A 19h30 Uwe se présente à mon hôtel à Bochum et m’emmène à quelques hectomètres dans une grande bâtisse qui dépend de la ville et pourrait servir de centre de congrès de Bochum, mais à taille humaine. Dans l’immense salle à manger au plafond dans les étoiles, la table pour le dîner de demain avec la bouteille de 1727 est déjà dressée pour une quinzaine de personnes. Sur une tables, des rangées de verres alignées, et deux ou trois sacs à vins sont ouverts et contiennent un grand nombre de bouteilles que l’on sent anciennes.
Uwe me montre sa méthode d’ouverture des vins et il est rapidement convenu que j’ouvrirai les vins, ma méthode apparaissant plus appropriée que la sienne. Je commence donc à ouvrir des bouteilles quand Uwe me tend un verre. Le nez est prodigieusement fruité. Il n’est pas compliqué d’imaginer qu’il s’agit d’un riesling allemand. Au nez, le vin riche pourrait avoir dans les quinze ans, mais en bouche, on sent qu’il est beaucoup plus jeune. C’est un Monzinger Frühlingsplätzchen Emrich-Scönleber 2004. Vraiment très plaisant et juteux.
Je me rends compte alors que nous sommes quatre, Uwe, Stephan, Daniel et moi, alors que les sacs regorgent de bouteilles. Daniel est un amateur allemand et Stephan vend des verres de vins spécialisés dans le haut de gamme et il nous a montré les différences de parfum mais aussi de saveurs qui apparaissent lorsque l’on prend des verres adaptés. Allons-nous ouvrir tout ?
Le vin suivant est un Riesling Auslese Trocken Pfalz Koehler Ruprecht « R » 2001. Il titre 13°. Ce vin est élégant et d’une extrême précision. Le savoir-faire est immense. J’ouvre bouteille après bouteille, mais je m’arrête, car cela me semble indécent. Avant de passer à table, on me tend un verre de Zeltinger Sonnenuhr Spätlese Joh. Jos Prüm 2007 qui titre 8,5°. Ce vin de Moselle inspire le respect. C’est le vin allemand par excellence, que l’on devrait beaucoup plus souvent explorer.
Nous passons à table et Uwe a déjà épuisé toute sa provision de vins blancs, tant il est généreux et sert à profusion. Dans cette immense salle, vide depuis le départ des deux seuls autres clients, nous allons passer cinq heures de folie. J’imagine volontiers les aimables serveuses se demandant : « mais quand vont-ils finir ? ». Nous commençons le repas très correctement exécuté, nettement mieux que ce que j’aurais imaginé dans ce lieu imposant et impersonnel. Saumon délicatement fumé, soupe roborative, coquilles Saint-Jacques et gambas bien cuites, poitrine de canard au gratin de pomme de terre de belle réalisation, fromages variés, tout cela fut simple mais bon.
Il restait un blanc, anecdotique, un Vin de Bordeaux blanc, appellation Bordeaux contrôlée, domaine du Bourdieu à Soulignac sans année. Sur l’étiquette, sur un fond de carte routière, une assiette d’huîtres ouvertes et une assiette de homard sont d’une grande naïveté. Le vin est mort, ce qui me permet de remarquer que personne n’ose le dire, et plusieurs fois je serai celui qui ose appeler par son nom l’état d’un vin.
Le premier des rouges est celui que j’ai apporté, un Vieux Château Certan 1955 dont le niveau est dans le goulot. La présentation de la bouteille est parfaite, le bouchon est remarquable, et je casserai le suspense en disant qu’il fut « la » vedette de ce dîner. Uwe, qui a déjà fait des dégustations verticales de Vieux Château Certan n’en revient pas tant il est parfait. Daniel lui donnerait volontiers 100 sur 100 dans la notation parkérienne. Et c’est vrai que ce pomerol est tout simplement parfait. Il a tout pour lui, le charme, l’équilibre, la force et la longueur; Au long du repas nous y sommes revenus souvent.
Daniel ouvre de son sac un Château La Mission Haut-Brion 1983. Il est très fermé. On sent qu’il est plus noble que le pomerol, mais il est beaucoup trop strict. Il évoque la terre où il est né. C’est un grand vin, mais beaucoup trop jeune, malgré ses 28 ans !
Arrive alors une de ces curiosités dont Uwe a le secret. C’est un Château Clinet 1943 mise en bouteilles par un négociant belge Daniel Sanders dans une bouteille bourguignonne. Ce vin est authentiquement pomerol et évoque intensément la truffe. Il est très vif et agréable à boire. C’est une belle curiosité.
Le Clos-Vougeot Château de La Tour Morin 1935 se présente dans une bouteille sans cul dont l’assise arrondie est plus large que le cylindre de la bouteille. Encore une curiosité de plus. Le vin est délicieux, très vivant, aux beaux fruits rouges.
Le Nuits-Saint-Georges Moillard-Grivot 1945 a un nez fatigué. Il se présente en deux parties : l’attaque est très fruitée, plaisante, et le final est torréfié, comme si le vin était brûlé.
Le Nuits-Saint-Georges François Gilles 1945 est bouchonné, mais le vin en bouche est plaisant, comme si le bouchon n’existait pas. Le fruit est joli et le vin est puissant. Mais le goût de bouchon au démarrage lent s’impose de plus en plus. Uwe essaiera de verser le vin en carafe sur un film plastique. Une demi-heure plus tard, si le goût de bouchon a disparu pour nos narines, il laisse en bouche l’impression désagréable d’un vin déstructuré.
Pour s’extraire de ces vins approximatifs, Daniel va ouvrir un vin en cachette et nous le verse. J’annonce 1986 et Stéphane 1985. Il s’agit de Château Montrose 1970 qui est très joli, vivant et expressif. C’est un très joli vin.
Uwe me demande d’ouvrir un vin que nos deux autres compères vont découvrir à l’aveugle. Ils disent tous les deux des millésimes comme 1945 ou alentour. Il s’agit du Clos des Grandes Murailles (ancien Clos des Moines) Saint-émilion Commandant Malen propriétaire 1928. Cette bouteille carafée sur l’instant car le bouchon est tombé sans que je puisse l’empêcher est fantastique.Le fruit rouge est de folie. Je trouve le vin absolument merveilleux. Si le Vieux Château Certan 1955 est la perfection, ce 1928 est un cri d’amour.
Le Château Pavie 1952 a une couleur très foncée. Le vin est d’une attaque charmeuse et élégante. Le vin est légèrement imprécis mais très agréable.
Le Vosne-Romanée Les Malconsorts Domaines Grivelet 1952 dont je venais de voir le petit enfant de 2009 au siège de la maison Albert Bichot puisque cette parcelle est maintenant leur propriété est trop fatigué pour capter mon intérêt, avec son nez de gibier et sa bouche trop doucereuse. Mes amis sont moins catégoriques.
A ce stade, nous alignons les bouteilles de la soirée, quatorze en tout pour la photo, et Uwe ne cesse de nous proposer d’aller jusqu’à sa salle de dégustation à quelques minutes d’ici pour continuer de déguster. Il est tellement généreux. Nous résistons, car c’est demain le grand jour, mais Uwe ne veut pas s’avouer vaincu.
Il apporte des verres que nous goûtons à l’aveugle. Pour moi la Bourgogne ne fait pas de doute, et je cite 1955. Car la robe d’un très beau rouge est vivante, le nez est beau et le vin est magnifique. Il s’agit d’un Moulin-à-Vent Piat et Cie 1949. Après coup, je prends conscience de toutes les notes qui signent un beaujolais, mais le caractère bourguignon semblait si évident. Il s’agit d’un très grand vin. Curieusement le bouchon porte comme inscription « Desprat Vins Aurillac ».
Uwe qui est têtu apporte un nouveau vin mystère. Le nez est de fenouil, d’anis et de menthe. La bouche est très végétale avec un peu de café, signe de torréfaction mais qui n’est pas négative. C’est aussi un très grand vin. Vu l’étrangeté j’ai suggéré un beaujolais, pourquoi pas, et mes autres compères ont aussi faux que moi. C’est un Chateauneuf-du-Pape A. R. Barrière Frères 1959, étrange, original, que je n’aurais jamais mis en Chateauneuf-du-Pape, finalement très plaisant.
Il a fallu presque forcer Uwe pour que nous levions le camp. J’ai contemplé de grands vins dont il reste beaucoup. Uwe m’a promis qu’il va garder les restes dans des flacons de tailles adaptées, pour que ces nectars ne soient pas perdus.
Dans une telle folie, comment classer les vins ? Je m’y risque : 1 – Vieux Château Certan 1955, 2 – Clos des Grandes Murailles (ancien Clos des Moines) Saint-émilion Commandant Malen propriétaire 1928, 3 – Château Montrose 1970, 4 – Moulin-à-Vent Piat et Cie 1949, 5 – Zeltinger Sonnenuhr Spätlese Joh. Jos Prüm 2007, 6 – Château Clinet 1943, 7 – Chateauneuf-du-Pape A. R. Barrière Frères 1959.
Pour beaucoup de vins, il doit s’agir d’achats en vrac, où toutes les surprises sont possibles. Il y a eu quelques déchets ce soir, mais les « bonnes pioches » valaient le détour. Ce qui m’a plu, c’est la générosité d’Uwe et l’ouverture au vin de ces trois amateurs, qui ne condamnent pas un vin de façon péremptoire. Ce dîner est un belle entrée en matières pour l’événement que j’attends avec impatience.
Monzinger Frühlingsplätzchen Emrich-Scönleber 2004
Riesling Auslese Trocken Pfalz Koehler Ruprecht « R » 2001
Zeltinger Sonnenuhr Spätlese Joh. Jos Prüm 2007
Vin de Bordeaux blanc, appellation Bordeaux contrôlée, domaine du Bourdieu à Soulignac sans année
Vieux Château Certan 1955 qui est mon apport. On voit le niveau très beau et le bouchon d’une élasticité exemplaire.
Château La Mission Haut-Brion 1983
Château Clinet 1943
Clos-Vougeot Château de La Tour Morin 1935 (on note le renforcement du verre au pied de la bouteille)
Nuits-Saint-Georges François Gilles 1945 (essai de film plastique pour enlever le goût de bouchon)
Nuits-Saint-Georges Moillard-Grivot 1945
Château Montrose 1970
Clos des Grandes Murailles (ancien Clos des Moines) Saint-émilion Commandant Malen propriétaire 1928
Château Pavie 1952
Vosne-Romanée Les Malconsorts Domaines Grivelet 1952
Moulin-à-Vent Piat et Cie 1949
Chateauneuf-du-Pape A. R. Barrière Frères 1959 (très beau bouchon avec une inscription sans rapport)
les bouchons
les plats