Il suffit d’un prétexte pour que j’organise un dîner à l’occasion de mon anniversaire. Le prétexte est ténu, mais pourquoi pas : mon âge rime avec mon nom. De plus, il s’exprime selon un équilibre parfait : 2 puissance 3 multiplié par 3 puissance 2 comme me l’a fait remarquer un ami passionné de chiffres convive de ce dîner. Nous sommes vingt-cinq à une grande table au premier étage du restaurant Laurent. L’apéritif se prend sur la magnifique terrasse d’où l’on voit aussi bien la Tour Eiffel que le Grand Palais et le théâtre Marigny.
Le thème que j’ai retenu est de rendre hommage à deux vignerons qui viennent de nous quitter et avec lesquels j’avais noué des relations faites de respect mutuel et de complicité, Anne-Claude Leflaive et Joseph Henriot.
Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1996 est d’un jaune presque citronné tant il parait jeune. Le nez est intense, joyeux, généreux. En bouche il évoque le miel et le soleil. Il a une belle présence. Ce vin ample et joyeux est une des réussites de 1996 en Champagne. Il est très gourmand.
Le menu préparé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : Pâtes sèches de blé dur farcies de gambas, crème légère au parmesan / Turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / Noix de ris de veau dorée au sautoir, morilles au jus / Pigeon à peine fumé et rôti, cur de sucrine et pommes soufflées « Laurent » / Stilton / Merveilleux au lait d’orgeat / « palmiers », mignardises et chocolats.
Le Chevalier Montrachet « La Cabotte » Bouchard Père & Fils magnum 2002 a un nez glorieux. En bouche le vin est conquérant et complexe. L’image qui m’apparaît est celle d’un galet de torrent que l’on suce, indice d’une belle minéralité. Il a la puissance des vins de Jean-François Coche-Dury avec une patte qui est différente de celle de ce vigneron. Le vin est épanoui, de longueur infinie. C’est un très grand vin au sommet de son art.
Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1993 est d’une couleur qui n’est quasiment pas ambrée même si elle est plus foncée que celle du 2002. Son nez est plus discret et des amis disent qu’on aurait dû mettre ce vin avant le Bouchard. Mais il suffisait d’attendre, car le vin prend progressivement stature, ampleur et complexité. Un peu fumé, sur des notes d’automne, alors que la Cabotte évoque les chaleurs d’été, ce vin de connaisseur me séduit par sa très grande complexité. Il est superbe sur le turbot.
Le Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils magnum 1966 est éblouissant. Il provient directement de la cave de Bouchard car je l’ai acheté pour la circonstance, choisissant une année qui est celle de mon mariage, mais aussi parce que c’est une grande année. Sa provenance récente de cette cave idéale puisqu’elle est constamment à 11° avec une humidité totale se sent encore plus du fait du format magnum. Le nez est riche, jeune et raffiné. En bouche il est totalement bourguignon, avec une râpe et un message complexe qui me ravissent. Il paraît tellement vif que si l’on disait 1986, personne n’y trouverait à redire. Ayant eu la chance, grâce à la générosité de Joseph Henriot et de ses équipes, de goûter ce vin dans des millésimes canoniques dont tout particulièrement l’exceptionnel 1865, je pense que ce vin a encore un potentiel d’évolution et d’accomplissement qui est important.
Le Chambertin Clos de Bèze Bouchard Père & Fils 1985 est d’une grande année. Le vin est de belle charpente, jeune, vineux. Le pigeon exceptionnel et fumé met en valeur la subtilité et la complexité de ce vin riche et noble qui, malgré tout, aura du mal à nous faire oublier le 1966, même s’il est un grand cru.
Le Château d’Yquem 1991 est d’une année qui a été considérée comme petite, mais je pense que c’est un vin quasi idéal pour accompagner un stilton magnifique de maturité et d’un joli gras. Le vin est joyeux, discret, très plaisant. On sent bien qu’il n’a pas les complexités des grands Yquem, mais il en a tous les attributs, surtout pour l’accord recherché.
Je n’ai absolument aucun souvenir des raisons qui m’ont conduit à acheter il y a plus de vingt ans peut-être un vin d’un aussi grand format. C’est sans doute le joli dessin de la tête de Van Gogh sur le couvercle en bois qui m’a poussé à cet achat. Le Champagne Henriot Rose Noire « Hommage à Van Gogh » jéroboam 1982 # a été commercialisé en 1989 et la maison Henriot m’a dit que le vin qui compose ce champagne est essentiellement du 1982. Au dos de l’étiquette, c’est le tableau « les blés jaunes » de 1889 qui est représenté. C’est d’ailleurs la couleur du champagne, maintenant qu’il a près de 33 ans. C’est un champagne magnifique, presque fumé, d’une très grande personnalité et d’une grande originalité. Il m’évoque un peu les Version Originale de Selosse lorsqu’ils sont d’un dégorgement ancien. L’évocation de Van Gogh se retrouve dans le goût de blés d’été.
Le Service du restaurant Laurent est parfait. Nous avons été choyés tout au long de la soirée. La cuisine est de très haut niveau et le pigeon est superbe. Le dessert est frais et gourmand, idéalement marié au champagne qui n’est pas gêné par le sucre.
Mon vote des vins de ce soir serait : 1 – Beaune Grèves Vignes de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils magnum 1966, 2 – Chevalier Montrachet « La Cabotte » Bouchard Père & Fils magnum 2002, 3 – Champagne Henriot Rose Noire « Hommage à Van Gogh » jéroboam 1982 #, 4 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1993.
Dans une ambiance familiale et amicale, ce dîner en forme d’hommage à des vignerons fut un grand moment de plaisir.
la boîte du Rose Noir Van Gogh est à elle seule une oeuvre d’art