Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919, Château La Conseillante Pomerol 1947, Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997, Léoville Las Cazes 1979 et bien d’autres
J’arrive au restaurant du Pré Catelan pour ouvrir les bouteilles du 62ème dîner de wine-dinners. Une chose me trotte dans la tête. Je venais de déjeuner chez Laurent il y a quelques jours et j’y avais rencontré par hasard Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde, conseiller du groupe Lenôtre. Il m’avait dit alors : je vais mettre les deux rouges de 1979 ensemble et les deux anciens ensemble. Surprise, car si je ne l’avais vu par hasard, je ne le saurais pas. Opposer sur un plat un bordeaux et un bourgogne, et ce deux fois de suite, j’accepte, car on apprend de chaque expérience. Ce sera une première. J’en tirerai des leçons. Mais finir le repas sur un Gewurztraminer quand il y a Yquem au programme, là, on ose !!!
Je veux vérifier à l’ouverture si cette innovation se justifie. Le Gewurztraminer est une explosion d’odeurs. Pour moi c’est du litchi alors qu’on lui destine un dessert à la mangue. Voilà qui va encore compliquer les choses. L’Yquem dégage un parfum d’une telle distinction qu’on ne voit pas pourquoi ne pas lui donner le mot de la fin. D’autant qu’un fromage calmerait l’ardeur du tout fou Hugel, quand la mangue irait logiquement au cœur d’Yquem, avec ces arômes de mangue et abricots si rassurants. Comme j’aime les découvertes, les innovations, nous verrons.
La plus belle bouteille, malgré la déchirure de l’étiquette, c’est celle de Domaine de Chevalier blanc 1947. Et les senteurs les plus éblouissantes sont celles de La Conseillante 1947, d’une pureté de ton invraisemblable, et celle du Grand Chambertin, odeur prodigieuse. Ces deux vins seraient à montrer dans les écoles,pour qu’on puisse apprendre ce qu’est une odeur parfaite. Assis devant ces deux flacons d’immédiat après-guerre, La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin qui est de 1919 et non de 1929 comme annoncé, je songe : j’ai devant moi ce qui peut se rêver de mieux, si l’on parle de l’odorat. Et ça me suffit. Je n’y trempe pas mes lèvres, ce sera pour ce soir, mais ces senteurs quasi irréelles suffisent à mon bonheur.
Le Henri Jayer attend son heure et n’en révèle pas trop. Le Las Cases lui aussi cache ses cartes (il a un joli bouchon efficace). Le Rayas a déjà le pied sur l’accélérateur.
Frédéric Anton est venu plusieurs fois sentir ces vins magiques et cela me plait qu’un chef s’y intéresse. Ce fut sans doute une des plus belles séances d’ouverture des vins, moment que j’apprécie, car je vois comme chaque vin se présente, dans le simple appareil olfactif de sa sortie de sommeil, et je m’en souviendrai quand il fera son exposé, orateur à la voix posée quand le plat le lui demandera. L’émotion des ouvertures est enrichissante et très forte pour moi.
Le menu mis au point par Frédéric Anton et Olivier Poussier est le suivant : Amuse-bouche, Royale de foie gras / Oursin, finegeléeaupaprika, aromates vinaigrés, Zéphyr / Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe » / Osàmoelle, l’unparfumédepoivrenoiretgrilléencoque, l’autrefarcid’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti / Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits / Chevreuil, poêlé, saucepoivrade « PoivreetGenièvre », pâtes au beurre demi-sel ettruffe noire / Fromages bleus / Mangue aux épices. C’est une très large palette des talents de Frédéric Anton.
L’assemblée est composée d’un couple de luxembourgeois amateurs de vins, d’un ami grec et armateur, ce qui est presque un pléonasme, accompagné d’un autre armateur mais canadien, une journaliste qui travaille pour une revue américaine de luxe, la plus fidèle participante de ces dîners arrivée la première pour une fois (incroyable) et son ami qui accueillaient un autre couple. A part mon amie, huit novices de ces dîners ont repoussé de très loin l’année du plus vieux vin qu’ils aient jamais bu.