Un ami italien est à Paris. C’est un fidèle de mes dîners. Il a notamment participé à deux dîners au château de Saran et à un ou deux dîners au château d’Yquem. Il m’envoie un message proposant de déjeuner ou dîner ensemble dans des restaurants prestigieux. Je choisis de le rejoindre à dîner au restaurant Kei, le soir où le Président Macron va nous annoncer des mesures de confinement.
Le dîner est organisé pour commencer à 18 heures et finir vers 20 heures, couvre-feu oblige. Les mesures de protection contre le virus sont particulièrement bien gérées dans ce restaurant. Trois menus sont possibles et nous choisissons le menu « Harmonie Collection – Composition Horizon ». La carte des vins est relativement peu fournie et comprend des prix très élevés lorsque l’on regarde les vins les plus emblématiques. Mais comme dans toutes les cartes des vins, il y a de bonnes pioches.
Pour l’apéritif, nous prenons un Champagne Version Originale Jacques Selosse dégorgé en octobre 2013, qui accompagnera aussi les premiers plats. Ce champagne un peu ambré a un nez très typé et intense. En bouche il est sans concession, et comme le parfum, intense, profond, de forte personnalité. C’est un champagne de gastronomie, noble et complexe dont j’aime le style.
Le menu que nous avons choisi ne nous est pas communiqué. Nous en recevrons les intitulés en fin de soirée : granité au Shiso rouge / tartelette yaourt, sardine espagnole, oignon rouge / concombre au miso, gougère à la crème de parmesan / le jardin de légumes croquants, mousse de roquette, émulsion de citron, vinaigrette de tomates et crumble d’olives noires et amandes / gnocchis crème de parmesan, jambon Bellota, truffe blanche d’Alba / langoustine façon Bloody Mary, caviar Shrenki et quinoa croustillant / le bœuf Wagyu, poireaux grillés, condiment moutarde, raifort et cresson, en tartare, écume de tomate épicée, charbon végétal et caviar / le pigeon de Vendée au miso, figue rôtie / émulsion de brebis et chèvre, glace au cassis et miel d’acacia / vacherin façon Mont-Blanc, sorbet yuzu / tarte Tatin caramel / guimauve glacée piña colada, tartelette caramel et nougatine.
J’ai une grande admiration pour la cuisine du chef Kei et l’obtention d’une troisième étoile est pleinement justifiée, mais ce soir le style des plats m’a un peu dérouté, comme si le chef, au lieu de garder la pureté épurée des chefs japonais avait orienté sa cuisine sur l’opulence et les complexités. Le jardin de légumes, de jolie présentation et annoncé comme plat emblématique du chef, a une mâche déroutante car les morceaux de légumes, trop longs, sont difficiles à manger. Et la confusion des goûts nuit à la cohérence. La truffe blanche d’Alba coupée en trop fines lamelles, est presque éteinte malgré sa qualité. La langoustine, noyée dans une crème très forte, écrase le caviar qui devient muet. La langoustine seule est magnifique, le caviar seul est fort bon, mais la combinaison rend le caviar inexistant. De ce fait, si les délicieux amuse-bouches ont fait briller le champagne Selosse, il n’y a pas eu de vraies occasions pour la Version Originale de briller sur les plats suivants.
Heureusement la suite du repas fut d’une extrême qualité. Je suis très content que le compétent sommelier ait approuvé mon désir que le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2006 soit ouvert au dernier moment, juste à l’apparition des délicieuses viandes. Je pensais que Rayas 2005 est la référence absolue de ce vin, aussi suis-je agréablement surpris de voir ce 2006 absolument brillant, serein impeccablement construit. C’est un grand vin plein d’ampleur et de joie. Le gras du wagyu le fait chanter et le délicieux pigeon met en valeur sa noblesse.
Avec mon ami nous nous sommes félicités d’avoir choisi ces deux grands vins. Comme j’ai la meilleure image possible du talent du grand chef, il faudra que je revienne pour vérifier si mes avis méritaient d’être aussi critiques. Nous avons passé une excellente soirée dans ce beau restaurant cher à mon cœur, avec Gérard Besson et maintenant avec Kei.
le menu est froissé !