Un ami américain, grand connaisseur de vins, m’annonce sa venue à Paris car il va visiter plusieurs grands vignobles. Il propose de m’inviter et me demande de fournir quelques vins. Sachant qu’il boit des vins prestigieux, j’ai préparé pour ce repas au restaurant Maison Rostang des vins dont je suis sûr qu’il ne les a jamais bus. Sa réaction me fait comprendre qu’il voudrait plus prestigieux, ce qui ne me gêne pas.
J’arrive au restaurant à 17 heures. J’ai dans ma besace six bouteilles. Je n’en ouvrirai que deux. Le parfum du Château Lafite 1900 est à se damner tant il est d’une perfection absolue. Riche, fruité, rond, séducteur, ce parfum devrait être inscrit au Guinness Book of Records, si on arrivait à conserver les parfums. Il est tellement puissant que je décide de mettre un bouchon neutre pour le conserver intact jusqu’à l’heure du repas.
A 18h30 j’ouvre un Champagne Gonet Père & Fils 1962 dont les arômes indiquent un âge certain mais une belle pureté. Je fais mettre au frais un vin blanc et j’attendrai l’arrivée de mon ami pour que l’on décide ce qui sera ouvert.
Mon ami arrive avec un autre ami que je connais et que je n’attendais pas. Il va falloir ouvrir d’autres vins. Je suggère le menu : asperges pour le champagne, langoustines pour le vin blanc que j’ai apporté et pigeon pour le Lafite.
La délicieuse amertume des asperges est idéale pour le Champagne Gonet Père & Fils 1962 à la couleur ambrée. La bulle est absente et le pétillant est très faible, donnant à ce champagne plus un goût de vin que de champagne. On s’aperçoit que le vin de base de ce champagne est noble et bien fait. Le vin est complexe avec des suggestions de saveurs alanguies et joliment vieillies. Il est agréable mais un peu plus âgé qu’il ne devrait.
La suite du repas se fera en dégustation à l’aveugle. L’Hermitage de Boissieu 1959 est un vin que j’ai acheté récemment, fasciné par sa magnifique couleur. Dans le verre, le vin est d’un or resplendissant très clair. Le nez est impressionnant de complexité et en bouche il est phénoménal. Je le rangerais volontiers parmi les plus grands blancs qui soient. Mes convives ont hésité entre Bourgogne et Rhône et ont cité des années autour de 1978. Ce vin riche, complexe, puissant et affirmé est exceptionnel.
Le Château Lafite 1900 a son nom et l’année gravés dans un écusson en verre collé à la bouteille. La bouteille a été soufflée manuellement et une irrégularité dans le goulot avait déchiré le bouchon à sa remontée. Le parfum est luxuriant, riche et séduisant. En bouche c’est la perfection absolue du bordeaux. J’avais acheté plusieurs bouteilles d’un même lot, et chaque fois que je l’ai bu, je l’ai trouvé parfait. Celui-ci est particulièrement percutant, alors qu’il a 122 ans. Mes amis ont évoqué les années trente ou quarante et ont été surpris qu’il soit aussi fringant. L’accord avec le pigeon est superbe.
Mon ami a tenu à nous faire boire une bouteille qu’il commande en cachette sur la carte du restaurant. Je vais donc maintenant devoir goûter à l’aveugle. L’idée d’un Bourgogne est assez évidente. Pour le domaine j’ai suggéré Rousseau et pour l’année, considérant que c’est un vin jeune, j’ai cité 1990 ce qui veut dire – pour moi – que c’est très jeune. Il s’agit en fait d’un Richebourg domaine Méo- Camuzet 2002. Nous prenons des fromages ce qui permet de boire ce vin et aussi le reste du vin blanc.
Le Richebourg est noble. On sent que c’est un Grand Cru. Il a déjà un bel accomplissement qui le rend très agréable à boire, mais après avoir bu le Lafite, on se rend compte qu’il faudra au moins 20 ans pour qu’on puisse le goûter à maturité.
La cuisine est superbe et le restaurant a gardé cette ambiance familiale qui fait son charme. Le service est très attentif. Mon classement des vins de ce repas est : 1 – Lafite 1900, 2 – Hermitage blanc 1959, 3 – Richebourg 2002, 4 – Gonet 1962.
Je suis content d’avoir revu ces amis et d’avoir ouvert un Lafite 1900 au sommet absolu de son art.