Charles, un ami fidèle de mes dîners, a convié des amis à l’un de mes dîners. Comme pour le 244ème dîner, ce dîner était prévu au deuxième trimestre 2020 et a dû être reporté au deuxième semestre, confinement oblige. Le dîner sera la semaine prochaine. Charles a envie de partager une belle bouteille avec moi au restaurant Lucas Carton. Il me suggère d’apporter un de mes vins. Nous nous retrouvons à deux dans le magnifique décor de Majorelle.
Charles a prévenu le chef Julien Dumas de notre présence et convenu avec lui que le menu serait fait en fonction des vins. Nous prenons un des champagnes servis au verre qui est un Champagne Pommery Cuvée Louise 2004. Il est extrêmement confortable. Droit, simple et lisible il offre un charme et une sérénité bien sympathiques.
Nous ne saurons rien à l’avance du repas, dont voici le menu : amuse-bouche à l’étrille / amuse-bouche au champignon et calamar / maigre, poire et moutarde / thon rouge, prune / Culoiselle, tournesol, pourpier / chocolat vinaigre / petits fours.
J’ai apporté une bouteille que je chéris particulièrement, un Corton-Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. La couleur du vin est très claire, presque verte de jeunesse. Le parfum est un envoûtement. Il est si complexe et si fort. En bouche, le choc est extrême. On se sent projeté au Paradis. Ce vin est la perfection même, malgré sa jeunesse, car il offre des complexités infinies. Il y a des notes de citron de Menton, d’eau fraîche de montagne qui rebondit sur des pierres rondes, des touches de soleil et ce sentiment qu’il hésite entre joie profonde et stricte retenue. Il est insaisissable et si plein. Il est à l’aise avec tous les plats, devenant très large sur les champignons, et tranchant sur le thon. Ce vin parfait est un miracle.
L’un des sommeliers que je connais depuis des années m’a reconnu, ce qui a permis de discuter de la préparation du Chambertin Domaine Armand Rousseau 2015. J’ai souhaité que la bouteille ne soit ouverte qu’au moment où le vin doit entrer en scène, pour que nous profitions de l’éclosion du vin dans nos verres. C’est ce qui fut fait. Le résultat me plait énormément, car aux premières gorgées, le vin est fragile, délicat, subtil et ce n’est que plus tard qu’il s’élargit. Et ces premiers moments sont divins.
Le vin est grand, aux muscles longs comme ceux d’un coureur de marathon. Il est brillant, conçu pour un avenir radieux mais déjà joyeux et généreux. Toutes ses subtilités sont cohérentes. Il est fin et tranchant, avant de s’élargir et offrir une palette large. La poularde est divine pour le vin.
Nous avons goûté deux des vins phares de la Bourgogne, faits par des vignerons parmi les plus grands des plus grands. Chaque gorgée était un régal de raffinement.
Dès la première bouchée des petites préparations d’amuse-bouche, on sait que le chef a du talent. Tous les plats sont cohérents, même lorsqu’ils sont très osés comme les champignons présentés avec de fines tranches de calamar. Il y avait du raifort avec le maigre, et ça se concevait. Je crois n’avoir pas souvent vu un tel esthétisme dans le choix des assiettes qui portent les plats. Les subtiles couleurs sont idéales pour chacun des plats. Cette cuisine intelligente est aussi une cuisine de goût.
Julien Dumas est venu s’asseoir à notre table en fin de repas. Je lui ai dit que sa cuisine a beaucoup de points communs avec celle du Clos des Sens de Laurent Petit. C’est évidemment un compliment. Dans ce lieu chargé d’histoire nous avons passé un déjeuner de grande qualité dans une ambiance amicale et avec des vins d’exception.