Ce déjeuner au restaurant Pages a pris des tours et des détours. Ce devait être un déjeuner d’amis offert par Stanislas, mais quand j’ai proposé un vin il me fut répondu comme dans la publicité : « pas assez cher mon fils ». Et on me fit savoir qu’il y avait du ‘beau monde’. Titillé par cette incertitude j’ai pensé qu’il fallait taper fort et j’ai choisi un Haut-Brion rouge 1947 au niveau quasiment dans le goulot. Et comme je venais d’acquérir des vins de la Romanée Conti dont certains avaient des bas niveaux, je me suis dit que l’occasion était bonne pour ouvrir une des bouteilles, un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969 au niveau bas, sans garantie de résultat.
Je viens à 10 heures au restaurant Pages pour ouvrir mes vins. Le Haut-Brion 1947 a un nez qui promet un épanouissement progressif et positif. L’Echézeaux 1969 a une couleur qui paraît terreuse et le nez n’est pas engageant. Il paraît fatigué. Le vin s’améliorerait-il, je ne saurais le dire.
Je vais voir Stanislas à l’Appartement Moët Hennessy et nous nous rendons ensemble chez Pages. J’apprends qu’il y aura un français qui a fait fortune dans les télécommunications, un espagnol d’une banque mondialement connue, en relation d’affaire avec un chinois immensément riche qui possède six vignobles essentiellement bordelais, venu avec un collaborateur, une collaboratrice qui fera traductrice et un ami de Singapour qui possède plusieurs hôtels et est aussi membre du gouvernement de Singapour. Il y a aussi un indien qui vit à mi-temps au Japon et en France et qui a assisté à mes dîners et mon ami Tomo.
Les vins arrivent en désordre et tard ce qui rend quasiment impossible de faire un menu cohérent puisqu’il est déjà fait sans connaître les vins, et rend difficile de faire un ordre de service des vins qui soit pertinent. Vogue la galère, nous ferons au mieux.
Pour les amuse-bouches nous commençons avec un Magnum de Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 2007 agréable et salin. Un bon point de départ.
Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995 fait un saut gustatif impressionnant car ce champagne est dans une phase d’accomplissement absolu. Son parfum est pénétrant et le champagne est merveilleusement équilibré. Il accompagne un carpaccio de Wagyu et c’est magnifique.
Pour le homard accompagné de fenouil, nous buvons un Montrachet Domaine Comtes Lafon 2012. Le vin est magnifique, équilibré, plein et frais, mais le homard trop froid à la sauce trop acide ne rend pas service au vin, au contraire. Mais le chef Ken ne peut pas être tenu pour responsable car il ne connaissait aucun des vins.
Nous poursuivons avec un filet de morue doté d’une sauce aux légumes verts. Je connais cette sauce et je sais qu’elle ira avec un vin rouge. Nous avons un Vosne-Romanée La Colombière Domaine du Comte Liger-Belair 2016 et je dis au richissime chinois que l’on nomme Dragon d’essayer ce vin avec la sauce seule. Il se trouve qu’il me suit sur Instagram et ma suggestion, qu’il vérifie, le comble d’aise.
Le veau aux giroles et à la sauce lourde me fait penser que c’est peut-être le moment de faire servir l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969. La couleur terreuse n’est pas une bonne nouvelle. Le vin est buvable mais fortement fatigué. Je dis à tous qu’il est mort, mais qu’il mérite qu’on essaie de le boire à cause de la sauce. Pour moi, le vin s’accorde avec la sauce typée qui le réveille. Mais je n’insiste pas, car deux vins vont apparaître.
Le Chapelle Chambertin Domaine Cécile Tremblay 2017 est un vin très expressif, mais l’Echézeaux ‘du Dessus’ Domaine Cécile Tremblay 2017 est absolument sublime. Quelle structure, quelle largeur et quelle plénitude ! Alors que c’est un vin très jeune, il est porteur d’une grandeur hors du commun.
Nous goûtons ensuite le Château Monlot Saint-Emilion Grand Cru 2017 qui est la propriété de Dragon. Ce vin jeune sera à juger avec quelques années de plus.
Pour le délicieux Wagyu nous avons deux vins. Le Château Haut-Brion 1947 a un nez noble et riche et en bouche il est très grand. Mais je ne le trouve pas au sommet de ce qu’il devrait être. A côté de lui, le Château Latour 1990 montre une belle jeunesse rafraîchissante et un épanouissement certain, mais comme pour le Haut-Brion, je ne trouve pas que le vin est à son sommet.
C’est alors que je goûte l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969 et je sursaute. Le vin n’est plus du tout le même. Il commence à devenir vraiment expressif et même si le vin est fatigué, il a vraiment le message du domaine. Tomo est de cet avis. Une remontée aussi rapide est surprenante.
Le fromage convient aux deux bordeaux et pour le dessert nous revenons au Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995 peut-être moins cinglant qu’au début, mais d’une qualité extrême.
Je n’ai pas demandé que l’on vote pour ne pas couper les conversations animées. Mon vote serait : 1 – l’Echézeaux ‘du Dessus’ Domaine Cécile Tremblay 2017, 2 – Château Haut-Brion 1947, 3 – Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1995, 4 – Montrachet Domaine Comtes Lafon 2012, 5 – Château Latour 1990, 6 – Vosne-Romanée La Colombière Domaine du Comte Liger-Belair 2016 et 7 – l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969.
Mon voisin de table était sceptique que je donne la place de second au Haut-Brion. Or il se trouvait que j’avais versé dans un verre le fond de la bouteille à la lie quasiment inexistante. Je lui ai versé la moitié de mon verre et il a pu constater que le vin du fond de bouteille transcendait ce qu’il avait pu boire auparavant de cette belle bouteille.
Il convient de noter l’engagement de Pierre-Alexandre et des serveurs qui se sont occupés des vins. Naoko, la femme du chef Teshi, toujours attentive, a accompagné notre repas de tous ses soins.
Le déjeuner fut un peu brouillon puisque l’on ne connaissait pas les apports de chacun, mais les discussions passionnantes ont fait de ce repas un grand moment, promettant des retrouvailles avec plusieurs convives.
mon apport :