Depuis déjà quelque temps Nathalie Vranken, propriétaire avec son mari Paul-François du groupe éponyme, m’avait proposé de venir déjeuner au siège du champagne Pommery. L’occasion se présente et je suis accueilli par Stanislas Thierry directeur du développement et par Thierry Gasco chef de cave et œnologue de la maison Pommery.
Nous visitons un ensemble immobilier assez surréaliste aux architectures audacieuses. Les structures métalliques en poutres rivetées et les briques donnent une image très industrielle à des halls intelligemment conservés et adaptés aux nécessités de processus modernes. La plus grande cuve de maturation en inox peut contenir l’équivalent de cinq cent mille bouteilles. C’est assez impressionnant. L’est encore plus la visite des caves aux galeries de près de deux kilomètres, qui, d’une façon très originale et très réussie, abritent une exposition d’art moderne monumental. Il faut dire qu’avec des salles de trente-cinq mètres de haut, les artistes peuvent voir grand. Buren a personnalisé de façon durable une galerie. C’est bien vu.
Dans l’espace de réception de la maison Pommery, l’art est aussi à l’honneur dans des salles marquées par le style des années trente où le bois aux belles envolées domine. C’est idéal pour accueillir des tableaux résolument modernes.
Comme il fait soif après la promenade, nous allons au bar du cercle où nous est servi à température idéale le Champagne Pommery Cuvée Louise 1999. La démonstration est convaincante car ce beau champagne gourmand a plus de longueur et de consistance que ce que j’imaginais. Il est sans histoire, champagne de soif que l’on boit avec envie. Des propos échangés en cave, il paraissait probable que Nathalie Vranken ne participerait pas au déjeuner et ne nous rencontrerait qu’à l’apéritif. Quant à Paul-François Vranken, la chance de le voir à nos côtés était encore plus faible.
Lorsque le magnum de Champagne Pommery Cuvée Louise 1989 est débouché, la plus belle bulle qui éclot est Nathalie, souriante et pimpante, qui nous rejoint. J’essaie de faire comprendre qu’il faudrait absolument boire le Pommery 1874 emblématique de la maison avant qu’il ne meure, mais si je suis têtu, j’ai trouvé mon maître, car Nathalie considère cette bouteille comme la clef de voûte de sa maison.
Paul-François nous rejoint et j’aime son enthousiasme pour le 1989 qu’il apprécie de façon gourmande. C’est qu’il est particulièrement bon et je suis impressionné par la façon dont il claque en milieu de bouche. Il y a un coup de fouet gustatif du plus bel effet. C’est je crois le 1989 de Louise le meilleur que j’aie bu, ce qui montre l’effet bénéfique du stockage au domaine.
J’ai dans ma musette une munition pour le cas où. Quand je sens que Nathalie et Paul François pourraient rester déjeuner avec nous, je sors mon arme secrète, et bien sûr ce n’est pas cela qui a emporté la décision, mais cela a un peu aidé.
Nous passons dans la jolie salle à manger avec nos verres du 1989 qui devient de plus en plus brillant. C’est un beau champagne doré, aux évocations de fruits jaunes et de pâtisserie.
Le menu du cercle qui a changé en cours de route en fonction des vins ouverts est : Saint-Jacques et gambas, jus acidulé à la mandarine et à la pistache / joue de bœuf, fondue de raisins blonds, foie gras aux truffes / comté et tomme de Savoie / gâteau de riz de Liège.
Le Champagne Pommery Cuvée Louise magnum 1989 continue de montrer à table sa flexibilité gastronomique, trouvant un bel écho avec les gambas.
Le Champagne Diamant magnum 1985 se présente dans une belle bouteille biseautée évoquant les facettes du diamant. Il n’y a pas d’étiquette ce qui permet d’admirer le ciselé du flacon. Le vin est merveilleux. Sa couleur est blanche à côté du jaune très doré du 1989. Ce contraste est spectaculaire. Le champagne est merveilleux, montrant une noblesse remarquable. L’aisance du champagne est très nette. On pense aux vins de Guigal qui ont cette aisance qui est compatible avec une grande complexité. La joue de bœuf met en valeur l’aptitude du 1985 à briller à table.
Mon arme secrète est le Château Chalon Jean Bourdy 1934 qui est d’une année souvent considérée comme la meilleure du 20ème siècle. Et j’aime jeter un pont entre les vins jaunes anciens et les grands champagnes. Le lien se crée, mais c’est surtout avec le champagne suivant qu’une résonance va se créer.
Le Champagne Pommery magnum 1959 arrive avec son habillage normal au lieu d’être sans étiquette. On sent que la bouteille a vécu et Thierry regrettera d’avoir pris cette bouteille sortie de Reims et revenue à son berceau. Il eût préféré une bouteille restée en cave toute sa vie. Car le vin est poussiéreux. Mais dès que l’aération joue son rôle, le 1959 reprend son rang. C’est un grand Pommery. J’ai un palais fait aux très vieux Pommery. Celui-ci commence à entrer dans ce monde de délices. La main se tend entre le champagne et le Château Chalon sur le comté et surtout sur la tomme. Le 1934 est un des plus beaux Château Chalon de cette année que j’aie goûtés. Ce 1959 n’est pas aussi noble que le Diamant 1985, mais c’est un beau champagne d’un grand équilibre.
Je classerais dans ce déjeuner : 1 – Diamant 1985, 2 – Château Chalon 1934, 3 – Louise 1989, 4 – Pommery 1959. Mais une mention spéciale ira au 1999 qui est vraiment un champagne de plaisir.
Le dessert est accompagné d’un Late Harvest Porto Rozès 2007 jeune et claquant la langue, puis d’un Porto Rozès de plus de quarante ans au goût fruité comme un jeunot mais à l’assise et la profondeur d’un ancien.
Nous avons brassé des tas de projets dont un qui tient à cœur à Nathalie. Il s’agit des millésimes d’Or. L’idée est de mettre en valeur un patrimoine unique de vieux champagnes sur une haute gastronomie, comme je le fais dans mes dîners. Il y a des tonnes de belles pistes. Voilà qui va alimenter beaucoup de réflexions.