Traditionnellement, la maison Bouchard Père & Fils organise un dîner de vins anciens lors du week-end au cours duquel a lieu la célèbre vente des Hospices de Beaune. C’est en effet un bon moyen d’avoir des acteurs du vin de tous les pays qui se rendent à Beaune pour cette occasion.
Presque tous les ans ce dîner s’accompagne d’une dégustation de vins récents. Cette année on pourra goûter des 2014 sous une tente montée dans le jardin du château de Beaune. N’étant pas considéré comme un spécialiste des vins qui ne sont pas en âge d’aller à l’école, je ne donnerai que des impressions flash sur ces bambins.
Monthélie Bouchard Père & Fils 2014 n’est pas très complexe, un peu court, avec un beau fruit. Comme c’est le premier vin, premier contact avec des 2014 alors que j’ai encore en tête de sublimes vins du dîner de vignerons, je suis revenu sur ce vin en fin de dégustation des rouges et je le trouve plus plaisant qu’au premier contact.
Beaune du Château Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 est plus rond, j’aime son équilibre. Il a un beau fruit et un final gourmand.
Beaune Clos de la Mousse Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 est très joli, plus confit. Peut-être un peu moins long que le précédent.
Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 j’adore, mais je ne suis pas objectif car c’est un de mes chouchous. Il a un beau final où je sens un peu de tabac.
Volnay Caillerets ancienne Cuvée Carnot Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 est joli, un peu moins riche que le Beaune Grèves avec un beau finale plus fluide.
Le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 est riche. C’est un grand vin qui promet, avec beaucoup de matière.
Nuits-Saint-Georges Les Cailles Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 a un parfum extraordinaire. C’est un vin très séduisant, au beau finale et au fruit joyeux.
Clos Vougeot Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 a une très belle attaque généreuse. Il laisse une impression très positive.
Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 a un nez assez vert. Il a une belle attaque. Le corps est moins précis que ce que j’aimerais, mais le finale est beau, un peu rêche et beaucoup plus assemblé que le corps.
Globalement pour les rouges mon impression selon une formule à l’ancienne, c’est « de la belle ouvrage ».
Traditionnellement chez Bouchard la dégustation des blancs suit celle des rouges car « blanc sur rouge, rien ne bouge, rouge sur blanc, tout fout le camp », là aussi c’est un vieil adage.
Meursault Les Clous Bouchard Père & Fils 2014 a un nez fermé, une bouche agréable et gourmande. Il est simple mais agréable avec un peu de café dans le finale.
Beaune du Château Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 a une bouche riche mais un peu épaisse. Le finale est frais et plus tendu. Il n’a pas beaucoup de charme à ce stade, lactique et litchi, un peu lourd.
Beaune Clos Saint-Landry Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 a un nez étonnant qui évoque les bonbons acidulés. La bouche est plus fluide. Il a plus de charme. Le final est de bonbon anglais et de saveurs lactées.
Meursault Genévrières Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 a une belle attaque, une belle fluidité aromatique et un finale fruité avec un peu de bonbon anglais.
Meursault Perrières Premier Cru Bouchard Père & Fils 2014 est très fluide, élégant au finale frais, long, élégant. C’est un très bon vin à la belle fraîcheur citronnée.
Corton-Charlemagne Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 a un très joli nez. L’attaque est très douce, suave. C’est un vin contenu mais élégant, tout en grâce. Le très joli finale est de citron et de zeste.
Chevalier-Montrachet Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 a une attaque épaisse et conquérante. Le vin est grand, superbe. On sent le potentiel, mais ce vin est à peine formé. Il a tant d’avenir ! Le finale est bien gras et opulent avec des zestes. C’est un très grand vin.
Montrachet Grand Cru Bouchard Père & Fils 2014 a un nez noble encore discret. L’attaque est particulièrement généreuse et opulente. Il a une très belle acidité et un finale citronné. C’est un grand vin au finale un peu discret. C’est un vin de plaisir.
Les blancs de 2014 sont un peu plus durs à juger pour moi car leur jeunesse est folle. Globalement, j’aime le style de Bouchard Père & Fils. Des experts auront sans doute d’autres avis mais peu importe, ce survol rapide est intéressant et montre que Bouchard Père & Fils travaille avec élégance et offre un portefeuille de terroirs qui est unique en Bourgogne. Longue vie à ces 2014.
Nous nous rendons ensuite à l’Orangerie du Château de Beaune pour le dîner de vins anciens. Nous sommes accueillis par Gilles de Larouzière qui succède à Joseph Henriot à la tête de son groupe et par Christian Albouy directeur général. Le thème du dîner est particulièrement original. Il s’agit du 240ème anniversaire de l’acquisition par la maison Bouchard de la parcelle de Volnay Caillerets, vin que nous boirons ce soir. Nous sommes plus de soixante personnes, de toutes nationalités. L’apéritif se prend debout avec le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996. La première coupe que je prends a un final de café, voire de liqueur de café et je vais vite prendre une autre coupe pour goûter comme il convient cette cuvée que j’adore. Le vin est frais, joyeux et convaincant. Mais à mon grand étonnement le service de ce vin n’est pas poursuivi et l’on nous sert un Champagne Henriot Brut Blanc de Blancs magnum sans année qui est bien agréable est fluide. La raison serait qu’il y a un problème avec plusieurs magnums des Enchanteleurs. Il va falloir que j’ouvre l’un de ceux que j’ai en cave pour savoir s’ils ont le même problème.
J’ai la chance d’être à la table de Gilles de Larouzière en même temps que Michel Bettane et de Bernard Burtschy. Avec eux, c’est comme si j’ouvrais une énorme encyclopédie. Quelle est la limite de leur savoir ? Nous ne l’avons pas atteinte, Gilles de Larouzière et moi écoutant avec intérêt ce festival de culture et d’histoire de la Bourgogne.
Le menu composé avec une pertinence rare par la cuisine du château est : velouté de courge et gourmandise de lard Colonnata / Saint-Jacques façon « carbo » / Presa ibérique, champignons du moment, cerfeuil tubéreux à la truffe / Cîteaux / Choco Bailey’s et orange.
Le Meursault Genévrières Premier Cru Bouchard Père & Fils 2005 me subjugue. C’est un choc. Je regarde mes voisins de table, cherchant à savoir s’ils sont aussi émus que moi. Ils trouvent évidemment que le vin est grand, mais je pense être le seul devant une image de la perfection. Le nez est parfait, riche équilibré, fou comme une corne d’abondance. La bouche est parfaite aussi, d’un équilibre aromatique de première grandeur. Alors que j’ai eu mon content de grands vins lors du dîner de vignerons de la veille, je suis comme l’ado boutonneux qui rencontre son premier flirt. Je suis tétanisé par ce vin qui joue avec une justesse rarement rencontrée. Il y a certainement un effet bouteille, mais pour atteindre cet équilibre il faut que le vin ait de très hautes qualités. L’accord avec le velouté est parfait, enrichissant encore le Meursault.
Le Chevalier Montrachet La Cabotte Grand Cru Bouchard Père & Fils 2001 n’a pas la même chance avec ses bouteilles. La première est coincée, fermée, désagréable et la seconde exhale le soufre à pleines narines. C’est Bernard Burtschy qui a la bonne idée. Il nous dit : « s’il y a un vin oxydé et un vin réduit, mélangeons-les et ça fera un vin équilibré ». Il a raison, car la fusion des deux exprime ce qui fait la noblesse si particulière de La Cabotte, vin que j’adore, du niveau du Montrachet. Si l’opération est réussie, je suis un peu triste de ne pas avoir La Cabotte au sommet de son art. Grand vin sans doute mais pas au rendez-vous.
Viennent maintenant les vins dont on fête le 240ème anniversaire de leur entrée dans le portefeuille de la maison Bouchard. Le Volnay Caillerets Ancienne Cuvée Carnot Premier Cru Bouchard Père & Fils 1971 arrive dans mon verre assez fermé, coincé, comme un linge que l’on tordrait, incapable de s’étendre. Il faut attendre longtemps pour qu’on puisse voir apparaître ce vin très racé, sans complaisance, dont l’amertume et l’acidité voisinent avec un fruit dans des tons de marron. Là aussi je ne suis pas totalement enthousiaste même si le temps passant le vin prend de la largeur et montre qu’il a devant lui un très bel avenir. La presa ibérique correspond à la partie ovale centrale de l’échine d’un cochon ibérique qui peut être du Pata Negra. Comme les autres plats, il s’est calé exactement sur le vin et a contribué à son retour en grâce.
Le Volnay Caillerets Ancienne Cuvée Carnot Premier Cru Bouchard Père & Fils 1959 résisterait à toute critique ou toute hésitation. Car nous sommes en présence d’un vin merveilleux, intensément racé, vif, cinglant, qui montre qu’il est loin d’avoir atteint son apogée. Il a un avenir brillantissime devant lui. C’est un bourgogne noble, qui ne cherche pas à séduire et convainc par ses amertumes et la richesse d’un équilibre que lui donne l’âge et le millésime exceptionnel. Je pense qu’il serait impossible dans une cave privée d’avoir un vin aussi vif. Bernard Burtschy et Michel Bettane pensent le contraire car leurs caves sont à 10° en permanence. Malgré leur avis d’experts, la vivacité du 1959 de ce jour me semble au-dessus de ce qui serait obtenu dans une cave de particulier.
La Maison Bouchard Père & Fils dispose d’un éventail de vins éblouissant. Et sa bibliothèque de vins anciens est unique. Dans une ambiance très amicale, nous avons eu la chance de goûter un 1959 mémorable. Mais c’est avec un vin jeune que j’ai connu un petit miracle, car l’émotion du Genévrières 2005 est un moment de grâce exceptionnel.
Le lendemain a lieu la vente des Hospices de Beaune. Vive la Bourgogne et ses vins magiques.
Christian Albouy, Nicolas de Rouyn, François Audouze, Gilles de Larouzière