Premier de trois dîners avec mon filslundi, 9 novembre 2020

Pendant le premier confinement de mars à juin, j’avais profité du temps disponible pour inventorier la cave de ma maison que je n’utilisais quasiment plus car je prélevais les vins sur la grande cave. Pour chaque bouteille de la maison j’ai noté le niveau du vin dans la bouteille et parfois des commentaires ont été ajoutés. Pour deux bouteilles, j’ai noté : « à boire avec mon fils ».

Pour la première fois depuis huit mois mon fils qui vit à Miami vient en France. Il avait l’habitude de venir chaque mois pour prendre les dispositions qui s’imposent dans la société familiale dont il est le gérant et il lui semble opportun, malgré les dangers de la deuxième vague du virus, de venir s’occuper de la société. Nous allons le recevoir à la maison pour le week-end.

Je vais naturellement chercher les deux bouteilles que j’avais repérées et destinées à être bues avec mon fils. La première est une bouteille bourguignonne très opaque, sans aucune étiquette, et ornée d’un médaillon en verre gravé évoquant des armoiries ducales. La couronne ducale est très nette, et les lettres au centre forment un dessin assez incompréhensible. Le haut du goulot est recouvert d’une cire qui a craquelé et s’est érodée. La bouteille soufflée me fait supposer qu’il s’agit d’un bourgogne du 19ème siècle. Ayant en cave miré la bouteille avec une lampe, j’ai vu un liquide clairet qui pourrait très bien être celui d’un bourgogne rouge assez clair.

J’ouvre la bouteille vers 16 heures pour le dîner et le bouchon vient en charpie, mais sans difficulté. Je sens le vin et quelle surprise ! Il ne s’agit pas d’un vin mais d’un alcool et en y repensant quelques heures plus tard, j’aurais peut-être pu penser que ce n’était pas un vin rouge. Mais m’attendant à trouver un vin rouge, je n’avais pas de raison majeure de réagir.

Alors que je ne verse jamais un verre pour contrôler les vins que j’ouvre, car je veux que le vin profite au mieux de l’oxygénation lente, je verse une petite quantité dans un petit verre. La couleur est belle et ambrée. Au goût comme au nez c’est un marc, un marc raffiné et noble, très en douceur mais d’une force alcoolique extrême. Quelle surprise !

Le deuxième vin que je destinais à mon fils est un Châteauneuf-du-Pape Réserve des Camériers (marque déposée) Arnaud Berger Négociant à Sorgues 1947. Et comme en le prélevant en cave j’ai vu un Gigondas lui aussi Réserve des Camériers, j’ai décidé qu’on l’ouvrirait aussi, avant même que je n’aie la surprise de voir que la bouteille antique n’était pas du vin rouge. L’idée que je partage un vieux Gigondas avec mon fils m’excite beaucoup.

A l’ouverture, les deux bouchons viennent en morceaux mais sans problème et sont sains. Tout indique que le Gigondas est de la même période que le Châteauneuf. Le nez du Gigondas est simple et cohérent, sans grande complexité. Le nez du Châteauneuf est envoûtant, d’une rare complexité et évoque un vin de Bourgogne raffiné.

Vers 19h30 l’apéritif commence avec une délicieuse rillette, de la poutargue, et un camembert. Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cave Privée 1980 est absolument délicieux, d’une très jolie acidité. Il est vif, tout en étant courtois. Il est d’une grande élégance. Je suis étonné de lire que nous buvons la bouteille numéro 1096 sur 1341. Comment est-il possible que l’on ait fait aussi peu de ce champagne en « Cave Privée » ? Il a été dégorgé en 1986 et dosé à 9 grammes. Il est absolument charmant et racé et mon fils qui n’a pas eu l’occasion en huit mois de boire un champagne de cette qualité est aux anges.

Le repas consiste en des joues de bœuf aux carottes qui ont mijoté depuis deux jours et ont embaumé la cuisine. La chair est fondante et les carottes sont des bonbons. Le Châteauneuf-du-Pape Réserve des Camériers Arnaud Berger Négociant à Sorgues 1947 est absolument exceptionnel. Quel grand vin. Ce qui frappe toute de suite c’est qu’il est intemporel. J’imagine volontiers que s’il était ouvert dans cinquante ans, il serait strictement le même. Car il a atteint une plénitude totale. Il est riche comme un grand Châteauneuf, et bourguignon comme le serait un Rayas. On se situe dans l’aristocratie absolue du Rhône et c’est le temps et le millésime qui ont anobli ce vin. L’accord avec la viande fondante est sublime.

Le Gigondas Réserve des Camériers Arnaud Berger vers 1947 est d’une couleur beaucoup plus claire que la couleur intense de son voisin. En bouche il est simple, carré, et c’est une heureuse surprise, car on se dit que s’il était servi seul, on le trouverait fort à notre goût.

Il est tentant ensuite de goûter au Marc de Bourgogne vers 1850 date qui correspond à ce que l’on a pu trouver de plus proche sur internet. J’aurais volontiers dit que ce marc est de 1890 ou alentour, mais les bouteilles les plus proches sur internet évoquent 1850. On ne se battra pas sur ce point. Ce marc est assez extraordinaire car il a le caractère râpeux du marc mais anobli par un côté un peu doucereux. Il a une forte personnalité et la noblesse de son écusson.

Comme nous sommes d’humeur joyeuse après avoir bu un Châteauneuf aussi exceptionnel, je cherche parmi les alcools ouverts une Tarragone des Pères Chartreux qui pourrait être des années 30 ou 40 dont il restait peu de chose. Nous buvons la fin de cette bouteille d’un litre, ce qui est rare, car on en ouvre plus que l’on n’en finit, et l’alcool, manifestement éventé, même s’il évoquait de beaux souvenirs de chartreuses, ne pouvait entrer en compétition avec le marc si généreux. Le 1947 et le Veuve Clicquot nous ont fait vivre un dîner mémorable.

j’ai versé un verre pour savoir de quoi il s’agit. J’ai dit Marc mais c’est une fine.

l’écusson est une énigme qui a été levée grâce à Instagram puisque quelqu’un a fourni une photo sans équivoque du blason. La réponse n’est venue que dix jours plus tard.

Grande Fine Champagne 1832 Louis Philippe Régnant mise en bouteille par Georges Marcel (Martel ?) à Tours.

 

la délicieuse joue de boeuf