(il est conseillé de lire d’abord les deux articles ci-dessous en commençant par le sujet « achat d’une Romanée Conti 1961 en jéroboam »)
Le lendemain matin, après une nuit mouvementée, je vais vite m’occuper des vins à ouvrir pour le repas de midi, mais je vais d’abord sentir le jéroboam de Romanée Conti 1961. Alors qu’à minuit j’avais perçu un soupçon de sel, le vin est désespérément muet. Aucune odeur n’est perceptible. Je n’ai pas envie de goûter le vin, car j’agiterais le liquide dans la bouteille. Il est préférable d’attendre.
J’ouvre en premier le Champagne Pommery magnum 1959 car il me semble avoir souffert pendant sa vie. La cape est trouée et déchirée à l’endroit où le bouchon rejoint le haut du goulot, et cette zone est très sale. A ma grande surprise le bouchon saute dans ma main produisant une belle explosion de gaz, suivie d’un brouillard de gaz. C’est assez surprenant qu’un 1949 de dégorgement d’origine puisse avoir une telle explosion de gaz. Le nez est plutôt inexistant. Les ouvertures ne posent pas de problème particulier. Le Château Chalon Jean Macle 1982 a un bouchon avec des traces de moisissure qui anesthésient son parfum. Les senteurs du Clos Rougeard Le Bourg 1989 et du Château Filhot 1929 sont superbes.
Avant que les convives n’arrivent, je goûte le Pommery qui fait un peu plat. Le parfum de la Romanée Conti est toujours aussi fermé.
Les convives arrivent à l’heure dite. Ce déjeuner comptera pour le 248ème de mes repas. Nous commençons à trinquer sur le Champagne Pommery magnum 1959. Il est assez fermé et plat et l’on sent qu’il a besoin des amuse-bouches. C’est le Pata-Negra qui le fait revivre et il délivre un message beaucoup plus chaleureux. Les amuse-bouches sont : gougères, chips de céleri-rave et de panais / radis daïkon, truite fumée – œufs de saumon / Pata-Negra 36 mois. Le champagne Pommery se révèle assez grand et carré mais il ne peut pas cacher qu’il a un peu souffert dans sa vie. Sa personnalité le rend aimable.
Nous avons fait appel, Olivier et moi, aux conseils et suggestions d’un chef ami qui nous a envoyé du renfort en cuisine pour la préparation des plats. J’ai mis au point le menu avec le chef et des mains aimables sont venues concrétiser les plats. Le menu fruit de ces réflexions est : carpaccio de Saint-Jacques, coques, jus de coques monté au beurre / carpaccio de bar de ligne à l’huile d’olive / homard bleu breton sauce bisque / rouget barbet poêlé purée de carottes, sauce civet / pigeon de Vendée rôti, sauce salmis, purée de pommes de terre, pommes grenailles confites / foie gras poché dans un bouillon de légumes / comté 18 mois / mousse à la mangue / financiers à la rose. On peut dire que pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.
J’ai ouvert le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1990 au dernier moment. Porteur d’une belle bulle il se montre vif et délicat. Il est tout en finesse et suggestion. L’association coques et coquilles Saint-Jacques, mariant le salé et le sucré, est idéale pour mettre en valeur le champagne noble et romantique.
L’Y d’Yquem 1979 est un vin de grand plaisir. Il combine le côté sec d’un Graves avec le botrytis suggéré d’un Yquem et cela lui va bien. Le carpaccio de bar est un compagnon idéal de ce vin car il met en valeur le botrytis qui le lui rend bien. La fluidité fraîche de ce vin est superbe.
Olivier et quelques amis critiquent le vin d’Olivier, le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1998 qui se présente selon eux moins bien que le 1999 d’hier. Je les trouve sévères car le vin accompagne comme il convient le fort homard à la sauce guerrière. Cet accord me plait plus qu’à d’autres amis.
Le Clos Rougeard Le Bourg 1989 avait un parfum magique à l’ouverture. Il est d’une richesse et d’un accomplissement parfaits. Il a gagné une sérénité exceptionnelle depuis son ouverture. C’est un grand vin. L’accord, dont je me permets de dire que j’en suis fier, éblouit tous les convives car le rouget, comme avec Pétrus, met en valeur la vivacité du vin. La sauce civet est diabolique. Boire un tel vin dans son accomplissement total est un privilège.
L’heure est venue de faire entrer en scène la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Jéroboam 1961. A ce stade j’ai encore en tête que ce vin a un parfum muet. Pour servir le vin je vais le verser en carafe que je remplirai au fur et à mesure des besoins. Il serait en effet difficile de verser le vin directement depuis un lourd jéroboam. Dès que je commence à verser, mes narines sont envahies d’un parfum qui me fait penser sur l’instant : « c’est gagné ». Car ce parfum est celui d’une grande Romanée Conti, marqué de sel. En versant, les premières gouttes du vin ont une couleur de terre, de tuile. Cette couleur devient plus acceptable ensuite mais le vin est un peu trouble.
Les amis étaient autour de moi lorsque j’ai rempli la carafe. Je verse le vin à table et nous le buvons. Quel plaisir, quelle richesse. Ce vin est plein. Il a une densité extrême et le sel et la vieille rose sont des composants du plaisir. Tous, nous sommes heureux car nous avions peur de ne pas trouver la Romanée Conti dont nous rêvions, mais elle est là. Il y a dans ce vin une densité supérieure à ce que j’attendais, peut-être due au fait que le vin a subi une forte évaporation. Je sens que le vin a souffert pendant son existence, peut-être avec des stockages malheureux, mais je l’aime encore plus de savoir qu’il a traversé les âges pour nous délivrer un beau message de noblesse et de complexité. C’est un vin complet qui a gardé toutes les subtilités d’une Romanée Conti, suggérant et affirmant et on le félicite comme un blessé qui marche pour la première fois depuis des mois.
Tout en ce vin paraît à la fois fragile et fort. Le pigeon est absolument parfait avec lui mais c’est surtout sur le foie gras poché que le vin délivre toutes ses finesses subtiles. Cet accord, qui est une de mes coquetteries, est un de ceux que je préfère car le foie gras est un révélateur du vin.
J’ai versé dans mon verre la lie, noire et dense et j’ai mangé la lie, concentré de l’excellence de ce grand vin.
Le Château Chalon Jean Macle 1982 m’avait interpelé à l’ouverture mais je constate que mes convives le boivent avec plaisir. Je trouve qu’il manque un peu de noix mais mes amis l’adoptent. Tant mieux.
Le Château Filhot 1929 avait il y a plus de cinq heures un parfum d’une richesse infinie. Cette bouteille superbe au bouchon d’origine avait un niveau dans le goulot. C’est pour cela que je l’avais choisie comme contribution. Sa couleur est très foncée. C’est un sauternes riche dont je suis amoureux. La mangue lui convient comme un gant. La fraîcheur de la mousse le rend souriant.
Le Champagne Veuve Clicquot rosé 1973 ouvert sur l’instant a une couleur d’un rose superbe et raffiné. La bulle est présente et le champagne est d’un raffinement idéal. C’est le meilleur vin possible pour finir un repas, mis en valeur par les financiers délicieux.
Nous sommes tous heureux et surtout soulagés d’avoir bu une magnifique Romanée Conti. Il est temps de voter. La Romanée Conti et le Clos Rougeard seront les deux seuls à être nommés premiers. Seuls le Pommery et le Leflaive n’auront pas de votes. Sept vins ont eu des votes.
Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961 jéroboam, 2 – Clos Rougeard Le Bourg 1989, 3 – Y d’Yquem 1979, 4 – Château Filhot 1929, 5 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1990, 6 – Château Chalon Jean Macle 1982.
Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961 jéroboam, 2 – Château Filhot 1929, 3 – Champagne Veuve Clicquot rosé 1973, 4 – Clos Rougeard Le Bourg 1989, 5 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1990.
Que dire de ce repas ? Si la bouteille de Romanée Conti avait eu un beau niveau et belle allure, il est probable qu’aucun de nous ne l’aurait acheté dans le contexte actuel des prix. Alors, soyons heureux qu’elle ait tant souffert puisque nous avons pu en profiter et jouir des sensations uniques qu’offre ce vin mythique. J’ai pris le risque d’acheter cette bouteille et mes amis ont pris le risque de me suivre dans cette aventure.
Le repas a été superbe avec des accords inattendus et superbes comme la Romanée Conti avec un foie gras poché et le Clos Rougeard avec un rouget. Un grand moment pour moi a été le carpaccio de Saint-Jacques avec des coques et le jus de coque, créant une osmose sublime avec le Grand Siècle 1990. Merci à Olivier d’avoir accueilli notre repas chez lui. Merci à toute l’équipe qui a envahi sa cuisine pour l’aider à réaliser de beaux plats.
Je ne peux pas m’empêcher d’être heureux d’avoir cru en cette bouteille après les vérifications que j’ai pu faire. Les vins sont plus solides que ce qu’on imagine, et leur donner une chance est un de mes plus grands plaisirs. Et vérifier la pertinence de ma méthode d’ouverture des vins ne peut que me combler. L’ambiance du repas a été enjouée et amicale. Cherchons vite de nouvelles aventures !
Champagne Pommery 1959 magnum
Champagne Laurent Perrier Grand Siècle 1990
Y d’Yquem 1979
Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1998
Clos Rougeard Le Bourg 1989
Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961 jéroboam
(voir les photos sur l’article relatant l’achat de ce jéroboam)
La lie que j’ai bue
Château Chalon Jean Macle 1982
Château Filhot 1929
Champagne Veuve Clicquot rosé 1973
en cuisine
les plats servis
les verres
à nouveau cette brochette unique de grands vins et ce mythique jéroboam de Romanée Conti 1961