Ça y est, après trois mois de vraie coupure puisque je ne suis jamais sorti du Var pendant cette période d’été, je me retrouve à Paris, avec ses pluies, son froid, sa circulation, mais aussi sa vivacité et sa vie. Quel sera le premier repas à Paris après cette absence ? Il me faut un symbole fort, qui se perdra sans doute dans l’espace, comme la sonde Cassini qui aujourd’hui va s’immoler sur Saturne après l’avoir fait découvrir sous des angles inédits.
Ayant le choix des armes puisque j’invite un ami, ce sera au restaurant Passage 53 du sympathique Guillaume Guedj que se fera ma rentrée. Le Passage des Panoramas grouille d’une foule plaisante. C’est le Paris que j’aime. Le restaurant est à peine visible, tant sa devanture est discrète. La salle est blanche, à la japonaise, avec très peu de tables. En attendant mon ami j’explore la carte des vins qui est probablement l’une des plus intelligentes de Paris, tant les prix sont un appel à se faire plaisir. C’est ce que nous ferons.
Guillaume Guedj nous suggère de prendre un menu dégustation où nous allons nous laisser entraîner. Il donne une indication en disant que certains plats de champignons ou de poissons pourraient convenir à un vin rouge. Comme nous serons deux je pense prendre un champagne et un vin rouge qui seront servis ensemble pour qu’on puisse profiter du plus pertinent sur chaque plat.
Voici le menu du chef Shinichi Sato que nous avons découvert sans savoir où nous allons : œuf mollet, crème de haddock et betterave / caviar de Sologne, velouté d’épinards fumés, stracciatella et morceaux d’huîtres / consommé de champignons de saison / cabillaud caramélisé et cèpes / ravioles de homard breton et poires, crème de xérès et cacao / oignon des Cévennes et chorizo ibérique / poulet jaune, girolles, sauce vin jaune / tourte au pigeon et foie gras.
Viennent ensuite quatre desserts : melon glacé, glace vanille / poires, sorbet yaourt et poire, panna cotta pistache / crème brûlée fleur de sureau, sorbet miel / glace café, oranges caramélisées et chocolat.
Ce menu est copieux et deux plats sont d’un accomplissement exceptionnel. Il serait impossible d’imaginer que l’équilibre du plat soit améliorable. C’est, toutes proportions gardées, comme le David de Michel-Ange, la perfection absolue. Il s’agit du cabillaud et de la tourte de pigeon qui a évoqué pour mon ami les tourtes de Gérard Besson, le prince des gibiers. D’autres plats sont superbes aussi mais n’atteignent pas la même sensation d’aboutissement parfait. L’œuf est gourmand, le caviar délicieux n’arrive pas à soutenir la présence d’une huître extrêmement iodée et imprégnante. Le consommé est parfait comme l’oignon. Le homard est un peu dominé par le vinaigre de xérès, le poulet est aussi très gourmand. Quant aux desserts ils sont raffinés et délicieux. C’est une cuisine qui mérite bien ses deux étoiles avec deux plats au sommet.
Le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en avril 2015 est d’une personnalité extrême. Il est conquérant, envahissant, percutant, sans concession, sauf aux plaisirs de la chère, car il est définitivement gastronomique. Il s’en sort bien avec l’œuf qui n’est pas facile pour les vins et il devient sublime sur le caviar et l’huître.
Dès que le consommé de champignons arrive, j’ai envie de goûter le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2005 dont le parfum est tétanisant. Il a en lui toutes les suggestions d’une finesse rare. Il est raffiné comme on ne peut pas l’imaginer. Il est classique de dire qu’il a tout d’un bourgogne mais il ajoute une belle force alcoolique tout en étant léger. Ce vin pianote. Et ce qui me plait, c’est qu’il s’agit d’un cheval fou, indomptable comme un mustang. Il s’accorde avec les champignons mais pas avec le consommé. Il est divin sur le homard.
L’oignon convient aussi bien au champagne qu’au vin rouge. Le poulet impose le champagne et bien évidemment la tourte est un feu d’artifice avec le Rayas.
Ce qui me plait dans ces deux vins c’est ce que sont des sauvages indomptables. Ils ne font rien pour séduire et exposent leurs originalités et leurs personnalités affirmées. J’aime l’impression de fumé du Selosse, j’aime la râpe avec des intonations de chocolat et de café en traces du Rayas. Les deux vins me fascinent car ils me disent : « cherche ce que je suis, mais tu ne trouveras pas ». On est au sommet de la Champagne et au sommet du Châteauneuf-du-Pape.
Pour un premier repas de « rentrée des classes », ce fut un magnifique et intense moment avec deux vins d’une émotion rare. Vive Paris quand il est ainsi.