La réussite de notre voyage chez Marc Veyrat à Annecy (bulletin 158) tenait pour beaucoup au pilotage d’un de ses amis. Comme après de belles batailles, on veut se retrouver pour continuer de les évoquer. Rendez-vous est pris chez notre guide. On nous avait dit qu’il aimait cuisiner. Nous fûmes éblouis. Ce n’est pas un chef du dimanche, malgré sa profession médicale prenante, c’est un vrai, un grand. Influencé de façon certaine par Marc Veyrat, il explore des voies passionnantes et réalise des synthèses que je trouve parfois chez les plus grands des chefs, quand, comme par la grâce d’Albrecht Dürer, la simplicité du trait donne au plat et au vin une élégance quasi irréelle.
Nous commençons par un velouté paysan et radis noir, arômes de truffe blanche sur le Champagne Bollinger Grande Année 1996. Ce champagne au nez métallique à l’ouverture a une sacrée rudesse. C’est viril ! Il y a du citron vert dans ce goût, et le radis noir l’aiguise. On l’essaie aussi sur un magique foie gras de canard poêlé, lamelles de céleri rave, dont un velouté de fanes de céleri excite l’acidité. Magnifique expérience d’une subtilité rare.
Les noix de St Jacques, soupçons de vanille, salade de roquette accueillent un Hautes Côtes de Nuit Blanc « Clos St Philibert » Domaine Méo-Camuzet 2002. J’avais peur de la roquette, mais elle sut se tenir. La Saint-Jacques tirée à quatre épingles avait pour mission de rassurer et guider ce blanc. Elle le fit. Un blanc d’apparence simple, solide, peu disert, mais qui épouse ce caillou ligneux blanc avec une précision visible.
Le filet de biche, royale de foie gras à la mûre, coulis acide de betterave rouge et balsamique, mousseline de châtaigne est une création que beaucoup de chefs aimeraient adopter. Réussir que la mûre imprègne le foie gras sans l’effacer, c’est rare. La chair opportunément goûteuse fond dans la bouche.
Aimé Guibert fidèle lecteur de ce bulletin, avec qui j’échange des lettres succulentes, va sans doute apprécier ce passage. Le Mas de Daumas Gassac Rouge Vin de Pays de l’Hérault 2000, associé à ce plat aux saveurs confondantes de précision est devenu tout simplement sublime. Je jouissais de ce moment où le vin et le plat se multiplient. Chaque composante du plat ajoute un étage à une construction inimaginable de plaisir. Le vin de l’Héraut a trouvé sa fusée Ariane dans le plat. Il est beau, simple, sûr de lui, simplifié comme une calligraphie. Nous étions heureux.
Un reblochon, une tomme des Bauges, un roquefort plutôt décevant accompagnaient un vin que j’avais apporté, un Bergerac, Delpérier Frères, vers 1930. Quand il s’agit de mes vins, je suis plus critique. Malgré des évocations intéressantes, je n’ai pas aimé ce vin à cause d’un final déplaisant comme un petit gravillon qui s’obstine à squatter ma chaussure de marche.
La tarte « poire et pamplemousse » était un évident hommage au Château Lafaurie-Peyraguey 1983 dont on reconnaissait le château, mais plutôt plus léger que ce qu’on attendrait. On était tellement bien que j’ai accepté de tourber ma bouche sur un Poit Dhubh, Single Malt, 21 ans d’âge.
Je ne connais aucun cuisinier amateur qui atteigne des perfections culinaires comme celles-là.