Un amateur de vins vivant à Singapour boit tout ce qui se fait de mieux dans le monde du vin. Il en parle sur Instagram. Il est venu à l’un de mes dîners avec des amis et une amitié est née. Il m’a informé qu’il faisait un voyage en Champagne, avec des visites de grands vignerons. Il m’a proposé que nous nous rencontrions, et nous avons décidé de nous retrouver à déjeuner à l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement.
Pour ce déjeuner je veux apporter des vins que mon ami n’a pas bus. Il est habitué aux vins les plus célèbres et les plus en vogue. Explorons d’autres vins.
Dans la première décennie 2000, la Maison Bouchard a racheté le Château de Poncié dans le Beaujolais. Etant invité à un dîner au Château de Beaune, j’ai pu boire un Beaujolais 1929 de Poncié qui était génial. Et j’ai demandé : est-il habituel que les vignerons du Beaujolais conservent des vins aussi vieux ? Et Joseph Henriot m’a dit : il se trouve qu’à cette époque, Poncié appartenait à Bouchard. Et Bouchard avait l’habitude de conserver des vieux vins.
J’ai trouvé intéressante cette histoire d’un domaine acheté deux fois par le même vigneron et un jour j’ai acheté du Fleurie 1955 de Poncié qui appartenait à ce moment-là à Etienne Bouchard. Mon ami ne peut pas connaître ce beaujolais. J’ai donc apporté ce vin.
Arnaud Lallement est avec son restaurant un ambassadeur de Krug. J’ai envie d’apporter des champagnes un peu inhabituels. J’ai choisi un Clos des Goisses 1979 de Philipponnat et un Lanson Red Label 1966 présenté dans la légendaire bouteille en forme de quille.
Nous avons rendez-vous à 11 heures du matin pour que mon ami assiste à l’ouverture des vins. Le Fleurie offre un parfum strict et droit qui annonce un vin de belle complexité. Le bouchon du Clos des Goisses vient entier alors que le bas du bouchon du Lançon reste en place et ne remonte que grâce à un tirebouchon. Le pschitt de ce vin de 58 ans existe ce qui est rare pour cet âge.
Nous avons une belle table donnant sur le jardin par un jour ensoleillé et radieux. Le menu de l’Assiette Champenoise mis rapidement au point avec Arnaud en fonction de mes vins est : radis – eau de légumes verts / langoustine royale – huile d’olive – nage crémée / petits pois – légumes craquants / gamberoni – caviar Petrossian / homard bleu – hommage à mon Papa / turbot breton – vin jaune / pigeonneau fermier d’Onjon – navet B. Deloffre / fromages Philippe Olivier / framboise P. Richard – miel de notre parc.
Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1979 est d’une intensité extrême. Fort, direct, il est très long, fait pour la gastronomie. C’est une belle expression du blanc de noirs. L’entrée au radis est d’une justesse de goût fascinante. J’ai envie de crier « ça c’est du trois étoiles » car le plat est abouti et a atteint une perfection éblouissante.
Le Champagne Lançon Red Label 1966 est un vin plein de grâce et de charme, d’une année mythique en champagne. Pendant son parcours avec les différents plats, je le préférais au Clos des Goisses pour son charme, mais en fin de repas, c’est l’énergie du blanc de noirs qui a emporté mes faveurs.
Le Fleurie Château de Poncié Etienne Bouchard 1955 est d’une belle personnalité et mon ami n’aurait jamais imaginé qu’un beaujolais de 69 ans puisse avoir une telle tenue. Il est droit comme un guerrier, large comme un panache et suffisamment long. Personne ne dirait son âge. Intense, piquant, strict, il est fait pour la gastronomie. Ce n’est pas un vin de charme mais de précision. Nous l’avons adoré sur le pigeon et sur les fromages.
Mon ami a commandé un Champagne Jérôme Prevost Closerie Fac Simile extra Brut Rosé très jeune bien sûr, de 2016, mais qui s’impose par sa belle personnalité.
Je me suis amusé à faire un choix d’association d’un vin pour chaque fromage que nous avons choisi, en me fiant uniquement à la vision du fromage. Voici les choix que j’ai faits pour les fromages et les vins : le lingot des moines de l’Hérault avec Clos des Goisses 1979 / Saint-Rémy de Lorraine avec Fleurie 1955 / Abondance de Haute-Savoie avec Lanson 1966 / Bouchon de Brasseur du nord de la France avec Fac-Simile 2016. Un seul de mes choix n’était pas pertinent. C’est de toute façon amusant d’imaginer les accords non pas par le gout mais par la vue.
La ronde des desserts est sans fin. Ils sont si beaux que l’on succombe à leur tentation, mais est-ce bien raisonnable ? Car ces desserts nous rassasient après un repas copieux mais délicieusement léger.
Une chose m’a frappé en ce repas, c’est l’absolue justesse des goûts des plats d’Arnaud Lallement. Les produits sont bons, les cuissons sont idéales et les goûts atteignent des maturités exceptionnelles.
Avec cet ami de Singapour nous nous entendons comme si nous étions amis depuis toujours. Ce repas fut un moment mémorable.