Tous les ans, au mois de septembre, Bipin Desai, le célèbre collectionneur américain, emmène avec lui en France un groupe d’amateurs américains. C’est l’occasion, pendant une dizaine de jours, de visiter des grands restaurants de France, d’Espagne et de Belgique, avec des thèmes précis de vins pour certains dîners. Ce soir, le groupe se retrouve au premier étage du restaurant Taillevent pour une dégustation de vins de la maison Faiveley, célèbre vigneron bourguignon. Erwan Faiveley, le jeune dirigeant de cette maison liée à un grand groupe industriel possédé par sa famille et Bernard Hervet, son bras droit, l’une des personnes qui connaît le mieux le vin de Bourgogne, nous font goûter dix-sept vins de leur maison.
Nous sommes 24. Il y a deux bouteilles pour chaque vin. On imagine les problèmes d’intendance que représente le service de plus de quatre cents verres. La maison Taillevent en a l’habitude, Jean-Claude dirigeant le ballet des serveurs avec une bonne humeur légendaire.
Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Taillevent non millésimé, que je trouve beaucoup plus agréable que lors du dîner que j’avais organisé ici il y a moins de cinq jours. Il se boit bien, et la coupe est souvent resservie, les gougères servant de multiplicateur d’intérêt et d’envie.
Le menu composé par Alain Solivérès est : épeautre du pays de Sault en risotto au homard / mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux cèpes de châtaignier / tourte de canard tradition Taillevent / fromages / cannelloni de pomme caramélisée parfumée au cidre.
Les vins sont servis par groupes de quatre ou cinq et longtemps avant le plat. Le plaisir n’en est que plus grand lorsqu’on peut enfin confronter ces grands vins avec les délicieux plats de la cuisine chaleureuse du chef.
Le Meursault Charmes Faiveley 2007 est un vin ciselé, d’une précision extrême. Le final est profond. Le vin est lourd, citronné et va bien avec l’amuse-bouche qui fleure bon la carcasse de homard. On sent le fruit confit dans ce vin élégant. C’est un grand vin, frais, au beau final. Cette dégustation démarre bien. J’aime l’équilibre entre la fraîcheur, le citronné, le fruité et la profondeur.
Le Bâtard Montrachet Faiveley 2008 a un nez doucereux qui évoque le beurre. Plus Bâtard que ce vin là me semble impossible. Il en a la typicité absolue. Il y a beaucoup de poivre et une belle trace alcoolique.
Le Corton Charlemagne Faiveley 2008 a un nez élégant et discret. Passant après le Bâtard, il est vraiment discret, mais l’entrée va le révéler. Son citronné est joli mais je le trouve un peu fermé, ce qui sera contredit plus tard, car il gagne en élégance. Il est jeune et de grande fraîcheur.
Le Corton Charlemagne Faiveley 2006 a un nez très riche, expressif et puissant. On voit que le bambin devient adolescent, avec seulement deux ans de plus que le précédent. Bernard Hervet parle d’évocations de lard fumé. Il précise qu’il y a environ 2% de grains botrytisés dans le vin, ce qui lui donne cet aspect chaleureux et profond. Il est frais, citronné avec du fruit. Le Corton Charlemagne Faiveley 2008 gagne en élégance. C’est lui qui s’accorde le mieux à l’épeautre et le Bâtard se marie le mieux au homard.
Les blancs ont été servis un peu chauds, ce qui limite l’expression de leur précision. La grâce du Corton Charlemagne 2008 est extrême.
Le Latricières Chambertin Faiveley 2008 a un nez d’une incroyable jeunesse. Je trouve ce vin très pur.
Le Latricières Chambertin Faiveley 2007 a un très joli parfum, très équilibré. Il est beau. Il possède une belle astringence, et il met en valeur le plus jeune. Le 2007 donne l’impression de ne pas avoir été éraflé. Ces deux Latricières très différents sont deux belles expressions ascétiques du grand vin de Bourgogne.
Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 2007 est beaucoup plus doux et séducteur que les Latricières, ce qui met d’autant plus en valeur la typicité des Latricières. Ce Chambertin est adorable d’équilibre. Ce vin est très beau avec une belle balance entre l’alcool et la pureté.
Le Corton Clos des Cortons Faiveley 2008 a un nez charmeur, doucereux. En bouche il est beaucoup plus astringent que ce que promet le nez. Il a une grande puissance et une complexité extrême. Il déroute, mais ça me convient bien. Même s’il est très vert, sa complexité me plaît. Pendant ce temps, le Clos de Bèze devient de plus en plus profond et riche.
Le Corton Clos des Cortons Faiveley 2007 est beaucoup plus doux et facile que le 2008. Il est délicat mais avec un fruit énorme. Malgré tout, je préfère le 2008. Il est parfait et surtout, malgré son jeune âge, je lui trouve de accents et des complexités de vin ancien. Bernard Hervet dit que le 2007 ressemble à l’année 1979. Je préfère le 2008.
En revenant au Clos de Bèze 2007 qui ne cesse de s’ouvrir, on perçoit mieux la rose que nous a signalée Michel Bettane en verve, qui connaît chaque parcelle de Bourgogne mieux que les vignerons !
Le Mazis Chambertin 1996 a un nez curieux qui combine la verdeur et le fruit rouge. Le verre sentant le verre, une odeur de vieille armoire me dérange. Très asséchant, ce vin ne me plaît pas.
Le Latricières Chambertin Faiveley 1993 commence à me faire entrer dans le monde des vins que j’aime. Le nez est fruité. En bouche, même si l’expression est prude, évoquant la rafle, le vin est extrêmement plaisant et j’adore, car il a le « charme discret de la bougognie ».
Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 1990 a un nez un peu poussiéreux. Est-ce le verre ? L’alcool est très présent. Ce vin est bon, rassurant et peu complexe. J’aurais attendu un peu plus de cette grande année.
Le Gevrey Chambertin La Combe aux Moines 1935 a une couleur très jeune. Le nez est très précis et très jeune lui aussi. Le vin est long, avec un beau final de fraîcheur. Il n’est pas exubérant, car l’année ne l’est pas, mais il plait beaucoup. Je retrouve dans le 1993 la salinité bourguignonne que j’aime. Le 1990 me semble un peu trop « facile ». Le 1935 combine complexité et longueur.
Il faut bien des 2005 pour faire contrepoids à la lourde tourte de canard, une institution du restaurant, toujours délicieuse. Le Mazis Chambertin 2005 a une couleur qui évoque la densité. Le nez est très grand. Le vin très tannique est plein de fruits rouges. Il est riche avec une amertume très faible.
Le Latricières Chambertin Faiveley 2005 a une couleur plus orangée. Il est plus astringent. Autour de moi il n’y a que des experts et les vignerons. Ils préfèrent tous le Latricières au Mazis, ce qui n’est pas mon cas. Je ne périrais pas sur le bûcher pour défendre ma foi.
Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 2005 a une belle couleur. Le nez est racé. Le vin est équilibré et très rond, mais Bernard Hervet tempère notre enthousiasme en disant que les trois vins ont connu des problèmes de fûts.
Pour les deux fromages, un comté de 36 mois et un brie, Bipin a voulu un vin blanc. C’est donc le tour du Corton Charlemagne Faiveley 2001. Ce vin a un nez grandiose. C’est un vin glorieux, divin. Il a tout pour lui.
Le dessert est accompagné d’un Château Coutet Barsac 1990, mais je pense que ce serait plutôt un 1999, car les accents un peu glycérinés n’appartiennent qu’aux très jeunes. Ce vin qui n’est pas encore assemblé est assez difficile à boire après la série des bourguignons.
Bernard Hervet toujours aussi passionné nous a parlé avec flamme des progrès qui sont en cours, qui promettent de très grands vins, avec des évolutions dans la ligne de ce que nous avons constaté. La maison Faiveley fait des vins purs, peu séducteurs, jouant plus sur la précision pour convaincre. La personnalité de Bernard Hervet s’inscrit parfaitement dans cette ligne historique. Erwan Faiveley , qui poursuit un MBA à New York peut étudier tranquille : son domaine, dont Michel Bettane a vanté la qualité des terroirs, est dans de bonnes mains.
J’ai fait mon vote sans le divulguer : 1 – Corton Charlemagne Faiveley 2001, 2 – Gevrey Chambertin La Combe aux Moines 1935, 3 – Latricières Chambertin Faiveley 1993, 4 – Corton Clos des Cortons Faiveley 2008.
Ces dégustations thématiques sont d’un grand intérêt. Dans le cadre prestigieux de Taillevent et une cuisine élégante et rassurante, s’y ajoute le plaisir.