturité mal maîtrisée. Le vin est bon, bien sûr, mais il ne peut pas s’inscrire dans une comparaison valorisante. Le thon cru, cuit au sésame sur un coulis de poivrons aux noix a une chair fondante qui conclut bien ce festival de poissons.
Le moelleux au chocolat et son caramel au beurre salé accompagne un Maury Mas Amiel 15 ans d’âge qui doit être de 1980 environ. L’accord est merveilleux avec ce vin au goût de pruneau, de griottes, qui sait garder une belle fraîcheur sur sa douceur.
Pendant ce temps, la mer joue de son charme argenté. L’originalité du lieu, l’atmosphère amicale créée par nos hôtes, les mets délicieux et des vins aux performances variables ont créé un grand moment d’amitié.