Avec quelques amis fidèles, nous avons notre façon à nous de faire « casual Friday ». Cela consiste à partager quelques belles bouteilles lors d’un déjeuner, en adoucissant l’heure de retour au bureau. J’avais récemment repéré quelques pépites dans la cave de l’hôtel Lutétia. C’était l’occasion d’y faire le siège de nos agapes du vendredi.
Arrivant en avance au restaurant « Paris » de l’hôtel Lutétia, je demande à Philippe, sommelier sympathique intéressé par notre démarche d’ouvrir et décanter les vins du repas pendant que j’ouvre le vin que j’ai apporté, extrait du lot que je viens d’acheter il y a tout juste une semaine, de vins de 1880 à 1930.
Les amis arrivent et nous commençons par un champagne Dom Ruinart 1986. Sa couleur a légèrement foncé et le champagne est évolué. Il a le charme des champagnes qui commencent à prendre de l’âge. Citronné, d’une acidité plaisante, il est joyeusement fruité. On se sent bien avec ce champagne. De fines tranches d’un jambon assez plat et une petite crème aux cèpes goûteuse s’ajustent bien à la vivacité du Dom Ruinart.
Sur un petite poêlée de girolles, le Château Haut-Brion blanc 1998 montre une race extrême. Haut-Brion est définitivement le vin blanc le plus plaisant du Bordelais. Fruité, complexe, très puissant, il a une longueur quasi inextinguible. Si les girolles sont une réussite, les coquilles Saint-Jacques avec des cèpes sont nettement moins réussies. La cuisson a été trop longue. Le Haut-Brion n’en souffre pas plus que cela.
Le chef doit être amoureux et ce n’est pas un excès de sel qui en est l’indice, mais un excès de cuisson du pigeon, fort goûteux au demeurant, rôti aux aromates, blette aux carottes fanes et aux tomates cerises confites. Le Château Gazin qui nous est présenté, carafé depuis plus d’une heure, a manifestement un problème. Philippe, fort gentiment, change de bouteille, et le Château Gazin 1990 que nous buvons maintenant, sorti de cave et frais est absolument délicieux. Il représente la maturité du Pomerol dans toute sa splendeur. Riche, plein, intense, c’est un vin joyeux. C’est un grand plaisir de le boire sur un pigeon de belle personnalité.
Sur un dessert très subtil aux tons très frais, le vin que j’ai ouvert avec difficulté car le bouchon s’est brisé en plusieurs morceaux nous offre son or franc et transparent. Le nez est d’agrumes, tendant vers le citron vert. En bouche, ce qui frappe tout de suite, c’est que le vin a, comme on dit, mangé son sucre. Il est devenu sec. Plein d’agrumes, avec une acidité très jolie, il a bravé les ans. Nous essayons de deviner ce qu’il est. L’étiquette est très peu lisible, mais on reconnaît la couronne qui signale les vins de la famille de Lur Saluces. Ce n’est sûrement pas un Yquem, et compte tenu de l’aspect aérien et léger, l’idée la plus plausible est qu’il s’agisse de Château Filhot. Comme les achats que j’ai faits portent majoritairement sur des années comme 1904 et 1896, disons que c’est 1904. Baptisons le Château Filhot 1904, et si ce n’est pas cela, ce n’est pas grave. Car ce qui compte c’est que nous avons aimé ce vin délicat, de belle acidité, fort long et complexe. Les sauternes devenu plus secs sont très plaisants. Nous avons aimé celui-ci.
Le cadre du restaurant et la belle table que l’on nous a attribuée sont un atout certain. Il faudrait deux ou trois petits points d’amélioration en cuisine pour que le plaisir soit total, car la carte des vins mérite que l’on revienne souvent dans ce beau restaurant historique parisien.