En continuant l’inventaire de la cave de la maison, je trouve évidemment des bouteilles dont les niveaux ont baissé mais j’ai aussi la belle surprise de voir des bouteilles très anciennes qui ont conservé un niveau dans le goulot pour les bordelaises, et à moins de quatre centimètres du bouchon pour les bourguignonnes. Pâques approche et il me paraît opportun de fêter Pâques et le confinement avec du vin.
Je remonte de cave deux demi-bouteilles qui ont des niveaux très bas ou trop bas. Je commence par ouvrir la demi-bouteille de Château Mouton-Rothschild 1948. Le niveau est sous le bas de l’épaule ce qui s’exprime dans les catalogues des maisons de ventes aux enchères par ce mot terrible « vidange ». Ce Mouton est donc « vidange ». La capsule se déchire lorsque je la découpe, car le centre est collé fortement au haut du bouchon. Le bouchon vient entier. Il est d’une qualité superbe, mais hélas, ça n’a pas suffi pour qu’il joue complètement son rôle puisqu’il y a eu trop d’évaporation.
Le parfum me rassure sur un point, il n’y a aucune trace de bouchon. Le nez est discret, mais semble indiquer que le vin n’a pas de défaut. Par précaution je remets le bouchon au-dessus du goulot pour éviter une aération trop rapide de ce vin fragile.
La demi-bouteille de Château Beychevelle 1929 a un niveau basse épaule, ce qui est beaucoup moins risqué que pour le Mouton. Le bouchon vient entier mais en trois morceaux, car au centre du goulot il y a une surépaisseur à l’intérieur du cylindre, qui bloque la montée du bouchon. Le nez est manifestement très prometteur, annonçant probablement un grand vin.
Ma femme a préparé un coquelet cuit au four et badigeonné d’une fine pellicule de miel à la truffe noire. Il sera accompagné d’un gratin de pommes de terre au parmesan. Les deux vins ont profité de trois heures d’aération, celle du Mouton étant réduite par précaution.
Le Château Beychevelle demi-bouteille 1929 a un nez discret, subtil et raffiné. En bouche, les qualités du parfum se retrouvent à l’identique. Le vin est charmeur, c’est un gentilhomme. C’est incroyable à quel point je suis sensible à sa séduction. Je me sens si bien avec lui.
Le Château Mouton-Rothschild demi-bouteille 1948 a un nez qui s’est affirmé. C’est un vin conquérant. En bouche, il est beaucoup plus affirmé, plus viril que le Beychevelle. C’est un vin puissant et riche. Si le finale est à peine imprécis, cela ne gêne pas la dégustation. Comment est-ce possible qu’un vin au niveau aussi bas, ce qui normalement le condamne, soit aussi présent et gratifiant ? La magie du vin me surprendra toujours.
Les vins sont très différents et beaucoup d’amateurs, choisiraient le plus riche, celui qui a le plus de matière. Mais je ne peux pas m’empêcher de succomber au charme tétanisant du Beychevelle et je m’observe, me demandant comment je peux être aussi énamouré pour ce vin. C’est sans doute l’effet du millésime 1929 que je porte aux nues.
Les deux vins se comportent parfaitement jusqu’en fin de bouteille. Il y a une belle lie noire pour chacun des deux. La magie de Pâques a permis que ces deux vins me ravissent, au-delà de ce que je pouvais espérer.
la couleur du Mouton est à gauche