Après la « paulée » de l’académie du vin de France où tous les vignerons membres font goûter des vins du millésime le plus récemment mis en bouteilles, s’ouvre le dîner de gala de l’Académie du vin de France. L’apéritif dans la rotonde d’entrée du restaurant Laurent avec des canapés goûteux et des discussions débridées s’accompagne d’un Champagne Pol Roger Brut sans année, vin de soif qui donne faim. Il est agréable mais manque un peu de typicité. On peut aussi boire un Champagne Billecart Salmon 2004 plus expressif et goûteux que je bois rapidement car après le long apéritif on nous presse de gagner nos places.
A ma table, je suis à la droite d’Erick Orsenna venu avec ses enfants et à la gauche de Bernard Pivot venu avec sa fille et son gendre. Je vais boire leurs paroles autant que les vins du repas.
Le menu mis au point par le bureau de l’académie avec Alain Pégouret est : oreiller de la belle Aurore / homard rissolé, sauce coraline, blettes et pleurotes / canard de Challans frotté au poivre sarawak et rôti, jus perlé, pommes soufflées « Laurent » / Langres / Pavlova.
Avant que ne débute le repas Jean-Robert Pitte passe le flambeau de la présidence de l’académie à Alain Graillot vigneron de Crozes Hermitage. Vient ensuite un immense plateau porté par deux personnes sur lequel est posé un énorme oreiller de la belle Aurore, plat le plus emblématique de la cuisine bourgeoise car il demande des jours et des jours de préparation pour rassembler sous une cuisson parfaite de l’ordre de vingt-cinq composants dont des gibiers, des foies et des ris. Tous les éléments sont assemblés dans une tourte qui a la forme d’un oreiller. La recette initiale est celle d’Aurore, la mère de Brillat-Savarin.
Alain Pégouret qui s’essayait pour la première fois à ce mythe que maîtrisait Gérard Besson, le talentueux chef qui était le prince des gibiers à plumes, a frappé un grand coup car il a réalisé deux oreillers de 18 à 20 kilos chacun. La pâte qui forme l’oreiller est sculptée de lianes et leurs feuilles, avec le mot « Laurent » imposant en relief. La tourte repart en cuisine pour être découpée et servie froide.
Le repas commence par ce plat émouvant, délicieux, goûteux, voire plombant tant il est riche, heureusement rafraîchi d’une part par une gelée très prononcée et intense mais aussi par le Pinot Gris Clos Windsbuhl Domaine Zind-Humbrecht 2014. La fraîcheur du vin est idéale pour le plat lourd. Les viandes et les abats sont superbes et les notes de litchi, les fraîcheurs minérales du vin, portent le plat pour en faire un délice. Il serait en effet impossible de finir la portion pantagruélique du plat s’il n’y avait la gelée et le pinot gris. L’accord est superbe.
Le Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2008 accompagne le homard. Ce sont la sauce et les épices douces qui la recouvrent dont du safran qui vont créer le lien entre le plat délicieux et le vin. Le vin prend de la chair et de la douceur au contact de cette sauce. Et ce qui est merveilleux c’est la symbiose des deux, sauce et vin. On nous a dit dans les discours de bienvenue qu’il y avait eu des répétitions de ce dîner par le comité en charge du gala. On peut penser que le dévouement de ces saintes personnes a été poussé à l’extrême pour qu’on arrive à de telles précisions d’accords. Dans le cas de ce plat, le Beaune n’existe plus par lui-même, car il est sublimé par la sauce et devient un miracle de douceur.
Le Crozes-Hermitage La Guiraude Domaine Alain Graillot 2006 est d’une rare vivacité. Il a la noblesse d’un Hermitage. On en vient à soupçonner que le nombre de répétitions doit dépasser la centaine car la sauce du canard et le Crozes voguent de concert. La chair du canard est d’une rare tendreté, comme cuite à basse température, la sauce insistante mais fluide appelle le vin et les pommes de terre soufflées, aériennes, au sel exact, font une pause pour calibrer le palais. C’est un régal et probablement le meilleur accord de ce repas.
Le Vosne-Romanée aux Malconsorts Domaine Dujac 2006 est noble, raffiné mais aussi gourmand. L’accord avec le Langres est parfait pour mon goût mais j’ai pu sentir que d’autres convives le vivaient moins bien. Le vin est grand et trouve une dimension nouvelle dans cet accord avec un fromage à peine affiné.
Le Jurançon Quintessence du Petit Manseng domaine Cauhapé 2010 est une fontaine de fruits riches et sucrés. C’est le dessert aérien qui lui donne de la fraîcheur. Là aussi il y a symbiose entre la pâtisserie meringuée adoucie par des fruits exotiques et ce riche liquoreux.
Il est évident que les répétitions ont conduit à une exactitude des accords absolument remarquable. Ce repas est ciselé comme dans un rêve de gastronomie ultime. Et ce qui est étonnant c’est que chacun des vins n’a plus eu de vie propre. Il a vécu avec le plat, devenant le plat. Chaque vin a été sublimé par le plat qui lui a été attaché. C’est une prouesse gastronomique.
Jacques Puisais a commenté les mets et les vins, avec son langage fleuri. C’est une tradition. En fin de repas, j’ai rejoint la « table des corses » où l’on m’a tendu un verre de Chartreuse verte Liqueur du Centenaire absolument délicieuse surtout par les intonations de chartreuses canoniques que n’ont pas les VEP (vieillissement exceptionnellement prolongé).
Toute la brigade de cuisine a été chaudement applaudie. Le guide Michelin devrait se saborder s’il n’accorde pas sans délai une deuxième étoile à Alain Pégouret qui la mérite largement. Le service de table a aussi été applaudi. Un ministre invité qui ne devait pas venir est accouru aux deux tiers du repas quand il a su qu’il y avait un oreiller de la belle Aurore. En cette période de primaires politiques il a fait un discours qui fleurait bon la pêche aux voix.
Ce repas de gala de l’Académie se situe au plus haut niveau de la gastronomie française. Les concepteurs du dîner et Alain Pégouret peuvent en être fiers.