Une nouvelle fois un dîner à domicile, en jeune compagnie. On commence par un champagne de famille. Mon grand père achetait ce champagne, sans doute parce qu’une cousine éloignée avait épousé le vigneron (est-ce vrai ?), mon père l’achetait aussi, et j’ai continué. Ce Léon Camuzet de Vertus 1979 est un bon champagne. Dans chaque famille il y a un champagne qui forme le goût. On juge tous les autres à travers lui. Celui-ci est naturellement sec, avec une jolie rondeur. Aussi vieux, il y a un risque, car les bouchons sont souvent trop courts. Là, pas de trace de madérisation. Juste une bulle plus discrète. Un signe de sa grande qualité : je l’ai bu de nouveau derrière le Salon, et il était encore agréable. Salon aurait tué un champagne banal.
Le Champagne Salon « S » 1983, c’est mon chouchou. Ce qui a bluffé cette studieuse assemblée, c’est l’invraisemblable longueur de ce champagne. Il est fort, vineux, profitant de son âge pour se renforcer, et ne veut plus quitter la langue, tant il laisse une trace indélébile. Mon chouchou. Sur un excellent foie gras, deux vins radicalement opposés. Un Scharzhofberger Riesling Auslese, Sanctus Jacobus 1983, Qualitätswein mit Prädikat,Trèves. Beau nez avec cette petite touche de pétrole, cette couleur de citron vert, et ces saveurs citronnées si complexes. Beau mariage avec le foie gras. Puis, un Cérons, Château de Chantegrive 1995, médaille d’or au concours général agricole en 1997. Il est d’une puissance rare, presque trop forte. Mais les saveurs épicées de ce breuvage dense et doré se marient si bien avec le foie gras. Là où certains amateurs ajoutent du poivre pour animer le foie gras, c’est le Cérons qui l’apporte. C’est fort comme un Sauternes, en plus « fumé ». Beau succès de l’appellation.
Le vin suivant a une histoire : Château Lagarette, Premières Côtes de Bordeaux 1999, Cuvée Renaissance élevée en fûts de chêne, Minvielle 12,5°. Lorsque le Monde du 9/10 est paru, vers 16 heures le 8/10 au centre de Paris, j’ai reçu deux ou trois mails me demandant si j’avais vu l’article sur Alain Senderens où l’on cite wine-dinners. Et, dès 17h, Olympe Minvielle me demandait où elle pourrait m’adresser un exemple de son vin. Je l’ai reçu le 9 au matin ! En même temps que le journal ! Cette célérité extrême méritait que l’on goûte ce vin pour en parler dans un bulletin. A l’ouverture, un nez incroyablement bien fait. C’est évidemment légèrement trop tannique, mais la valeur du terroir permet que l’on ne tombe pas dans les tendances à la mode. Un fait qui ne trompe pas : j’en ai bu après 24 heures d’oxygénation. C’était encore très beau. Un Première Côtes qui se surpasse, et bien. Certainement un vin à considérer sur la durée. Le Magnum de Côte Rôtie Les Jumelles Paul Jaboulet Aîné 1983 nous ramenait sur des terres connues, et il me permettait d’effacer l’oubli (l’absence sans doute) que j’avais eu lors du dîner précédent. On a avec ce vin le plaisir de la simplicité. C’est du vin bien fait, sans chichi qui vous dit : »tu veux du bon vin ? Me voilà ». C’est chaleureux, sans complication, mais ça emplit la bouche avec un bonheur d’autant plus grand qu’on comprend tout. C’est du Rabelais. Les deux rouges avaient accompagné un gigot de onze heures fondant avec une belle harmonie. Les gorges s’étant assez vite assoiffées, j’ai ouvert Château Figeac Saint-Emilion 1983. C’est immense. En Saint-Emilion, il y a Cheval Blanc qui peut être extraordinaire, ou peut laisser sceptique s’il n’est pas parfait. Il y a Ausone, diva qui n’accepte de chanter que si on la supplie. Et puis il y a Figeac qui est généreux tout le temps. Et ce 83 est maintenant parfait. Ayant passé en revue les fonds de vin le lendemain, c’est Figeac qui a étalé le plus de richesse épanouie. Un vraiment grand vin.
Sur une merveilleuse crème au chocolat et caramel, un de ces accords de rêve : Klein Constantia, Vin de Constance Afrique du Sud 1996, 14°. C’est joliment botrytisé, et cela promet au vieillissement. Le dessert l’a particulièrement mis en valeur, par la complexité des saveurs mêlées. .
Pour remettre les esprits en place, s’il le fallait, une Bénédictine DOM 43° de l’abbaye de Fécamp, vers 1930 est un moment de pur bonheur. Comme je l’ai déjà suggéré, on s’imagine en vache sacrée autorisée à brouter les herbes du nirvana.