Des amis qui ont participé depuis de longues années aux réveillons du Nouvel An et aux agapes du 15 août nous invitent à déjeuner chez eux. Notre amie est une cuisinière généreuse et talentueuse. L’apéritif est varié et copieux : carottes que l’on trempe dans une crème au thon, beignets, dés de saumon, tomates, saucisson, coquilles Saint-Jacques et de délicieuses petites tartines au fromage de chèvre posé sur une confiture de fruits rouges. J’en oublie sûrement.
Nous commençons par un Champagne Dom Pérignon 2009 dont je trouve l’attaque amère. Certaines saveurs arrivent à atténuer l’amertume, mais le champagne que j’avais beaucoup apprécié, lorsqu’il est arrivé sur le marché, avant le 2008, ne me convainc pas aujourd’hui. Comme la bouteille est assez vite consommée, mon ami ouvre un Champagne Dom Pérignon 2008 qui crée un saut qualitatif spectaculaire, fait d’un charme extrême associé à une belle puissance. Ce champagne sera une merveille dans vingt ans mais brille déjà.
L’entrée froide est un foie gras associé à des magrets de canard, une salade, des pignons de pin et des noix. La sauce vinaigrée et le plat s’associent au champagne de façon pertinente. C’est un régal.
Sur des foies de poulet rôtis, apparaît un Château Mouton-Rothschild 1992. Ce vin fait réviser toutes les idées reçues sur les petites années. J’avais bu il y a deux jours un Mouton 1970. La ressemblance entre les deux est spectaculaire, aussi bien en ce qui concerne la typicité que la puissance. Il y a la même mâche très riche. C’est un grand vin. Il est associé aussi aux coraux des coquilles Saint-Jacques et l’accord, très différent, est tout aussi pertinent.
Il y a quelques jours, préparant un futur repas, je vois une bouteille qui attire mon attention. C’est un Châteauneuf-du-Pape Domaine Chante Perdrix Nicolet Frères 1978. Son niveau impeccable et sa présentation générale m’ont fait penser que ce vin serait une pépite de très haut niveau. Je l’ai apportée pour ce repas et ouverte au moment de notre arrivée chez nos amis. Le bouchon d’une qualité exceptionnelle a libéré un parfum à se damner.
Sur une épaule d’agneau « oubliée » dans le four, c’est-à-dire cuite extrêmement longtemps, donc fondante, nous avons sursauté, mon ami et moi, tant le vin est miraculeux. Son charme est inouï, et la subtilité de ses complexités est infinie. 1978 est une année particulièrement réussie dans cette appellation et ce Chante Perdrix se situe, à mon avis, au niveau du légendaire Rayas 1978. Les petites pommes de terre ajoutent au plaisir. Si l’on essayait de définir le Châteauneuf idéal, on serait forcé de décrire ce vin-là. Il est totalement velours, doté d’un charme hors du commun. Le vin du Rhône accompagne aussi bien un saint-nectaire au crémeux envoûtant.
Pour une brioche aux fruits confits, mon ami ouvre un Champagne Veuve Clicquot 2012 agréable mais un peu jeune à mon goût. Il promet.
Pour la galette des rois à la frangipane un Rhum Rivière du Mât est un bon compagnon qui appelle un cigare Romeo y Julieta de la Havane. C’est le troisième cigare que je fume depuis trente ans. Que de souvenirs sont revenus à la surface de ma mémoire.
Nous avons quitté nos amis après 20 heures, ce qui n’est pas banal pour un déjeuner qui démarre à midi et demi. Cela prouve que nous nous sentions bien et que nous avions beaucoup de choses à nous dire. Et le Châteauneuf a illuminé ce repas par sa perfection, ainsi que la cuisine de notre amie.