Très peu de temps avant la dégustation au domaine Dujac, j’avais demandé au domaine de la Romanée Conti si je pouvais m’immiscer dans un groupe de dégustation. Par une chance inouïe André Robert, le truculent propriétaire du restaurant La Cagouille est prévu pour une visite à 16 heures. Jean Charles Cuvelier ayant lu les récits dithyrambiques de mes déjeuners à la Cagouille me dit : « joignez-vous à eux ». Quand à déjeuner Rose Seysses m’avait dit : « les bureaux ne sont plus rue du Four mais place de l’église », je n’ai pas voulu le croire, car je ne le savais pas. Et sur la magnifique place de l’église de Vosne Romanée, je découvre les nouveaux bureaux de la Romanée Conti, jouxtant l’église, dans des bâtisses chargées d’histoire.
Etant en avance, j’ai le temps d’aller bavarder avec Aubert de Villaine et Jean-Charles, dans le bureau d’Aubert dont les fenêtres donnent une vue directe sur les vignes, dont notamment la parcelle de La Tâche et la parcelle de la Romanée Conti dont je découvre qu’elle est plus pentue que ce que j’imaginais, car on la voit toujours du chemin sans apprécier forcément les inclinaisons. Travailler dans un bureau où l’on contemple de telles merveilles doit être le bonheur le plus absolu. Je leur annonce que je vais boire cette semaine un vin qui est probablement du 17ème siècle, repêché d’une épave. Mes deux interlocuteurs se regardent, sourient et me disent : « dans des travaux récents, on a percé des cloisons et on a retrouvé dans des alvéoles une magnifique tête d’ange du 13ème siècle et des bouteilles de vins dont certaines cassées et il est prévu de façon officielle de faire analyser mais aussi goûter une bouteille pleine au bouchon encore en place qui doit être du 18ème siècle ». Aubert me propose de me joindre à cette dégustation prévue dans un mois. Quel bonheur.
André Robert arrive, nous bavardons un peu avec nos hôtes et Jean-Charles nous conduit à la cave de vieillissement des 2010 où Bernard Noblet va nous faire goûter les 2010. C’est un grand honneur, mais la quasi-totalité des vins n’ayant pas fait leur « malo », comme on dit chez les vignerons (fermentation malolactique), cet exercice donne relativement peu d’indications autres que la tendance de l’année.
Je goûte pour la première fois le Corton du domaine, dont c’est le deuxième millésime seulement, et je suis frappé par la belle structure de ce vin déjà fruité. Les six autres vins du Domaine vont naturellement crescendo en qualité dans l’ordre Echézeaux, Grands Echézeaux, Romanée Saint-Vivant, Richebourg, La Tâche et la Romanée Conti, mais on part de haut, car l’Echézeaux montre de grandes qualités. La constance entre tous ces vins, c’est la précision et la finesse mais aussi la puissance et la richesse d’un beau millésime. La Romanée est pleine de promesses, mais elle est encore emmaillotée dans ses langes. Elle ne crée pas le « wow » qu’elle créerait avec quelques années de plus. L’exercice de la dégustation en fût aurait plus de sens en octobre qu’en avril. Mais goûter ce millésime qui promet est un honneur qui ne se récuse pas.
Nous nous rendons ensuite dans la cave de dégustation en bouteilles et Bernard Noblet fait toujours des surprises, aussi découvrir les vins n’est pas chose facile. La cave voûtée creusée dans la roche naturelle est fraîche aussi les vins n’ont pas toute leur ampleur. Mais nous sommes ravis.
Le premier vin est le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1999 qui frappe par sa structure forte et sa belle longueur. Je suis encore plus conquis par le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991, d’une puissance étonnante pour son année. C’est un vin envoûtant, riche et fruité. Nous goûtons ensuite un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1967 d’une année généralement considérée comme faible, mais qui démontre à quel point le domaine est capable de mettre en valeur ces années « dites » petites. Je suis à mon affaire, car ce vin a des saveurs bourguignonnes de maturité qui font partie de celles que j’aime boire. Le vin est délicat, au final élégant, et sa subtilité emporte les suffrages. Je suis heureux. Quelle délicatesse !
Bernard Noblet hume plusieurs fois le vin que nous allons boire, car il a décelé quelque chose qui ne lui plait pas. La bouteille à moitié pleine a été ouverte le matin et montre des signes d’évolution et d’oxydation. C’est le Bâtard Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1995 qui a des accents jurassiens, avec des notes de caramel au beurre salé. Bernard nous dit qu’il aurait dû soufrer ce vin et qu’il n’aurait pas dû le soutirer. Même plus évolué qu’il ne le devrait, le vin se boit avec plaisir.
Pris d’une audace subite, je dis à Bernard : « je vois que vous avez posé sur la table un bilame. Cet instrument a pour vocation d’être utilisé ». Bernard me regarde avec un air malicieux et va chercher un vin qui est un enchantement : le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000. Du fait de son ouverture à l’instant, le vin n’a pas l’ampleur qu’il pourrait avoir, mais on sent toute la magie d’un immense Montrachet avec des accents de meursault. Nous sommes en extase, et comme par télépathie ou si des caméras invisibles filmaient nos agapes, Aubert et Jean-Charles arrivent à point pour goûter le Montrachet. L’exercice en cave est difficile car même Aubert aura des hésitations semblables aux nôtres et comme nous, ne trouvera pas le millésime du Montrachet. Nous avons longuement profité de ce grand vin en discutant de mille sujets et Aubert comme Jean-Charles ont particulièrement apprécié le Richebourg 1967 à la grande délicatesse. Aubert nous a demandé nos avis sur les 2010. On sent qu’Aubert de Villaine aime ses 2010, de puissance et de grâce.
Jean-Charles est allé chercher la bouteille du 18ème siècle qui sera bue dans un mois. Je l’ai photographiée. En boire sera, je pense, un moment religieux.