(les articles étant publiés du plus récent aux plus anciens, il est recommandé de lire l’article ci-dessous avant celui-ci, pour avoir la chronologie des faits)
Après une nuit reposante, je me présente au château d’Yquem à 11 heures. Olivier Brulard a prévu le menu du déjeuner : homard breton rôti légèrement fumé sur nos sarments, pomme dorée et jus truffé / belle volaille de Méracq, agrumes du château et lentins de chênes / roquefort Le 12 AOP et Régalis César du Mont Royal / mangue et gourmandises acidulées au jus de passion.
J’ai envie d’ouvrir l’Yquem 1874 qui est prévu pour ce soir avec l’idée suivante : Ce vin a été reconditionné au château en 1989. Or il y a eu sur le marché quelques faux Yquem présentés comme étant reconditionnés au château mais en fait fabriqués par des faussaires. J’aimerais que mes convives de ce midi me donnent leur avis olfactif sur ce 1874. Et, sentant les deux vins, j’aimerais réserver le meilleur des deux au dîner. Nous boirions celui qui nous paraîtrait moins brillant.
Lorenzo Pasquini directeur d’exploitation du domaine, Toni El Khawand, maître de chai et Thomas Robert chef de culture me rejoignent dans la belle et grande salle à manger que nous aurons ce soir. D’habitude nous prenions la plus petite salle à manger mais ces trois personnes si importantes pour la vie du domaine vont l’utiliser pour une séance de pratique olfactive avec un professeur d’analyse olfactive.
Ils acceptent l’exercice que je leur propose. Pour mon nez, je trouve que l’impression mentholée du 1874 est un peu forte alors que le supposé 1906 au bouchon d’origine ouvert hier est très confortable et conforme à ce qu’on attend. Les trois sont unanimes pour déclarer que le 1874 est conforme à ce qu’il doit être car on trouve souvent sur les vins de cette époque cette belle trace mentholée.
Il paraît évident que le 1874 reste affecté au dîner. Nous boirons donc le probable 1906.
Je vais avec Lorenzo en cave pour choisir un vin. Ce sera Yquem 2001, ce millésime que j’adore. Je voulais que le homard accueille le vin rouge et la volaille l’Yquem, mais Lorenzo préfère l’ordre inverse. ‘Pas de souci’ comme on dit de plus en plus souvent dans les échanges urbains et pas seulement dans le sud de la France.
Le Château d’Yquem 2001 est un très grand Yquem mais il est devenu plus assis, confortable, alors que j’adorais son côté sauvage qui m’avait presque fait m’évanouir lorsque je l’avais bu pour la première fois lors de son lancement. Le homard est d’une qualité exceptionnelle.
Le Château Haut Brion 1981 est d’un millésime qui a été beaucoup trop longtemps sous-estimé. Ce vin équilibré est d’une solidité certaine. Il est franc et fort plaisant et mérite beaucoup plus que l’image qu’on lui donne. Cela fait des décennies que je considère 1981 comme une grande année.
Le Château d’Yquem 1906 est envoûtant. Imaginons une soucoupe volante qui envoie des ondes dans toutes les directions. Cet Yquem est comme cela. Il est rond et envoie des complexités dans toutes les directions. Il est magique et je tombe sous son charme, car malgré une couleur un peu sombre et un parfum discret, il est un festival d’émotion. Et je me rends compte qu’il pourrait entrer dans le cercle des plus beaux Yquem que j’ai bus. Il n’est pas aussi grand que le magique 1861, mais il n’en est pas loin.
J’aurai fait avancer la science d’Olivier Brulard qui défendait le roquefort comme partenaire d’Yquem. Je lui avais dit que le roquefort ne va pas et que le stilton est le compagnon idéal. Le stilton a gagné par K.O. technique au premier round. Il n’y a pas eu de match.
L’Yquem s’est montré brillant à tout moment et même si 1906 est la piste naturelle puisque j’en avais bu un dans une bouteille à la même étiquette, je pense que ce vin est plus conforme à la période autour de 1880.
Lorenzo, Toni et Thomas vont à leur séance d’olfaction tandis que je vais maintenant ouvrir les vins du dîner dans la belle salle à manger où nous venons d’avoir notre déjeuner. Je suis d’humeur extrêmement sereine et heureuse et je mets beaucoup d’attention dans mes gestes pour lever les bouchons.
L’Y d’Yquem 1960 a un parfum de grand vin au botrytis fort. Comme c’est le deuxième millésime d’Y, le tri des raisins avait laissé passer beaucoup de grains botrytisés. Ce parfum est engageant. Le Jurançon 1993 a un nez de litchi qui est d’une intensité prégnante.
L’Hermitage blanc 1928 au domaine inconnu a un nez discret qui va s’épanouir et promet. Le Cheval Blanc 1934 a un nez extraordinaire et tellement épanoui que je décide de mettre un bouchon en verre pour garder ce parfum parfait. L’Ausone 1985 a un parfum riche mais moins brillant que celui du 1934.
Les nez des deux Nuits Saint Georges sont grands. Celui du Henri Jayer est d’une subtilité are.
J’avais annoncé une Chambertin Coron Père & Fils 1929 car j’en ai plusieurs, mais j’avais lu trop vite. Sur l’étiquette déchirée, le mot Chambertin est à droite, ce qui suppose qu’il est précédé par Gevrey ou Charmes. Quant au nom du négociant, le haut de la capsule indique René Téze à Ambrières. Le parfum me semble être un des plus beaux de ce que j’ai ouvert, sauf le Cheval Blanc.
La puissance du nez du Château Chalon 1945 est inégalable. L’Yquem 1934 rebouché au château et resté au château, qui est la contribution de Pierre Lurton, me paraît d’une incroyable jeunesse et a un parfum vif.
J’ouvre maintenant les champagnes. Le Dom Ruinart 1990 me gratifie d’un beau pschitt même s’il n’est pas tonitruant. Les deux champagnes plus anciens, sont sales sous la coiffe et leurs bouchons se brisent à la torsion. Le nez du Veuve Clicquot 1947 est très discret et celui du Dom Pérignon 1962 de belle personnalité.
Tout au long de l’ouverture, j’ai été concentré, cherchant le geste juste et je me suis émerveillé de voir que tous les vins sont quasiment parfaits. Le ciel était avec moi.
Les invités qui ont des chambres arrivent peu à peu. Vite, je vais essayer de me reposer avant de recevoir les convives pour une visite du château et une dégustation avant le dîner.
quelques photos des beaux salons