288ème repas au restaurant Plénitude Arnaud Donckelesamedi, 9 novembre 2024

Le 288ème repas se tient au restaurant Plénitude Arnaud Donckele. C’est un déjeuner pour lequel la salle est privatisée et dont la table s’appelle François Audouze, car elle a été créée selon mes suggestions. Elle est ovale ce qui permet que tout le monde se voie, sans que la distance entre convives soit trop grande. Nous sommes douze dont cinq qui viennent pour la première fois. Le contingent féminin est faible par le nombre qui est ‘un’, mais fort par la présence de mon amie américaine qui a participé à environ vingt-cinq repas.

Je commence l’ouverture des vins avec Chloé, sommelière qui assiste Emmanuel Cadieu le brillant chef sommelier. J’ai invité à ce repas Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie française et ancien chef de cuisine de l’Elysée, qui aura travaillé pour quatre présidents. Il me rejoint à la cérémonie d’ouverture des vins.

Il y a pour ce repas des vins des années 1880, 1904, 1911, 1924, 1924, 1929, 1936, 1950, 1961, 1966, 1971, 1990, 1990. Il y a huit vins de plus de 70 ans dont 5 vins d’un siècle ou plus. Le risque existe que des bouteilles soient difficiles et la plus risquée me semble être le Pichon Baron 1904 au niveau à mi- épaule. Je commence par ouvrir La Tâche 1950 au bouchon noir et dont le haut de bouchon, avant que je ne le nettoie, est couvert d’une poussière noire qui sent la terre. Heureusement cette odeur n’existe pas pour le vin. Le Chambertin 1929 a un parfum que j’adore, représentatif de cette glorieuse année. Le parfum du Château Margaux 1924 en magnum est extrêmement convainquant. J’adore les odeurs des deux blancs et je suis fasciné par le parfum du 1904, qui offre une odeur de fruits rouges que l’on n’imaginerait pas. Les parfums les plus forts sont ceux du Vin blanc d’Arlay et du Maury si riche.

Les vins étant ouverts nous avons le temps de parler avec Arnaud Donckele et Guillaume Gomez et c’est fort agréable.

Il y a presque un mois j’avais travaillé avec Arnaud Donckele, Alexandre Larvoir le directeur du restaurant et le chef cuisinier du restaurant pour bâtir le menu. C’est pour moi enthousiasmant de confronter mes idées avec le génie de ce grand chef. Nous avons fait un programme qui semble passionnant.

Le menu créé par Arnaud Donckele est ainsi libellé : gourmandises de bienvenue (dont une huître) / homard – tourteau – corail pour sauce à manger « langue de chat » / partition maraîchère pour vinaigrette « patidou » / rouget – boulangère – genièvre pour soupe de roche « tanin des failles rocheuses » / lièvre – céleri – baie rose pour jus « bois tison » / Gnocchi – Alba – Crocus pour Poulette « d’Y » / Flave Equinoxe nuances de mangue à pomme pour sauce pectinée « bruine d’endocarpe » / Financier de François Audouze.

J’aime cette présentation où le mot « pour » est systématiquement utilisé pour montrer que les ingrédients sont au service de la sauce, qui est le cœur du plat. Si le financier porte mon nom c’est parce que je l’ai souvent proposé comme point final d’un repas. Il est à la rose.

Je présente les règles des repas aux cinq nouveaux mais aussi aux habitués pendant que l’on boit le Champagne Dom Ruinart 1990. Il est riche et brillant, tout en gloire car il est d’une année mythique pour Dom Ruinart. Il est associé avec le Champagne Krug Vintage 1966 pour les amuse-bouches. L’huître est à se damner avec le Krug, si noble et profond. Il représente l’aristocratie du champagne, d’une noblesse exemplaire. Les deux champagnes sont très différents, l’un pour son charme plaisant et l’autre pour sa perfection incomparable car 1966 est le sommet du champagne.

Le homard est d’un raffinement absolu. Le Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves 1971 est un vin percutant, pointu, vif et noble. A côté, le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 est d’une douceur et d’un charme inouï. Il est comme une gondole de Venise qui glisse doucement dans le gosier. Comme pour les champagnes, les deux blancs sont résolument différents et c’est ce qui rend l’expérience du mariage mets et vins si excitante.

La partition maraîchère accueille les deux vins centenaires. Le Magnum Château Margaux 1924 est tout simplement sublime. Il aura une victoire cinglante de six votes de premier. Ce vin est la définition absolue du bordeaux parfait, avec un équilibre impressionnant et une vivacité marquante.

A côté de lui j’avais choisi le Château Grand Saint Lambert Cru Bourgeois Supérieur 1924 (cave du Chapon Fin à Bordeaux) pour lui faire compagnie. Bien évidemment il y a un écart important de noblesse et d’émotion, mais ce vin lui aussi n’a pas d’âge et aurait été la vedette d’un repas où le Margaux n’aurait pas été présent. J’ai aimé de lui laisser l’opportunité de figurer dans un grand repas.

Le rouget est l’ami des pomerols. Aussi le plat est fait pour le Château Nénin Pomerol 1961, vin en pleine maturité triomphante montrant un goût de truffe noire du plus bel effet. Étonnamment ce vin n’aura pas de vote alors qu’il est grand, ce qui montre la richesse de la compétition.

J’ai personnellement un faible pour ce Château Pichon Baron de Longueville 1904 que j’ai bu plusieurs fois et qui a offert un vin fruité que l’on n’attendrait jamais d’un vin de 120 ans. Il a su être présent ce qui me fait plaisir.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950 a tout d’un grand vin de la Romanée Conti. Une couleur terreuse, un nez et un goût de sel et cette subtilité logue et persistante, d’un vin qui ne veut pas flatter. Il est grand, mais ayant le souvenir de l’Echézeaux 1967 bu hier, je pressentais que La Tâche ne pourrait pas surpasser l’Echézeaux parfait.

Le lièvre combine puissance et légèreté avec des accents intenses. Le Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929 en aime certaines vivacités et La Tâche d’autres. Je ressens la plénitude absolue de ce vin liée à l’immensité du millésime. On est bien avec les vins de 1929.

L’envie était grande d’essayer le Maury domaine de Volontat 1880 sur le lièvre et c’est une excellente idée car ce vin d’une richesse infinie au goût concentré comme une liqueur est d’un charme extrême. Je connais le tonnelet qui avait gardé ce vin. La part des anges était telle qu’elle avait gardé une concentration folle de cet élixir que j’adore. Le nez fait penser à celui des liqueurs de goudron. Le Maury a accompagné le dessert par la suite.

Dès qu’on m’a servi le Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911 j’ai eu un choc comme celui que je ressens face à un vin parfait. Et l’émotion s’en prend à mon âme. Alors qu’il y a des vins grandioses dans ce repas, je serai le seul à le classer premier du fait de ce choc de pureté et d’absolue perfection. L’apparition de ce choc ne se commande pas.

Le Château Suduiraut Sauternes 1936 est d’un équilibre qui lui donne une puissance que l’on attendrait d’un 1937, la grande année de sa décennie en Sauternes. Il n’a pas la splendeur du Suduiraut 1928 qui est le plus beau sauternes 1928 que j’aie eu la chance de boire, mais il est au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C’est un sauternes riche et puissant, compagnon idéal du dessert aux fruits délicats.

Le classement des vins est toujours un exercice difficile. Sur les 13 vins, seulement trois vins n’ont pas eu de votes, ce qui signifie que dix vins sont dans les cinq premiers d’au moins un convive. Six vins ont eu le privilège d’être votés premiers, six fois pour le Château Margaux 1924, deux fois pour le Krug 1966 et une fois pour quatre vins : Laville Haut-Brion 1971, Bâtard Montrachet 1990, La Tâche 1950 et le Vin Blanc Vieux d’Arlay 1911.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Magnum Château Margaux 1924, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990, 5 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 6 – Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves white 1971.

Mon classement est : 1 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 2 – Magnum Château Margaux 1924, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950.

L’accord le plus sublime est celui des légumes à la vinaigrette avec les deux bordeaux de 1924. Qui aurait osé un tel accord ? Ce fut un coup de génie. Le Gnocchi à la truffe blanche avec le Vin Blanc d’Arlay m’a enthousiasmé, mais on peut dire que tout fut d’un génie extraordinaire car nos papilles ont été entraînées dans un tourbillon de merveilles gustatives. Nos palais faisaient un voyage comme dans la grande roue de Londres ou de Singapour.

La brigade de service composée d’hommes et de femmes impeccablement habillés et attentifs a fait un travail parfait qui rend hommage à la gastronomie, les femmes étant belles et remarquablement maquillées. Emmanuel Cadieu a fait un service du vin idéal.

En début de repas Arnaud Donckele était venu louer le travail que nous avions fait en commun, au point de dire que ce repas a été fait par François Donckele, mêlant nos deux noms. C’est infiniment gentil mais le talent d’Arnaud est le grand responsable de ce beau repas.

Nous sommes allés dans le fumoir pour goûter de beaux cigares apportés par les uns et les autres. J’avais apporté des cubains de la période Davidoff. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° m’avait tellement plu par sa couleur de mangue dans ma cave que je l’avais choisi. Il s’est montré gourmand et idéal pour que nous continuions de bavarder, encore impressionnés par ce repas parfait.