Nous allons avec deux amis dîner au restaurant Cheval Blanc Saint-Tropez qui s’appelait autrefois La Vague d’Or. Le matin, des trombes d’eau avaient inondé notre jardin avec un grondement de tonnerre ininterrompu pendant des heures. Je ne me souviens pas avoir entendu des tonnerres continus de cette durée. L’ondée se déplaçait vers l’est aussi c’est avec un décalage que Saint-Tropez a connu ce déluge. Nous redoutions la pluie car les tables du restaurant sont en plein air, mais le ciel a voulu nous être clément car la pluie a cessé à Saint-Tropez peu après 17 heures.
L’accueil est sympathique et bien que nous arrivions avant 20 heures, les tables pour l’apéritif en bord de mer sont toutes prises. Il nous reste une table plus loin de la mer.
Je commande un Champagne Charles Heidsieck Cuvée des Millénaires 1995 car les champagnes de Moët Hennessy sont quasiment inaccessibles. Des amuse-bouches nous sont apportés et une mini-tarte à la sardine est une absolue merveille. Le goût est si fort, si juste, si parfait que l’on est au paradis.
Arnaud Donckele vient nous saluer, tout sourire et me glisse dans le creux de l’oreille que je devrais prendre l’anchois.
Le champagne a une forte bulle lui donnant une jeunesse étonnante. Il est vif, cinglant mais aussi gastronomique. Il n’a pas encore la largeur du célèbre 1985 que j’ai adoré.
Pendant que nous grignotons des mets superbes dont une huître magique, Thierry di Tullio, le directeur du restaurant nous raconte les plats qu’il nous suggère de prendre. On a du mal à faire correspondre ses suggestions avec l’architecture du livre de menus, mais le charme de Thierry opère, aussi nous choisissons tous le même menu : anchois de pleine mer méditerranéenne, quintessence d’un jus de girelles transformé en sabayon tiède et éphémère, le jardin et la mer y distillent des saveurs de Provence / rose de tomates feuilletée cuite au four à pain, sorbet d’un gaspacho « al verde » sauce à manger « terre varoise » / le gambon rôti à la feuille d’absinthe, fenouil confit lentement, criste marine rafraîchissante, un sabayon de carapaces infusé à l’anis sauvage pour saucer / le pigeon des frères Baeza cuit sur des braises chatoyantes, jus des carcasses fumées relevé au vieux vinaigre, olives noires et livèche, pomme boulangère ‘Rosa’, un confit façon sénateur Couteaux pour finir à la cuillère.
Nous nous sommes séparés pour le dessert, au chocolat pour nos amis et à la fraise pour moi : feuille à feuille de biscuit vanillé aux différentes fraises de notre région, le basilic citrus et le citron de pays rafraîchissant révèleront des notes poivrées comme une ode à l’été.
Le pain à la tomate est gourmand et fait envie. L’Hermitage Domaine Jean-Louis Chave blanc 2017 est d’une très forte personnalité. Il est conquérant, guerrier, et semble d’un équilibre absolu. Il n’a que cinq ans, mais il est en pleine possession de ses moyens.
L’anchois est d’une chair superbe, adoucie. Le vin lui correspond. Le plat de tomate est subtil mais moins ami du vin sauf pour la rose feuilletée.
Le plat de gambon est tellement sophistiqué et réussi qu’on le ressent totalement abouti, dont il ne faudrait changer aucune virgule. C’est un pur régal. Le vin lui donne la vedette, tout en restant joyeux et fruité.
Un intermède glacé fait comme un trou normand mais n’est pas forcément nécessaire à notre parcours.
J’ai demandé à Thibaut le sommelier de n’ouvrir le Châteauneuf-du Pape Henri Bonneau Cuvée Marie Beurrier 2005 que lorsque le plat de pigeon serait servi sur table. Il offre une fraîcheur divine. Il est jeune, subtil, mais surtout on le ressent sincère, un vin de paysan, comme l’était le regretté Henri Bonneau.
Le pigeon est un voyage. A chaque bouchée une saveur nouvelle. Il y a les filets, très doux et discrets, la patte traitée sublimement qui offre un accord magistral avec le Châteauneuf. Ils se confondent. Et en fin de parcours, le confit façon lièvre à la Royale est une pure merveille gastronomique. Arnaud nous a expliqué que le traitement du pigeon est celui d’un voyage, ce qu’il ne ferait pas à Paris.
Il y a eu un moment assez curieux. Avant le dessert, on nous sert un verre de jus. Jus à la fraise pour moi qui ai le dessert à la fraise et un jus au chocolat pour ceux qui ont le dessert au chocolat. Mais mes amis avaient envie de prendre le jus à la fraise avant le dessert au chocolat. La charmante serveuse s’est sentie comme blessée que l’on ne suive pas le programme tel qu’il avait été conçu. Sa souffrance était palpable ce qui montre à quel point elle se sent concernée.
Les fraises fraîches et délicieuses sont un dessert parfait. Arnaud Donckele est venu préparer à notre table un après-dessert qui a permis que nous discutions avec lui de ses plats et de leur philosophie. La cohérence de sa démarche est extrême et lorsque je pose une question, il a toujours la réponse. C’est un chef qui s’inscrit sur la voie de l’excellence des plus grands créateurs. Je suis personnellement conquis et fier de l’amicale complicité que nous avons. Chaque repas créé par lui est un moment de bonheur pur.