Nous nous rendons à pied au restaurant Le Millésime avec nos musettes respectives. Nous avons un salon pour nous tout seuls aussi puis-je immédiatement procéder à l’ouverture de mon vin, qui est venu en voiture avec moi et a donc été agité. Imaginant que je bénéficierais d’une verticale extensive du Musigny, j’avais pris avec moi un vin pour qu’il permette une comparaison avec les plus vieux, mais dès mon arrivée au domaine, Jean-Luc m’avait dit que les réserves du domaine sont maigrelettes et que l’âge des vins du repas ne serait pas canonique. Tant pis, il faut prendre les choses telles qu’elles viennent, sachant que la générosité est là, puisque Jean-Luc Pépin est l’un des plus généreux lors des dîners de vignerons que j’organise chaque année. Mon vin a un bouchon qui vient bien, d’une grandes souplesse qui laisse penser qu’il est plutôt de 1948 / 1950 que de l’année du vin, résultant probablement d’un rebouchage. Le parfum est splendide. De peur qu’il ne s’évanouisse du fait du chahut du voyage, il sera goûté en premier.
Le menu que je choisis est : queue de cochon en robe des champs, pulpe de haricots tarbais / fusette de filet d’oie, jus aux épices du Maghreb et pulpe de pois chiches.
La bouteille que j’ai prise en cave car je l’avais repérée et j’en attendais une belle surprise est une bouteille dont on ne voit que l’année, 1918. Comme on vient de passer une semaine à ne parler que de la future commémoration de la grande guerre, j’ai eu envie de l’apporter au domaine de Vogüé, domaine pour lequel j’ai les yeux de Chimène, ces yeux pleurant parfois sur l’inaccessibilité financière des vieux millésimes. L’étiquette de mon vin est en lambeaux mais en faisant un travail de Champollion, je risquerais ce nom : Chambertin Thomas Bassot 1918 car il y a des lettres qui rendent cette hypothèse probable.
Le nez est très joli, très doux. En bouche, le vin est très doux, il a un peu de pruneau, il est velouté. J’ai peur qu’il ne décline, mais en fait c’est le contraire qui se produit. Il se renforce, prend de la consistance tout en gardant un charme velouté et doucereux.
Le Bourgogne Blanc domaine Georges de Vogüé 1995 a un caractère lacté. Il est capiteux, opulent et généreux et s’associe très bien à la queue de cochon.
Le Chambolle Musigny Les Amoureuses domaine Georges de Vogüé 2007 est frais, d’un beau fruit généreux mais gracile. C’est un vin très plaisant. Il n’a pas beaucoup de puissance mais il a la spontanéité du fruit rouge. Il ressemble au 2012 que nous avons goûté en cave.
Le blanc fait lourd et pesant après le rouge. Il a un beau fruit jaune clair mais on sent les vignes jeunes. Il y a un peu de litchi. Le vin est capiteux.
Le 2007 auquel on revient est un vin de très grand plaisir. Il a un final en coup de fouet minéral.
Le Musigny Vieilles Vignes domaine Georges de Vogüé 1996 a un nez superbe et profond. C’est un vin intense, riche mais de très grande subtilité. Sur l’oie, il ne cherche pas à s’imposer. François évoque, et c’est vrai, la peau blanche de pamplemousse. Le vin est riche, très gastronomique, rafraîchissant.
Le 1918 progresse et progresse, prenant de l’ampleur. Le 2007 confirme sa fraîcheur extrême.
Le Bonnes-Mares domaine Georges de Vogüé 1980 a une couleur plus tuilée. C’est Alain Roumier qui a fait ce vin de 1956 à 1985. François Millet a pris sa suite en 1986. Ce vin a des caractéristiques de vin ancien, sans doute un peu plus que ne devrait son millésime. Il a des aspects de griotte et de kirsch mais aussi de bois marin car le sel affleure.
Sur l’oie, la fraîcheur du 1918 est incroyable. En résumé, le 2007 est très frais et aérien, le 1996 a une belle puissance et un grand équilibre, le 1980 s’améliore et perd un peu de son caractère évolué et le 1918 est magnifique avec une tenue exemplaire. Sa tension est inimaginable et son fruit très vivant.
Je quitte mes hôtes à toute vitesse, car je dois participer à une émission sur France Culture qui parle de bonne chère et de bons vins, ce qui ne m’empêche pas de les remercier pour le temps qu’il m’ont consacré et pour leur générosité. Le restaurant est agréable et le service attentif. Croisant au retour Frédéric Mugnier je lui dis que c’est assez curieux qu’au cœur de l’aristocratie viticole de la Bourgogne le restaurant ne fasse pas une cuisine plus simple qui se met au service des vins si prodigieux qui l’entourent. La cuisine est bonne. Mais elle doit comprendre qu’elle est au service des vins miraculeux de sa région et de sa commune !
Cette immersion dans le monde de Vogüé, par ses vins jeunes et par ses vins plus mûrs à table fut une grande réussite.
Le 1918 à déchiffrer. Merci pour vos éventuelles suggestions.