Nous allons dîner, ma femme, mon fils et moi à l’Ecu de France à Chennevières. Nous sommes accueillis par la famille Brousse comme en famille. Mon choix de menu sera : fraîcheur de homard en habit rouge, crémeux de Bufala à l’huile de pistache / filet de bar, beurre aux algues et Combawa, mousseline de poire, céleri au curry. Ma femme et mon fils ont pris des plats différents qui pourront accompagner un vin blanc.
J’ai envie de prendre un Meursault-Perrières Domaine des Comtes Lafon 1992 d’une année que j’adore. Hervé Brousse qui dirige l’établissement m’indique que ce vin commence à truffer un peu, mais je confirme mon intention. Le vin est effectivement ambré mais d’un bel ambre. Le nez est superbe avec des évocations très nettes de pierre à fusil ou l’odeur de poudre d’un pétard qui vient juste de claquer, mêlées à des senteurs de fruits jaunes. En bouche, le vin est effectivement évolué et l’on n’est plus dans la gamme de goûts d’un vin jeune, mais le goût n’a aucune perte de précision et son finale exulte, avec une belle fraîcheur. Nous nous faisons plaisir mais j’aurais sans doute préféré un vin plus jeune.
J’ai apporté avec moi le reste du supposé Porto blanc des années 20 et je le fais goûter à mon fils et à Hervé Brousse qui nous raconte qu’après le pillage des éléments de décoration et de la cave du restaurant lors de guerres précédentes, son grand-père avait tout enterré ou muré au moment de la deuxième guerre mondiale, et à l’occasion de rénovations son père et lui avaient découvert des bouteilles cachées dont des cognacs du début du 19ème siècle et de très vieux portos. Alors, il va discrètement chercher un Porto Constantino dont il pense qu’il date de 1926. Il cherche aussi un porto blanc récent et nous pouvons vérifier deux choses. La première est que la supposition d’un porto blanc a toutes les chances d’être exacte car le finale du jeune porto blanc a beaucoup de similitude avec celui du vieux vin. La deuxième est que le porto blanc que nous avons supposé être des années 20 est très certainement beaucoup plus ancien, d’au moins trente ans, car le Porto 1926 paraît très jeune à côté de lui. Ma première impression sur le bouchon me conduisait vers 1890. On reviendrait donc à ma première impression.
Le Porto blanc vers 1890 a un parfum éblouissant qui subsiste encore, avec des notes de confiture de fraise et de douceur. Son goût évolue encore et lorsque je verse les ultimes gouttes qui n’ont aucune lie, c’est une explosion de douceur, comme le plus moelleux des sofas. C’est presque de la luxure. C’est un dessert au chocolat aux mille saveurs qui a conclu le repas.
Dans le calme d’une salle sans musique (quel bonheur !) le balancier de l’horloge rythmait doucement nos plaisirs et son carillon chaque heure faisait tinter des souvenirs d’enfance. On se sent bien à l’Ecu de France.