Lors du dernier réveillon de la Saint Sylvestre, un vilain Pétrus 1952, d’une caisse de douze que j’avais achetée, m’avait chagriné. Tout laissait à penser que c’était un faux, mais il fallait le vérifier. Lors d’un dîner d’amis de janvier, j’avais apporté un Pétrus 1981 et je racontai ma mésaventure. Un ami présent me dit : « j’ai un 1952 dans ma cave de mise château. Comparons-le à l’un de tes 1952 ». L’idée était séduisante, mais se retrouver à deux avec deux Pétrus, on pouvait mieux faire. Ce soir au restaurant Laurent, nous serons neuf avec neuf Pétrus.
J’arrive à 18 heures pour ouvrir les bouteilles de Pétrus. Le 1966 provient de la cave du château, qu’il n’a jamais quitté. Le bouchon est enfoncé de six millimètres et le creux contient de la poussière noire. Le bouchon est superbe, de grande longueur. Le parfum est magique. Le 1952 de mise château a un beau bouchon plus court. Son parfum est beau, plus beau que celui du 1952 de mise Van der Meullen, dont le bouchon est de petit diamètre, comme le goulot de la bouteille au verre trop fortement coloré de teinte vinasse, spécialité de ce négociant belge, ce qui interdit de voir la couleur d’un vin dans la bouteille. Le bouchon du 1952 sûrement faux, car entretemps, j’en ai ouvert un autre résolument faux, est aussi vilain que les précédents, très comprimé dans le goulot et difficile à sortir. Le bouchage ne peut pas être des années 50. Le nez du vin n’est pas un nez de Pétrus.
Le 1962 de ma cave a un parfum exceptionnel. Le 1975 a aussi un parfum superbe. Le 1964 se présente très solide dans ses arômes. Le bouchon du 1934 de ma cave se brise en miettes. Le nez du vin me suggère qu’il est hermitagé. Le mot qui vient instantanément en sentant le 1998, c’est : pureté. On sent que ce vin est superbe.
L’un des convives ayant annoncé un retard de trente minutes, nous nous préparons le palais avec un Champagne Pol Roger 2000 très simple, très plaisant, facile à vivre, mais porteur de riches complexités. Comme il fait soif, nous doublons la mise.
Le menu conçu par Alain Pégouret est : Anguille fumée et pointes d’asperges vertes / Pâté en croûte / Morilles farcies / « Fregola Sarda » / Carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, pommes soufflées « Laurent » / Mimolette cérusée / Crémeux Jasmin à la rhubarbe.
Pour chaque vin, je signalerai son apporteur puisque le dîner est conçu sur la base d’apports de chacun. Parfois j’ai aidé l’un des participants en lui « prêtant » ou « vendant » un des vins de ma cave. J’indiquerai l’auteur de chaque vin. Le Champagne Krug 1989 (Frédéric, de ma cave) est absolument exceptionnel. C’est, je pense, le meilleur 1989 que j’aie jamais bu. Il est riche épanoui, complexe de fruits exotiques. Il est tout simplement l’accomplissement de Krug lorsqu’il est encore jeune et déjà mature. Sa longueur est extrême.
Le Pétrus 1966 (Jean) vient directement du château. Je l’ai mis en premier pour qu’il nous serve d’étalon. Et il le fait avec une exactitude confondante, car il est l’archétype du grand Pétrus. Il a l’A.D.N. de Pétrus. Riche, plein, fruité mais avec un doucereux coupable, il est d’une grande densité. Il est superbe. Velouté, truffe, beau fruit, tout y est.
Les morilles vont accompagner divinement bien trois 1952. Le Pétrus 1952 (Laurent) est une mise château. Il est grand, mais n’a pas l’étoffe du 1966. Ce qui impressionne c’est sa subtilité et sa douceur. C’est un beau Pétrus mais pas un grand Pétrus. Le Pétrus 1952 (de ma cave) provient de la caisse litigieuse. Comme je l’ai annoncé faux, ce que confirme l’examen olfactif, mes amis ont beau jeu de dire que j’aurais dû m’en apercevoir à la première bouteille tant le faux est évident. Ils ont raison sans doute, mais ils le savaient, ce qui leur donne bien de la science. Car ce vin n’est pas mauvais. Ce pourrait être un bon médoc, d’un bon classement, des années 70/80. Le Pétrus mise Van der Meullen 1952 (Charles Edouard, de ma cave) apparaît un peu fatigué. Je me pose la question de son authenticité, mais tout le monde est unanime, c’est un vrai Pétrus 1952 mais jouant un peu en dedans.
Le Pétrus Pomerol 1962 (Guillaume, de ma cave) est absolument exceptionnel. Son parfum est envoûtant. Si le 1966 est un archétype, celui-ci est un Pétrus de splendeur. Je l’adore pour sa richesse contenue, sa complexité extrême, son velouté truffé et son confort absolu. De bonne mâche, il est divin. Jean nous dit qu’il a fait récemment une verticale de quatre-vingt millésimes de Pétrus et que celui qu’il a préféré de loin est le 1975. Aussi attend-il beaucoup du Pétrus 1975 (Louis). Dès l’attaque, on le sent un peu fermé, jouant en dedans, mais Jean nous indique qu’il va s’épanouir. Et quand cela se produit, on retrouve l’un des Pétrus qui m’ont apporté les plus grandes émotions. Malgré tout, si celui-ci est grand, il est élégant, fluide, mais un peu contenu.
Le Pétrus 1964 (Christine) est superbe, solide gaillard très carré. C’est un beau Pétrus costaud, qui fonce, très contrasté avec le 1966. C’est évidemment un très grand vin.
Le Pétrus 1934 (de ma cave) nous fait un choc quand on le verse : il est clairet. On dirait qu’il est dépigmenté. D’ailleurs le fond de la bouteille est beaucoup plus sombre. Le vin présente un intérêt de comparaison, mais il est manifestement fatigué. Il est bien Pétrus, car on sent tous les points communs avec les autres, mais la fatigue est là.
Le Pétrus 1998 (Desmond) est un gamin d’une très grande promesse. Il se boit bien dans sa jeunesse, mais on sent que vingt ans de plus vont le placer sur une orbite très haute. On peut comprendre les amateurs de vins jeunes, car il y a une exubérance dans ce vin qui est rare. Il partage avec le 1966 le fait d’être archétypal.
Pour le dessert Jean commande au restaurant un Champagne Salon 1997 qui est agréable, mais nous restons tous sur notre petit nuage fait de grands Pétrus. J’ai un peu gommé la trace du Salon dans ma mémoire. Pendant que nous votons, je fais verser le Cognac Lucien Foucauld # 1890 que l’on avait ouvert lors d’un récent dîner. Les deux amis chinois de notre table en raffolent. Mais il n’y a pas qu’eux, car il est merveilleux de rondeur et de complexité.
Je suis le seul à avoir voté pour le champagne, mes amis concentrant leurs votes sur six des neuf Pétrus. Le 1962 a eu neuf votes pour neuf votants dont quatre votes de premier, le 1964 huit votes dont aucun de premier, le 1966 sept votes dont trois de premier et le 1975 six votes dont deux de premier.
Le vote du consensus serait : 1 – Pétrus Pomerol 1962, 2 – Pétrus 1966, 3 – Pétrus 1964, 4 – Pétrus 1975, 5 – Pétrus 1952 mise château.
Mon vote est : 1 – Pétrus Pomerol 1962, 2 – Pétrus 1964, 3 – Champagne Krug 1989, 4 – Pétrus 1966.
La cuisine d’Alain Pégouret a montré une fois de plus qu’elle est pertinente, et les accords ont été judicieux. Le service est comme toujours parfait, surtout celui des vins. On peut constater que l’on ne se lasse pas d’un dîner de Pétrus et que la décennie 60 est superbe pour Pétrus en ce moment avec des 1962, 1964 et 1966 qui ont particulièrement brillé. Il ne manquait que 1961, ce qui obligerait sans doute une suite, mais ma charmante voisine me dit : « êtes-vous libre demain, nous allons ouvrir un magnum de Pétrus 1959 à l’Ambroisie ? ». J’ai dit oui. L’aventure Pétrus continue !
l’ouverture des bouchons
le 1952 Van der Meullen et le 1952 mise château
dans l’ordre, le 1966, le 1952 mise château beaucoup plus court, le 1952 de la caisse litigieuse, avec un liège assez vulgaire et une largeur trop grande, ce qui s’est traduit par son élargissement à l’ouverture, et le 1952 Van der Meullen. On voit assez nettement que la mise en bouteille du 1952 litigieux ne peut pas avoir été fait dans les années 50.
le1962 et le 1975
le 1964
de bas en haut, le 1964, 1962 et 1975
le 1934 brisé en morceaux et le 1998
l’ensemble des bouchons. de gauche à droite et dans l’ordre des aiguilles d’une montre : 1966, 1952 mise chateau, 1952 litigieux, 1952 Van der Meullen / 1934 et 1998 / 1962, 1975, 1964.
le repas
la table en fin de repas