Ce repas est raconté dans est le seizième bulletin. Il raconte l’histoire d’un dîner de wine-dinners, le numéro quinze, dont la gestation a été particulière. En effet, deux convives avaient une date impérative, il fallait improviser autour de ce fait. D’autres amateurs se sont joints, et parmi eux des professionnels du vin dont la connaissance des vins, jeunes ou vieux, est le métier. Il fallait les intéresser, mais aussi les étonner, ce qui, je crois, fut fait.
Avant que tous les convives ne soient présents, nous avons commencé par Pavillon Blanc de Château Margaux 1992. Très clair, beau nez floral, et en bouche une rare discrétion, mais qui donne envie de découvrir toutes ses subtilités. C’est ce type de vin qui donne envie d’explorer de nouveau les Bordeaux blancs, si subtils à l’analyse. Dès que tout le monde fut là, Besserat de Francis rosé brut 1966. C’était le plus grand risque possible de la soirée. Rose tirant sur le roux, nez poussiéreux, bulle rare. Tout cela n’était pas bon signe. Mais en bouche, un plaisir : un goût vineux, prononcé, la bulle que l’on trouve en bouche, qui pèse sur la langue. On retrouvait des allures de Salon, avec cette force du vin. Au total, un excellent champagne, très différent des jeunes champagnes modernes, mais de grand plaisir. David van Laer, puisqu’on se retrouvait de nouveau chez lui, avait servi des petits vol-au-vent goûteux sur le Pavillon blanc, mais sur le champagne, l’escabèche de rouget cassait sa longueur. Une merveilleuse crème de haricots « coco » (c’est l’écho) se mariait fort justement avec un Domaine Laroche 1985 Château de Puligny Montrachet – appellation Puligny Montrachet contrôlée. Je mets ce titre à rallonge qui est celui de l’étiquette, car Laroche, connu pour ses Chablis, se met en avant, au lieu d’annoncer qu’il s’agit d’un Puligny. Cette opacité des étiquettes est critiquée par les amateurs étrangers. Très caractéristique de Puligny, un vin bien plaisant, mais sans grande aspérité. Bon élève sans génie. Magnifié par la crème. Sur un Saint-pierre extraordinaire, j’avais choisi un quitte ou double : Grande Réserve, Comte A. De la Rochefoucauld 1947 « appellation Bourgogne contrôlée ». C’est l’étiquette d’un vin de table et rien ne dit, sauf la couleur, qu’il s’agit d’un blanc. A l’ouverture, un nez légendaire. Avec un des convives, nous avons passé de longues minutes à seulement le respirer. Il n’y a pas de meilleure ivresse que ce nez là. Une couleur très foncée, et au palais, un enchantement indéfinissable. C’est évidemment âgé, mais c’est présent, insistant. Pas du tout madérisé, mais l’alcool ressort. Et il y a du fruit. Un convive n’a pas aimé, car ce qui le choquait, c’est que ce vin n’a jamais été fait pour donner ce goût là. C’est vrai pour beaucoup de vins anciens, car Margaux, par exemple, n’a pas cherché à faire des vins pour être bus 100 ans après, alors que ce sont aujourd’hui des sommets. Mais ce vin, si loin de sa valeur d’origine était un grand plaisir.
Arrive alors le lièvre en marmelade, qui sent si fort la viande intensément gibière, si l’on accepte ce néologisme. Il fallait choisir quel rouge l’accompagnerait. Alors qu’on commence le plus fréquemment par les plus jeunes, je décidai, malgré plusieurs suggestions pour le Beaune, de servir le Corton 1929 L. Soualle & E. De Bailliencourt Maisons du Montcel, L. Barjot & ses Neveux réunies. Une pure merveille. Un des grands Bourgogne d’une vie de dégustateur. Couleur très légère, très rose tendre, très jeune. Un nez jeune, expressif, puissant. En bouche une simple merveille. Il suffit de penser à tout ce qu’on aimerait trouver dans un grand vin pour qu’on le cueille ici sur la langue. Belle longueur, belle expression veloutée. On est sous le charme, et on tient un accord parfait. Sur le même plat pour ceux qui mangent le plus lentement, un Beaune Clos des Mouches 1953 Pierre Bourée Fils négociant. Une magnifique découverte sur cette année. Il est plus jeune que le 29, mais sans créer de différence nette, car le 29 est très jeune. Il est plus puissant que le 29, mais sans créer de différence nette, car le 29 est très puissant. Un vin vraiment agréable. Il y avait autour de la table des aficionados du Clos des Mouches, qui a tenu ses promesses. Comment allait se comporter un honnête Bordeaux après ces si grands Bourgogne ? J’avais un petit doute. Et, comme beaucoup de convives, j’ai été bluffé par ce Malartic Lagravière Graves 1955. Vraiment je ne pensais pas que Malartic en 1955 pouvait être aussi bon. Il avait beaucoup de rondeur, d’équilibre. Un vrai plaisir tout étonnant. Non pas que j’aie une mauvaise image de ce vin, mais il est apparu à un niveau que l’on ne suppose pas. Ce qui fait que ces trois rouges se sont parfaitement succédés, le Corton 29 étant d’une rare qualité.
Sur du Stilton est apparu la star de la soirée : Yquem 1917. C’est d’abord une année émouvante, l’année de Verdun et de Douaumont. Ensuite, c’est une année rare que peu de gens ont bue. D’où l’attention qu’il mérite. Très belle bouteille, au bouchon d’origine, avec un niveau un peu bas, mais une couleur merveilleuse, de caramel et de tabac brun. A l’ouverture le bouchon s’est cassé en deux, mais est resté ferme, et de belle odeur. Dans le verre, j’ai eu un peu peur : un nez discret, une attaque sèche, et une longueur un peu faible, même si le charme d’Yquem s’exprime. J’en faisais la remarque, mais les convives autour de moi appréciaient tellement que j’aurais eu mauvaise grâce à critiquer, d’autant que progressivement, ce Yquem devenait grand. Belle consistance de fruit. Peut-être pas éclatant comme certains, mais grand, intense, et un remarquable témoignage. Le vin qui allait suivre, un Golser Strohwein (vin de paille) Prädikatswein Neusiedlersee Österreich 1998 de 11°, était impossible à boire à ce moment. Trop monolithique, trop simple, il ne pouvait pas trouver sa place. Mais il a eu le mérite de montrer combien Yquem, apparemment si simple tant il est chaleureux est en fait d’une extrême complexité. Le vin de paille mérite une autre chance. A boire dans un autre contexte.
Ce qui fut intéressant, indépendamment du plaisir convivial, c’est de montrer à des professionnels que des vins inconnus ou peu connus peuvent se révéler, dans de bonnes conditions, et avec l’approche adéquate, de très grands vins. Une fois de plus, ces vins sont de véritables fêtes. Et l’association avec une grande cuisine contribue à les magnifier.