Le temps de fin octobre dans le sud est radieux. Le soleil est fort. Je vais dîner chez un couple d’amis. Il a ouvert ce matin un magnum de Beaucastel 1996 et comme l’odeur lui déplaisait fortement, il en a ouvert un deuxième dans la foulée. Il me dit : « on devrait te statufier, car tu m’as permis d’éviter une erreur. J’aurais volontiers jeté le premier magnum, mais tu nous dis toujours de laisser au vin le temps de se reconstruire. Or maintenant, c’est celui que j’aurais jeté qui a le plus beau parfum ».
Nous sommes cinq, et nous commençons par un Champagne Les 7 Laherte Frères
qui a la caractéristique d’être fait avec les sept cépages de la Champagne, alors que la quasi-totalité des maisons de champagne s’arrêtent à trois cépages. Le champagne est très peu dosé, voire non dosé car son final citronné est très acide. Il a une attaque plaisante, mais le final resserre les joues. C’est un champagne bien fait mais peu charmeur. Nous grignotons trois présentations de viande de cochons espagnols Belota, tranches de jambon, lomo et saucisson. C’est délicieux.
Le Champagne Bollinger Grande Année 1996
a été dégorgé en décembre 2006. Le saut qualitatif est réjouissant. Il y a dans ce champagne une grande complexité et une belle mâche. La joie que nous procure ce champagne masque un peu l’analyse, car après plusieurs gorgées je me rends compte qu’une acidité anormale prend le dessus, alors qu’à l’ouverture le champagne était serein. On peut supposer que ce champagne n’a pas vieilli comme il aurait dû, ou bien que 1996 ne tient pas toutes ses promesses. A goûter de nouveau. Des toasts au foie gras poêlé font leur apparition et créent avec le champagne un accord de pure luxure, qui avantage le Bollinger.
Nous passons à table et un délicieux rouget fourré de tapenade est accompagné par un Champagne Collection La Côte en Bosses extra-brut domaine Dehours 2005. Si le champagne est plus léger, moins dense que le Bollinger, il apporte plus de plaisir, par sa jolie fluidité. C’est un champagne très agréable et frais, dégorgé en décembre 2012.
Nous allons nous partager quelques perdreaux chassés de peu et des confits de canard accompagnés d’une poêlée de champignons et d’une purée. C’est idéal pour les vins. Le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel magnum 1996 est un vin d’un rare confort. Il est tellement civilisé que c’est son velours qui emporte les suffrages. Très bien fait, au fruit joyeux, il est encore dans sa belle jeunesse.
Il faudra sans doute attendre avant de me statufier, car le magnum qui sentait mauvais à l’ouverture et dont le parfum surpassait à 21 heures la meilleure bouteille montre que la mauvaise odeur trouvée ce matin correspond à un vin moins équilibré que l’autre. Buvable bien sûr et qui donnerait du plaisir s’il était le seul servi, mais il n’a pas le velours et l’équilibre du plus charmant Beaucastel.
Par hasard, j’avais apporté une bouteille d’un autre 1996. J’aime que Vega Sicilia Unico 1996 soit ouvert au dernier moment, car on profite de la générosité de l’éclosion du goût. Ce vin est extraordinaire car il a une fraîcheur mentholée rare. Tout le monde est aux anges, car ce vin puissant, au fruit lourd, arrive à nous offrir fraîcheur, jeunesse et légèreté. C’est fascinant.
Ce qui m’a plu, c’est que le retour vers le Beaucastel après avoir bu un peu du vin espagnol montre encore mieux l’élégance discrète du vin du Rhône.
L’avantage avec la situation actuelle de la France, c’est que nous n’avons pas besoin de chercher longtemps pour trouver des sujets de conversation.