Nous avons décidé, mon frère, ma sur et moi de nous retrouver trois fois par an avec une invitation réglée et cyclique. C’est mon tour d’inviter. Ce sera au restaurant-brasserie Benoit qui m’avait tant plu il y a un mois. Arrivant en avance, j’ai le temps d’étudier la carte des vins avec le sympathique sommelier dont la compétence est à signaler. C’est assez amusant de voir qu’il y a deux cartes dans la carte : celle des vins qui sont dans le radar d’une clientèle internationale du groupe Ducasse et dont les prix sont très Ducasse et celle des vins qu’une brasserie se doit d’avoir et dont les prix sont des prix de brasserie. Je vais slalomer dans ces deux cartes pour faire un choix qui me satisfait et plait au sommelier.
Sur, frère et beau-frère arrivent et je dois valider avec eux le menu que nous allons partager. Ce sera : premières asperges vertes de Provence servies tièdes, sauce mousseline truffée / escargots en coquille, beurre d’ail, fines herbes / filet de buf au sautoir, sauce bordelaise à la moelle, gratin de macaroni.
L’apéritif est pris avec un Champagne Larmandier-Bernier Blanc de Blancs millésime 2006. Alors que j’ai peu d’expérience de cette année intermédiaire, je suis favorablement impressionné par la largeur de ce champagne confortable. Il est plein, joyeux, de beaux fruits jaune pâle. Les petits toasts au foie gras sont succulents et on pourrait ne pas s’arrêter de grignoter les fines tranches de fromage de tête. La couleur du champagne est déjà légèrement ambrée et cela correspond à sa rondeur. Il est vif et cinglant. C’est agréable.
Les asperges vertes, les premières de l’année en asperges fraîches, sont croquantes à souhait. La mousseline parle juste. Un régal. Le Chablis Grand cru les Clos Vincent Dauvissat 2012 est opulent, puissant et droit. Il est tellement riche que l’on a de la peine à le classer en chablis. L’accord avec les asperges est aimable.
Sur les escargots de compétition, non pas compétition de vitesse, mais de goût, je fais servir deux vins, le chablis que nous avons déjà goûté et le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes rouge 2010. La dernière fois que j’étais venu au Benoit, les escargots avaient été accompagnés d’un Rayas 2000 qui avait créé un accord magique. Aujourd’hui, force est de constater que c’est le vin blanc qui se marie le mieux avec les gastéropodes. Le vin blanc devient éblouissant, large et puissant, coloré de fruits dorés. Le vin rouge va très bien avec les escargots, mais il n’arrive pas à trouver un amplificateur. Le Rayas, avec une acidité plus marquée, rebondissait sur l’ail alors que le Clos des Papes n’est qu’un accompagnateur aimable.
Il va se rattraper sur la viande absolument superbe. Là, le Châteauneuf se trouve. Malgré sa jeunesse il prend du coffre, de l’ampleur, de l’assise papale. La viande est divine, la moelle est un péché de luxure et le gratin est comme une bénédiction qui apaise toutes les saveurs.
Le vin est si gourmand qu’il faut vite le doubler et c’est assez intéressant de voir la différence entre les deux verres, celui de la première bouteille et celui de la seconde. Au début, la fraîcheur du deuxième vin et sa vivacité donnent un avantage sensible au vin plus récent. Mais lorsque le deuxième vin est confortablement installé dans son verre, c’est le premier, servi depuis plus longtemps, qui reprend l’avantage, car il montre une maturité plus affirmée. Le Clos des Papes est un vin dont on se régale, juteux, fruité, qui supporte bien sa jeunesse.
Alors que j’ai refusé un dessert, j’ai hérité d’un demi nougat glacé pistache-passion et le coup de grâce a été porté par une Chartreuse jaune, pécheresse bénédiction de ce beau repas.
Que dire de ce restaurant ? J’ai un naturel fleur bleue, je pleure aux films de série B aussi, cette restauration de brasserie qui me rappelle des moments divins avec mes parents, je ne peux pas m’en empêcher, ça m’émeut. La décoration est celle de cette France qui aimait vivre de plaisirs simples. Le service est attentif, le sommelier est compétent. La cuisine est d’une justesse extrême car chaque produit est le bon produit et chaque cuisson est ciselée. Alors, comme avec les films de série B qui m’émeuvent, je marche à fond.