Valérie Costa était chef du restaurant La Promesse, qu’elle dirigeait avec son mari Jean-Marc. Ils ont pris une décision d’une importance extrême pour leurs vies : ils ont vendu tout ce qu’ils possèdent pour aller diriger la restauration d’un hôtel de luxe dans une minuscule île polynésienne. La probabilité de les revoir s’amenuise, aussi ma femme et moi les invitons à dîner au restaurant de l’hôtel du Castellet. Valérie connaît depuis toujours Christophe et Alexandra Bacquié. Le chef a obtenu depuis quelques mois sa troisième étoile. C’est aussi l’occasion de voir comment a évolué sa cuisine, à la suite de sa promotion.
L’hôtel est installé dans un vaste espace de verdure puisque le parcours de golf est en continuité immédiate de la pelouse. La terrasse propre au restaurant gastronomique est agréable et spacieuse. Etant arrivé en avance, je bavarde avec le chef-sommelier Romain Ambrosi pour choisir les vins du repas, sachant que j’ai été autorisé à apporter une bouteille.
Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2006 est d’une belle opulence, joyeux, facile à vivre. J’aurais tendance à penser que le 2005 est plus vif que celui-ci. Le 2006 est très agréable mais manque peut-être de vibration. Il est presque trop confortable. Il va convenir parfaitement aux préparations d’apéritif.
Dès la première bouchée d’un minuscule gâteau d’une recette locale, on sent que l’on est dans le plus haut niveau gastronomique. Toutes les saveurs sont claires, lisibles, précises et compréhensibles. Dans les diverses présentations aucune complexité n’est présente pour être complexe, mais pour être cohérente avec les saveurs qui l’accompagnent. Ça s’annonce bien. On se régale.
Nous passons à table dans la salle à manger à la décoration minimaliste et assez froide. Deux menus sont possibles et le nombre de plats par repas peut varier. Nous prenons le menu « au fil des années » à cinq plats : aïoli moderne, légumes de nos maraîchers locaux, poulpe de Méditerranée / Gambon écarlate juste snacké, la quintessence des têtes / saint-pierre en filet, jus d’oignon, huile de tagète / pigeonneau au sang « excellence Mieral » cuit en pâte à sel épicée, jus acidulé au vinaigre de myrte sauvage / le pamplemousse, eau à la baie des Batak / soufflé chaud Cazette, crème glacée aux grains de café torréfiés.
En attendant le premier plat, on nous offre un pain absolument gourmand que l’on peut accompagner d’un beurre de bonne qualité et d’une fleur d’huile exceptionnelle du moulin du Partégal à La Farlède, huile bio.
Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 2005 est beaucoup plus vif et tranchant que le Taittinger. En fait, ce sont deux champagnes très différents, qui ne visent pas les mêmes émotions. Le Taittinger est confortable et le Clos des Goisses est hautement gastronomique. Il réagit à chaque saveur. L’aïoli est délicieux et les morceaux de poulpes dont divins.
Valérie et Jean-Marc veulent offrir un vin blanc et commandent un Puligny-Montrachet Domaine de la Vougeraie 2015. Ce vin, bien que jeune, a une acidité d’un rare équilibre. Il offre des bouquets de saveurs raffinées et il va provoquer le plus bel accord de la soirée en étant associé à un superbe saint-pierre. Je suis aux anges face à ces subtilités de grande délicatesse. Le vin blanc est absolument plaisant par le dosage de ses variations gustatives. Nous vivons un grand moment de bonheur.
Le pigeon est joliment présenté, mais la chair des suprêmes manque un peu de mordant. J’aime le pigeon un peu plus sauvage. Le Vega Sicilia Unico 1989 que j’ai apporté est d’une belle richesse. C’est un vin plein qui trouve avec la cuisse de pigeon une résonnance beaucoup plus forte qu’avec les filets. Le vin espagnol est noble, mais il n’a pas la fraîcheur mentholée que j’adore, qui est offerte par de plus jeunes millésimes.
Il reste suffisamment de vin pour que nous allions regarder du côté des fromages. Une salle leur est consacrée, comme une cave à température contrôlée où mûrissent de très nombreux fromages. Jean-Marc a pris une variété de fromages plus large que ce que les vins peuvent accepter alors que je me suis concentré sur des goûts très proches de ceux du camembert, pour accompagner le Vega Sicilia.
Vient alors le temps des desserts. Tout est tentant, le pamplemousse aussi bien que le soufflé chaud, mais dans un ballet qui n’en finit pas on nous a servi des dizaines de desserts plus aguichants les uns que les autres. Le dicton affirme : « abondance de biens ne nuit pas ». C’est faux, car cette avalanche de desserts gourmands est excessive. Trop, c’est trop pour nos capacités d’absorption.
Que dire de cette expérience dans ce restaurant ? Romain est un sommelier sympathique et très compétent. C’est un plaisir de vivre le repas avec son service et ses conseils. Dans la carte des vins très bien fournie il y a évidemment des prix exorbitants, mais il y a aussi un très grand nombre de vins à des prix mesurés. Des bonnes pioches sont possibles.
Christophe Bacquié fait une cuisine qui est réellement de trois étoiles. Les goûts des amuse-bouches de l’apéritif sont d’une précision qui fait plaisir. La soupe de poisson servie dans un verre est une merveille, très typée. L’aïoli est une belle réussite notamment par les poulpes. Le saint-pierre est magnifique et goûteux splendidement aidé par le Puligny. Pour mon goût le pigeon n’était assez sauvage, les fromages un peu trop affinés, et les desserts trop copieux. Ces remarques sont « à la marge », car ce dîner fut de très haut niveau. La salle à manger mériterait une décoration plus moderne et plus vive.
Lorsque nous reviendrons ici, car nous en avons envie, nous penserons à Valérie et Jean-Marc qui vont s’installer sous des cieux où il fait toujours beau, où les gens sont souriants, et où ils pourront développer une belle cuisine au bout du monde.
Comme Arnaud Donckele de la Vague d’Or qui a aussi trois étoiles, Christophe Bacquié appuie sa cuisine sur ses racines et son histoire. La quête de l’authenticité historique des recettes et des goûts est certainement un facteur qui participe au succès de ces deux chefs.
la salle des fromages
les desserts (quelques uns)