De retour d’un voyage autour du monde où j’ai le plus souvent bu des bières et du champagne à bord de l’avion, je participe au salon « Vinapogée » dirigé par David Hairion qui a repris le flambeau du salon des vins matures créé à l’initiative d’Hervé Bizeul, le vigneron du Clos des Fées. Ce salon avait fédéré plusieurs vignerons pour proposer à des amateurs de boire des vins lorsqu’ils ont atteint un stade de maturité intéressant. Cette idée est partie du constat que l’on boit les vins beaucoup trop jeunes, alors qu’ils sont loin d’exprimer tout ce qu’ils ont à dire.
J’avais participé l’année dernière en offrant bénévolement de goûter quelques vins anciens de ma cave et cette année, en accord avec David Hairion, je vais animer deux ateliers pour montrer l’effet de l’âge sur le goût des vins.
Le salon ouvre au public à onze heures. J’arrive peu avant midi et je mets à l’abri les vins pour qu’ils soient à bonne température au moment des ateliers. Je vais saluer les vignerons présents et parfois je goûte certains de leurs vins. Ainsi du domaine Rolly-Gassmann je goûte le Pinot Noir de Rorschwihr, rouge domaine Rolly-Gassmann 2003 de belle vibration, fin et précis, un Moenchreben de Rorschwihr, Muscat Vendanges tardives, blanc domaine Rolly-Gassmann 2003
dont la sucrosité est pleine de charme et un Pflaenzerreben de Rorschwihr, Riesling, blanc domaine Rolly-Gassmann 2010 qui est précis et fluide mais qui me marque moins que le superbe riesling que ce domaine avait présenté il y a un an.
Le Champagne Clos des Goisses, Philipponnat 2007 est très dynamique mais à côté de lui, le Champagne Clos des Goisses, Philipponnat 2000 est une bombe de saveurs riches. La maison Pol Roger fait goûter le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 2006 dont j’apprécie la noblesse et qui est généreusement offert.
Le Château de Pibarnon apporte à lui tout seul ce qui justifie ce salon Vinapogée car quand on a goûté le Château de Pibarnon Bandol rouge 2006 et que l’on goûte ensuite le Château de Pibarnon Bandol rouge 1995 on comprend que l’âge apporte une dimension supplémentaire qu’aucun vin jeune ne peut donner. On est en plein dans l’objectif du salon.
Les vins du domaine Charles Joguet séduisent par leur précision et leur subtilité. Le Clos du Chêne Vert, Chinon rouge domaine Charles Joguet 2006 et le Clos de la Dioterie, Chinon rouge domaine Charles Joguet 2006 sont des vins distingués, pleins de charme et d’expression.
Je bois plusieurs vins du domaine Clos des Fées et j’apprécie leur finesse ciselée malgré une puissance rare. Au stand du Porto Taylor’s, le Porto Taylor’s 1966 est une merveille absolue d’une fraîcheur rare.
Huit ateliers sont organisés dans l’après-midi et j’en anime deux, avec des vins de ma cave. Le premier est un atelier sur le Maury. Avant de commencer l’atelier, je réagis à l’une des phrases mises sur le site de Vinapogée, du journaliste du vin Pierre Casamayor, qui explique le mot ‘Apogée’ : « C’est la période optimale pour déguster un vin. Cette période se compte en années après la mise en bouteille du cru. Mais comme le vin est un produit vivant sensible à son environnement de conservation, cet apogée est donné pour une bouteille conservée dans une cave à température et hygrométrie constantes. À l’origine, la notion d’apogée appartient au domaine de l’astronomie ; elle fut ensuite assimilée au point le plus haut de l’évolution de toute chose. Fort logiquement, après la période d’apogée vient une phase de déclin. » Je ne pouvais pas laisser sans réagir la dernière phrase parlant de déclin après l’apogée. Dans ma vision du vin il n’y a pas d’apogée mais un parcours du vin jusqu’à sa mort qui presque toujours pour les grands vins, vient de la mort du bouchon. Et par un funeste concours de circonstances pour montrer que le déclin n’existe pas, je prends l’exemple de Jean d’Ormesson qui à 92 ans est encore d’une insolente jeunesse d’esprit, alors qu’il allait décéder quelques heures à peine après que je l’ai cité. Les vins les plus anciens que je présente dans les deux ateliers vont montrer qu’il ne peuvent en aucun cas être considérés dans une phase de déclin.
Nous avons devant nous trois verres : un Maury Mas Amiel, Vintage Privilège 1997, un Maury 1959 de la coopérative des producteurs de Maury et un Maury 1937 de Domaines et Terroirs du Sud. Les couleurs sont très semblables, très sombres, la plus jeune étant paradoxalement celle du 1937. Les parfums sont différents, le moins plaisant étant celui du 1959, celui du 1937 étant très doux.
En bouche, le 1997 expose un fruit bien plein, une grande vivacité et un alcool fort. Le 1959 est serein, rond. C’est un Maury de consensus. Le 1937 est le plus complexe, le plus séduisant, avec des notes gourmandes d’un grand charme.
Je suis un peu déçu car je m’attendais à de plus grandes variations qualitatives pour étayer ma démonstration. Les écarts sont en fait en nuances et c’est dû à l’alcool fort de ces vins qui leur conserve une grande jeunesse. Le 1959 a été préféré par certains. Plusieurs autres comme moi, ont préféré le 1937, et un petit nombre le plus jeune. Tous ont été étonnés qu’un 1937 puisse avoir une telle vitalité. Et certains ont découvert les charmes des Maury qu’ils ne connaissaient pas. Il est à noter que les vins ouverts en début de séance se sont élargis dans les verres. Le 1959 s’est nettement épanoui et amélioré. Les trois vins sont devenus brillants.
Entre mon premier atelier et le second, Bernard Antony le célèbre fromager a présenté avec Olivier Poussier des accords fromages et champagnes. Ce fut particulièrement brillant et j’ai découvert un vin superbe le Champagne Vazart Coquart & Fils Chouilly Blanc de Blancs 1989 au final et coup de fouet spectaculaire. Par ailleurs un Champagne Charles Heidsieck Brut jéroboam 1989 d’une belle richesse et noble se montre brillant sur un camembert. A noter qu’Olivier Poussier recommande d’enlever la croûte pour les accords fromages et champagnes.
Le deuxième atelier que je propose aux inscrits est un atelier sur un sauternes le Château Lafaurie-Peyraguey, représenté par trois millésimes, 1996, 1964, 1926. Pendant que je présente l’atelier et ce que chacun doit espérer retirer de cette dégustation comparative, j’ouvre les bouteilles. Et il se produit un phénomène qui me rend honteux, mais dont je me tire avec le sourire. Le bouchon du 1964 est d’un liège poreux, qui s’émiette et colle au verre de telle façon que quoi que je fasse, c’est de la charpie qui est extirpée par mes tirebouchons. Comme je parle, je suis moins attentif aux procédures, aussi de nombreuses miettes de bouchon tombent dans le liquide. Un participant résumera avec humour la situation : « ouvrir une bouteille avec ce résultat, je crois que nous sommes capables de le faire ». J’ai retiré l’essentiel des miettes tombées et nous avons pu déguster les vins.
Le Château Lafaurie-Peyraguey 1996 a une robe très claire. Son nez est intense et c’est un beau sauternes riche et expressif avec un joli gras. Le Château Lafaurie-Peyraguey 1964 a une couleur d’un or encore clair. Il est le sauternes typique et racé, calme et dont tout est juste, parfaitement précis.
Le Château Lafaurie-Peyraguey 1926 est sombre, presque noir. Son nez est profond, intense, riche de senteurs lourdes. En bouche c’est une merveille. C’est un très grand sauternes et un très grand 1926. Ce qui fascine c’est la justesse de l’acidité qui donne fraîcheur au vin hors du commun. Pour tous c’est une découverte. Et ce vin d’une rare cohérence apporte la démonstration évidente qu’à 91 ans, il serait incongru de parler d’un vin en phase de déclin alors qu’il étale des complexités infiniment plus riches que celles des deux autres. La démonstration que je voulais est faite à 100%. Ce vin est immense.
Le salon a accueilli près de 500 personnes ce qui est un succès. Un dîner a suivi avec plus de cent personnes dont les vignerons, au restaurant Macéo. L’apéritif s’est tenu au premier étage et les vignerons présents ont généreusement partagé leurs vins. Ainsi l’apéritif a permis de boire la Cuvée Winston Churchill de Pol Roger 2006 et le Clos des Goisses de Philipponnat 2000. A table au rez-de-chaussée l’approvisionnement en vin s’est fait à la manière d’une Paulée, chaque vigneron venant généreusement faire goûter ses vins à chaque table, obligeant chaque convive à vider son verre pour goûter de nouveaux vins. J’ai beaucoup apprécié un Cahors Les Laquets, rouge Domaine Cosse Maisonneuve 2006.
Le menu mis au point entre le restaurant Macéo et David Hairion a pour thème « l’hommage au temps et à ses bienfaits » : huiles d’olive de la famille Hugues, les toutes nouvelles, le fruité vert et les olives maturées / jambon ibérico Bellota superior reserva ‘Don Agustin’ 36 mois / foie gras de canard cuit très lentement par Michel Dussau de La Table à Agen / Viandes de bœuf de deux âges accompagnées de pommes de terre ‘tapées’ de Fabien / comté de grande garde et comté de garde exceptionnelle par bernard Antony / tarte fine aux pommes caramélisées du verger.
La fatigue de mon récent voyage m’a poussé à écourter le repas que j’ai quitté avant les fromages non sans avoir goûté avec un infini plaisir un vin apporté par Michel Bettane, un Meursault 1981 fait par le père de Dominique Lafon absolument exceptionnel de mâche gourmande de de gouleyant.
La cause des vins anciens ou à maturité progresse. Il faut agir encore et encore pour que cette croisade porte ses fruits.
Le plateau repas du midi pour les vignerons (et moi aussi)
l’atelier d’Olivier Poussier et Bernard Antony
les photos des vins de mes deux ateliers sont sur l’article qui suit
le dîner