Archives de l’auteur : François Audouze

290ème dîner au restaurant Pages mercredi, 20 novembre 2024

De temps en temps sur Instagram, je mets une énigme, appelée Enigma, dont les gagnants seront invités à partager avec moi un repas et des grands vins. La dernière date d’août 2024. Les personnes qui ont répondu sont au nombre de 34 sur les 8.421 qui ont lu l’énoncé. Il s’agissait de créer un programme de vins pour le menu du déjeuner du 15 août.

J’ai choisi les réponses les plus proches de mon propre choix et j’ai désigné cinq vainqueurs. Il a fallu ajuster nos agendas car les gagnants sont de Paris, de Lyon, des Pays-Bas, de Suisse et de New-York.

Par ailleurs, j’avais depuis quelques années offert des places à l’académie des vins anciens à des élèves de grandes écoles. Certains d’entre eux s’étaient inscrits au championnat européen des grandes écoles de dégustation à l’aveugle de vins. Un groupe de trois élèves ou ex-élèves a gagné ce concours et voulaient le célébrer avec moi lors d’un dîner.

L’idée m’est venue de fusionner les deux dîners, ce qui permettrait aux gagnants de l’énigme d’avoir un plus grand nombre de vins à déguster et aux jeunes gagnants du concours européen de participer à un dîner selon le schéma habituel de mes dîners. Ma fille est venue compléter notre table, car par un hasard incroyable, l’un des vainqueurs de l’énigme est le président de la société d’avocats de ma fille. Je ne le savais pas et c’est ma fille qui m’avait appris que son ‘patron’ serait du groupe des gagnants.

Nous sommes dix au restaurant Pages pour un dîner qui sera la 290ème de mes dîners. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et je serai rejoint par l’un des anciens étudiants qui a apporté trois bouteilles pour les trois étudiants : un chablis 1984, un Haut-Bailly 1928 et un Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, annoncé comme étant des années 1910, mais que je pense probablement des années trente, voire, au moment où on l’a bu de 1928 ou une année approchante.

Cet ami a aussi apporté des truffes et du beurre de truffe qui seront utilisés à bon escient par le chef.

Beaucoup de vins ont eu des bouchons qui se brisent, mais aucun parfum n’a montré des signes de faiblesse.

J’avais apporté un magnum de Champagne Deutz 1961, mais la couleur du vin me paraissait trop sombre, avec beaucoup de dépôt en suspension. J’avais ajouté un magnum de Heidsieck Monopole Diamant Bleu 1976 pour le cas où. Nous avons goûté le Deutz avec Pierre Alexandre le directeur et sommelier du restaurant et ce fut une plaisante surprise car la complexité de ce champagne est prometteuse. J’ai donc rangé le Heidsieck qui ferait double emploi.

Les convives sont tous à l’heure et je suis gâté par des cadeaux des gagnants de l’énigme, très généreux. Il se trouve que sur Instagram on peut me voir avec des pulls violets. L’un des gagnants m’a offert un pull violet. Quelle gentille attention :

Pendant l’ouverture des vins j’avais mis au point le menu avec le chef Ken qui sera organisé ainsi : amuse-bouches / wagyu cru / bar cru / homard breton / saint-pierre et purée de pommes de terre / lièvre à la royale / wagyu / dessert au marron et agrumes / financier.

Le Champagne Deutz magnum 1961 est servi et, si le premier verre est clair, plus Pierre-Alexandre sert les convives et plus les verres deviennent noirs. Je ne peux pas laisser cela aussi je fais ouvrir le Champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu magnum 1976 à la si jolie bouteille.

Dans les verres, le sédiment du Deutz tombe au fond, aussi ce que l’on boit est beaucoup plus clair. Le goût de ce champagne est intéressant car il est multiple. Il y a du sec, de l’aqueux, du minéral et de la douceur. Il se comporte plutôt bien. Le Heidsieck est absolument parfait. Il est gourmand, souple, accueillant. Sa couleur est joliment dorée. C’est un champagne de gastronomie.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est d’une cuvée que j’adore. Riche, accompli, il est brillant. Mais le Diamant Bleu qui a vingt ans de plus montre que la maturité est un atout considérable. Le Heidsieck est brillant avec le wagyu cru alors que le Henriot est excité par le bar cru.

Le homard a une cuisson absolument idéale qui m’a impressionné. Les deux blancs sont très différents. Le Chablis grand cru « Blanchot », domaine Raveneau, 1984 est riche, rond, noble, conquérant, d’une richesse extrême, alors que le Chassagne Montrachet Les Ruchottes Ramonet 1992 est subtil, tout en longueur avec un goût délicat qui ne s’arrête jamais. Alors qu’on pourrait aimer les deux car ils ont des facettes très différentes, le chablis ‘écrasera’ le Chassagne dans les votes, certainement parce que l’accord avec le homard est totalement fait pour le chablis.

On va retrouver des différences aussi sensibles avec les deux bordeaux. Le Château Ausone 1953 est un Saint-Emilion très grand, qui est l’archétype de ce que doit être saint-émilion. Au contraire, le Château Haut-Bailly 1928 est un vin noble, gourmand et riche comme le sont les 1928, mais on serait incapable de le situer sur la planète Bordeaux, car on ne ressent pas le Pessac-Léognan. Le saint-pierre est fait pour l’Ausone mais le Haut-Bailly est très gourmand.

Le lièvre à la royale fait selon la recette du sénateur Couteaux est léger (si l’on peut dire). Le Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable 1928 est un vin accompli, rond, d’une richesse extrême. C’est cette richesse qui me pousse à proposer 1928 comme millésime, alors que l’un des étudiants l’a trouvé dans un lot de vins de Marey-Monge plutôt dans les années dix. Mais 1928 ou 1929 sont plausibles.

A côté du bourgogne, le Vega Sicilia Unico 1969 me fait tomber en pâmoison, car il a un fruit rouge si délicat qu’on croirait un vin de moins de vingt ans. Quelle grâce légère ! Le Marey Monge est fait pour le lièvre et le Vega est fait pour le wagyu. Les deux vins sont splendides mais c’est le Marey-Monge qui raflera la mise dans les votes.

Le dessert préparé par Lucas est absolument exceptionnel de finesse et épouse les sauternes à la perfection car le marron est tout en douceur avec des agrumes délicats.

Le Rousset Peyraguey Sauternes 1983 est bouchonné mais l’ami qui l’a apporté avait une autre bouteille qui a montré un sauternes subtil, pas du tout en force, contrairement au Château De Fargues Lur-Saluces 1983 qui est d’une richesse gourmande extrême. C’est un vin solide et noble.

J’avais servi au 289ème dîner le Black Head Rum West Indies Cazenove probable 19ème siècle que j’avais situé alors vers les années trente, mais j’avais oublié qu’un rhum aussi boisé devait avoir passé des décennies en fût, ce qui justifie la nouvelle estimation de date. Le rhum est toujours fort, intense, boisé, avec des notes mentholées. Il est si expressif que je l’ai mis deuxième de mon vote. L’un des ex-étudiants m’a dit qu’à la réflexion il aurait aimé le mettre premier.

C’est le moment des votes. Chacun vote pour ses cinq vins préférés. Tous les vins ont eu un vote sauf le Rousset Peyraguey Sauternes 1983, dont une première bouteille était bouchonnée mais la seconde bue après nos votes. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premier : le chablis 1984 trois fois, le Heidsieck 1976 deux fois comme le Bourgogne année autour de 1928 et le Vega Sicilia 1969, tandis que le Château Ausone 1953 a eu un vote de premier.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable # 1928, 2 – Chablis grand cru Blanchot, domaine Raveneau, 1984, 3 – Champagne Heidsieck Monopole Diamant Bleu magnum 1976, 4 – Vega Sicilia Unico 1969, 5 – Château Ausone 1953, 6 – Château Haut-Bailly 1928.

Mon vote est : 1 – Vega Sicilia Unico 1969, 2 – Black Head Rum West Indies Rum maison Cazenove à Bordeaux # 19ème siècle , 3 – Bourgogne rouge Marey Monge, sans étiquette, probable # 1928, 4 – Château Haut-Bailly 1928, 5 – Chablis grand cru « Blanchot », domaine Raveneau, 1984.

Il est intéressant de constater que les trois vins des ex-étudiants sont classés pour la table en 1, 2 et 5 et pour moi en 3, 4 et 5. Leurs apports sont remarquables.

Il convient de féliciter le restaurant pages pour ce repas de très haut niveau. La cuisson du homard était exceptionnelle, le saint-pierre cuit lui aussi avec grande délicatesse, le lièvre gourmand et presque aérien, le wagyu de qualité rare et de cuisson idéale et le dessert magique au point que j’ai demandé à Lucas de boire le Fargues pour qu’il voie à quel point son plat était parfait.

Naoko Teshima, la propriétaire du restaurant, a accompagné notre aventure avec plaisir.

Ce repas ‘Enigma’ a été exceptionnel.

Bulletins du 2ème semestre 2024, du numéro 1029 à … lundi, 18 novembre 2024

Bulletins du 2ème semestre 2024, du numéro 1029 à …

Pour lire le bulletin de votre choix, on clique sur le lien pour ouvrir le pdf de ce bulletin

To read a bulletin, click on the link of this bulletin.

(bulletin WD N° 1039 241119)    Le bulletin 1039 raconte : 286ème dîner au restaurant Pages et déjeuner de famille à mon domicile.

(bulletin WD N° 1038 241108)    Le bulletin 1038 raconte : dîner avec mon fils avec des vins qui ne pourraient pas figurer dans mes dîners, autre dîner avec de grand vins et déjeuner au restaurant Marsan Hélène Darroze pour préparer un futur dîner pour 20 personnes.

(bulletin WD N° 1037 241022)    Le bulletin 1037 raconte : 285ème dîner au restaurant Astrance, dîner au restaurant A.M. Alexandre Mazzia à Marseille.

(bulletin WD N° 1036 241009)    Le bulletin 1036 raconte : dernier dîner des trois mois dans le sud, déjeuner au restaurant Astrance et 284ème de mes dîners au restaurant Pages, original puisque nous ne sommes que trois.

(bulletin WD N° 1035 240925)    Le bulletin 1035 raconte : déjeuner du 15 août compté comme 283ème repas, un Penfolds Grange, un dîner avec des amis et un dîner avec un nouveau vigneron du sud avec des vins de Curnonsky.

(bulletin WD N° 1034 240913)    Le bulletin 1034 raconte : plusieurs dîners dans un restaurant de plage où je peux apporter mes vins, plusieurs repas de famille et déjeuner chez des amis.

(bulletin WD N° 1033 240905)    Le bulletin 1033 raconte : de nombreux repas dans le sud, à la maison ou au restaurant, avec de grands vins.

(bulletin WD N° 1032 240830)    Le bulletin 1032 raconte : déjeuner au restaurant de l’hôtel Lilou à Hyères, dîner à l’hôtel Restaurant de Lauzun au prieuré Saint-Jean de Bébian et dégustation de 27 millésimes du Mas de Daumas Gassac rouge avec la famille Guibert et des experts de tous pays.

(bulletin WD N° 1031 240716) Le bulletin 1031 raconte : dîner irréel à l’Oustau de Baumanière où nous avons bu 5 vins du 18ème siècle, 9 vins du 19ème siècle, 11 vins du 20ème siècle et un vin du 21ème siècle. Un repas d’anthologie, le plus incroyable de ma vie.

(bulletin WD N° 1030 240709)    Le bulletin 1030 raconte : 40ème édition de l’Académie des Vins Anciens au restaurant Macéo : 37 convives et 54 vins.

(bulletin WD N° 1029 240702)    Le bulletin 1029 raconte : dîner au restaurant « au bourguignon du Marais », 282ème déjeuner à l’Appartement de Moët Hennessy à Paris et déjeuner au restaurant l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement.

 

Déjeuner avec des vins à risque lundi, 18 novembre 2024

Les fêtes de fin d’année approchent. Je cherche au hasard des vins pour les réveillons. Ma fille cadette venant déjeuner demain, deux bouteilles prestigieuses qui me semblent incertaines devraient convenir à ce repas.

Le programme est : petits biscuits au parmesan, pâté de tête / coquelets et purée de pommes de terre / époisses et mont-d’or / flan.

Dès dix heures du matin j’ouvre le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 au niveau à 15 centimètres du bouchon. Je tire doucement un bouchon tout noir et la première odeur est horrible, essentiellement de terre poussiéreuse. Immédiatement je pense que 99,9 % des amateurs de vins déclareraient la mort du vin et l’écarteraient. Ma vision du vin ancien est que l’on doit toujours donner sa chance au vin car si l’on pense déclarer la mort, autant le faire quatre heures plus tard. A ce stade, je ne peux pas garantir un retour à la vie, mais j’ai déjà rencontré des résurrections de vins ayant les mêmes défauts de parfums.

A titre de sécurité, j’ouvre une demi-bouteille de Château Lafite-Rothschild 1969 que j’ai bu plusieurs fois avec bonheur.

J’ouvre ensuite le Champagne Dom Pérignon 1959 à l’étiquette abîmée et au bouchon qui a dû souffrir. 1959 est une grande année pour ce champagne et fort curieusement je ne reçois jamais d’offres de ce millésime. Il n’est pas question de le voir s’abîmer encore, il faut le boire maintenant, d’autant qu’il a perdu une dizaine de centimètres. Je veux tourner la petite rondelle de fil d’acier qui, en tournant, permettrait de dégager la coiffe du bouchon, et elle me reste dans les doigts. Les fils d’acier se déchirent. Quand je veux lever le bouchon il se brise et le bas du bouchon nécessite un tirebouchon. L’odeur est assez fatiguée, mais aucun défaut n’apparaît. Il n’y a pas de pschitt.

L’avenir est incertain mais il faut espérer des retours à la vie.

Ma fille arrive avec son fils et je verse le Champagne Dom Pérignon 1959 qui n’a pas de bulle, qui a une jolie couleur dorée joyeuse et qui a une odeur très discrète, peu expressive. Dès la première gorgée, je sais que le champagne est grand. Il n’a aucun défaut. Mais la surprise vient maintenant. Sur le pâté de tête, je me rends compte que le champagne est superbe et gourmand, mais en plus, qu’il me semble être très au-dessus des champagnes de cette période. Il est immense, royal, impérial. Quelle surprise !

Le plus grand Dom Pérignon que j’ai bu est le 1929 de ma cave que j’ai partagé avec Richard Geoffroy. Je serais prêt à penser que ce 1959 vient juste après le 1929, car il explose de joie et de complexité. Je n’en reviens pas.

Les coquelets sont servis et nous commençons par le Château Lafite demi-bouteille 1969. Il est agréable, conforme à ce que doit être un Lafite, très plaisant et confirme ce que j’attendais.

Le Clos de la Roche Joseph Drouhin 1937 montre un parfum fascinant et joyeux. Toutes les mauvaises odeurs ont disparu, remplacées par des senteurs de petits fruits rouges étonnants. La couleur est d’un rouge marqué d’un peu de terre comme des vieilles Romanée Conti, mais couleur plaisante. En bouche, ce sont les petits fruits rouges qui dominent et le vin est absolument superbe. J’ai beau raconter des dizaines et des dizaines de fois des retours à la vie de vins blessés, je reste quand même fasciné qu’un vin qu’il faudrait jeter puisse se montrer aussi glorieux et sans le moindre défaut.

Sur l’époisses, le vin de Drouhin devient absolument immense. Le fromage le propulse.

Le flan permet au champagne de continuer de briller.

Il est à noter que le soir, j’ai goûté à nouveau les deux vins. Le champagne a perdu de sa splendeur, il s’est éteint, alors que le Clos de la Roche est toujours aussi brillant. C’est donc le vainqueur inattendu de cette belle journée.

289ème dîner au restaurant Marsan Hélène Darroze samedi, 16 novembre 2024

Le 289ème dîner se tient au restaurant Marsan Hélène Darroze. Un ami m’avait demandé en 2019 de faire un repas pour une vingtaine de ses amis. Nous avions choisi le restaurant Marsan Darroze qui a une table qui permet d’accueillir une vingtaine de personnes. Ce fut le 240ème dîner. Il y a quelque temps, il m’a demandé de faire un dîner similaire pour des relations de travail.

J’ai contacté il y a un mois le restaurant pour étudier la cuisine et mettre au point un menu qui correspondrait aux vins que j’ai prévus. J’ai déjeuné sur place et rencontré l’équipe du restaurant qui est totalement différente de celle de 2019. Je ne connaissais ni le directeur, le chef de cuisine, la pâtissière, ni le sommelier.

Nous avions travaillé avec un bel esprit de coopération et voici le menu conçu par le chef Paul Genthon et toute son équipe, dont j’ai raccourci un peu le texte : gougères nature : gressins aux anchois de Cantabrie, purée d’artichaut / Taloa, comme au pays basque, sashimi de la pêche du jour, herbes fraiches et fleur de sel épicée / le champignon crème, carpaccio au foie gras de canard, crème de noix fraîches, émulsion de vin jaune / homard bleu aux épices tandoori, mousseline de carottes, réduction de poivre à la coriandre / pigeon fermier à la goutte de sage, flambée au capucin, pomme de terre fondante, toasts aux abats, jus intense / Comté de 18 mois / granité de pamplemousse rose / mangue en tatin / financier à la rose.

J’arrive peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Il y a 17 bouteilles dont un jéroboam, deux magnums et 14 bouteilles. Beaucoup de bouchons ont été difficiles à retirer et j’ai eu quelques fois recours à l’aide d’Avishek Bhugaloo, le chef sommelier ou de Nicolas l’un des sommeliers qui gère la belle exposition de bouteilles dans la salle où nous allons dîner. Le Jéroboam de Veuve Clicquot a un bouchon très serré qu’il a fallu tirer avec de grands efforts. Il n’a pas été explosif. Il n’y a eu aucun vin qui pose question, les plus beaux parfums étant ceux des sauternes, du Grands Echézeaux et du Chablis. Les sept vins qui avaient chacun deux bouteilles ont offert des parfums différents. Parmi les vins que j’avais prévu il y avait un Château Olivier blanc 1949. Les deux bouteilles ont des couleurs extrêmement différentes. Par précaution j’ai décidé de ne pas les ouvrir et de remplacer ce vin pas deux Chablis 1976 aux couleurs parfaites.

J’ai été fatigué par cette opération et j’ai cherché à me reposer avant l’arrivée des convives. Nous sommes 21 avec une absence de parité car seulement deux femmes sont à notre table.

Le Jéroboam du Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 a un très joli parfum subtil et engageant. En bouche, il est large et expressif. C’est un beau champagne qui demandera sans doute vingt ans pour devenir éblouissant car il est d’une grande année. Il est grand maintenant mais la sagesse serait d’attendre. J’ai en tête un sublime magnum de Veuve Clicquot 1947 absolument magique. Ce 2008 a la capacité d’atteindre ce niveau. Il faut attendre. Les gressins aux anchois excitent bien ce champagne.

Après la présentation habituelle des « règles » pour profiter au mieux de mes dîners, nous passons à table et le Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est servi. Quel contraste entre les deux champagnes. Le Veuve Clicquot est le saint-cyrien qui va défiler au 14 juillet alors que l’Enchanteleur est le sous-préfet au champ, gourmand et jouisseur. Ce solide champagne, c’est la joie de vivre. On a tendance à le préférer car il a du charme, mais le délicieux Taloa très expressif donne à La Grande Dame une énergie beaucoup plus vive.

Le Chablis Grand Cru Vaudésir la Valadière 1976 à la belle couleur de blé doré me plait instantanément. Je me dis souvent qu’on ne boit pas assez de chablis car ils sont très expressifs et vifs, sans aucune lourdeur. Et les champignons se marient divinement avec le chablis puissant.

Mais le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 n’est pas en reste avec le plat charmant. Il est tout en douceur subtile. Récemment nous avions partagé un Montrachet du même producteur et de la même année et on retrouve ce charme subtil et enjôleur, très rond. Les deux blancs cohabitent très bien ensemble face au plat.

Beaucoup de convives sont surpris que le homard soit associé avec un vin rouge. J’avais senti à l’ouverture le nez parfait de l’Ausone et le mot qui convient au Magnum Château Ausone 1970, c’est le mot ‘parfait’. Le vin a tout le charme truffé du saint-émilion et il est d’un équilibre saisissant. On sent que ce vin noble a atteint le sommet de ses subtilités. Le homard est parfaitement exécuté.

Le pigeon va accueillir deux vins très différents qui vont accumuler 15 votes de premier sur les 21 possibles. 70% des votes de premier sont pour ces deux seuls vins.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 a tout pour me séduire car il a l’âme de la Romanée Conti. Il peut surprendre certains convives car il est canaille après l’Ausone, qui était très premier de la classe. Il a des teints de terre et des saveurs de sel, mais surtout il se comporte comme souvent, le vin expressif qui ne veut pas convaincre. Il est hors des sentiers conventionnels et c’est ce que j’adore.

A côté de lui l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, c’est la France tranquille. Il est solide, construit, clair et facile à comprendre mais d’une richesse de style qui convainc tout le monde. Je sens autour de moi un très grand étonnement : comment un vin de 1949, qui a 75 ans, peut-il être aussi vivace, épanoui et joyeux. C’est la magie des vins anciens. L’accord avec le pigeon très bien traité est total.

A l’ouverture des vins j’avais trouvé que les deux bouteilles du Clos Du Bourg Vouvray Moelleux 1959 manquaient un peu d’énergie mais en fait le comté a créé un accord absolument divin qui a donné au Vouvray une énergie supplémentaire. Son moelleux délicat est très séduisant.

J’aurais sans doute dû mettre le Filhot avant le Suduiraut, car le Château Suduiraut Sauternes 1959 est d’une puissance extrême. Il est riche, puissant et envahit aussi bien le nez que le palais par sa force de séduction. Le millésime 1959 est très grand en Sauternes. Le pamplemousse rose est idéal et frais mais le granité froid a tendance à anesthésier l’accord.

Le Château Filhot 1928 est d’une année mythique. On ressent que ce vin est beaucoup moins puissant que 1959 mais sa subtilité gracieuse s’exprime bien avec une tarte Tatin à la mangue réussie.

J’ai apporté une surprise pour cet aimable groupe. C’est une grande bouteille de plus d’un litre d’un Black Head Rum de la maison Cazenove à Bordeaux qui est un West Indies Rum. L’étiquette a un écusson central avec le dessin de la tête d’un jeune noir aux yeux exorbités. On imagine volontiers qu’une telle étiquette serait impossible aujourd’hui aussi bien par le nom ou par l’image. Je l’ai montré à toute la table promettant de le servir après les votes, ce qui devait encourager à voter vite.

Recueillir le classement de 21 personnes n’est pas chose simple, mais tout le monde s’est prêté à cet exercice sans problème. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premiers, l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949 bénéficiant de dix votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 recevant 5 votes de premier, l’Ausone 1970 trois votes, le champagne Henriot 1996 deux votes de premier et le chablis 1976 un vote de premier. Tous les vins ont eu au moins un vote sauf le Veuve Clicquot mais cela est compréhensible, car c’est le vin de bienvenue, qui est souvent oublié en fin de repas.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 2 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 3 – Magnum Château Ausone 1970, 4 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996, 5 – Château Suduiraut Sauternes 1959, 6 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990.

Mon classement est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 2 – Magnum Château Ausone 1970, 3 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 4 – Chablis Vaudésir la Valadière 1976, 5 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996.

J’ai servi moi-même les verres à ceux qui voulaient boire ce rhum. Il est d’une couleur très foncée et sa puissance est étonnante. Il fait certainement plus de 50°. On n’est pas du tout dans le charme et la rondeur d’un rhum mais plutôt dans la puissance d’un alcool très boisé un peu torréfié. Je l’adore absolument car sa vivacité est attachante. Un bonheur qui m’émeut de la part d’une bouteille rare.

Il est difficile de le dater mais je pense, ayant vu le bouchon noirci dans sa partie basse, qu’il est probablement de la décennie des années 30 ou peut-être des années 40. Ayant versé le rhum, des gouttes coulaient sur ma main. J’ai dû laver mes mains au moins trois fois et le parfum restait intense sur ma main.

L’ami qui a invité ce groupe a un talent pour animer que j’avais déjà constaté au précédent dîner qui fait que l’ambiance est joyeuse, amicale et fort agréable. Il avait même prévu que les convives changent de place deux fois en cours de repas ce qui a animé encore plus les conversations.

Le chef Paul Genthon et la pâtissière Juliette Le Floc’h ont réalisé des plats qui ont accompagné idéalement les vins servis par Avishek Bhugaloo et son équipe. Le directeur Dimitri Auriant a coordonné tout le déroulement avec pertinence. Ce fut un dîner parfait dans une belle ambiance. On ne demande qu’à recommencer.

Déjeuner de famille dimanche, 10 novembre 2024

Ma fille aînée vient avec sa fille aînée déjeuner à la maison. A l’apéritif nous buvons un Champagne Cristal Roederer 1999 qui m’avait gratifié à l’ouverture d’un petit pschitt discret. Le champagne a de jolies bulles fines et une couleur d’un or clair. De fines tranches de boudin blanc sont idéales pour mettre en valeur la personnalité de ce Cristal. Il est large et confortable. Il n’a pas une grande énergie, mais c’est un champagne de qualité très agréable à boire.

Pour la pintade, j’ai ouvert un Château Ausone 1967. Le niveau était dans le goulot, le bouchon idéal et le parfum prometteur à l’ouverture. Dès la première gorgée, on sent à quel point il est noble. C’est l’archétype d’un grand Saint-Emilion. Tout en lui est pur, riche, intense et équilibré. C’est le bordeaux parfait à la maturité idéale.

288ème repas au restaurant Plénitude Arnaud Donckele samedi, 9 novembre 2024

Le 288ème repas se tient au restaurant Plénitude Arnaud Donckele. C’est un déjeuner pour lequel la salle est privatisée et dont la table s’appelle François Audouze, car elle a été créée selon mes suggestions. Elle est ovale ce qui permet que tout le monde se voie, sans que la distance entre convives soit trop grande. Nous sommes douze dont cinq qui viennent pour la première fois. Le contingent féminin est faible par le nombre qui est ‘un’, mais fort par la présence de mon amie américaine qui a participé à environ vingt-cinq repas.

Je commence l’ouverture des vins avec Chloé, sommelière qui assiste Emmanuel Cadieu le brillant chef sommelier. J’ai invité à ce repas Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie française et ancien chef de cuisine de l’Elysée, qui aura travaillé pour quatre présidents. Il me rejoint à la cérémonie d’ouverture des vins.

Il y a pour ce repas des vins des années 1880, 1904, 1911, 1924, 1924, 1929, 1936, 1950, 1961, 1966, 1971, 1990, 1990. Il y a huit vins de plus de 70 ans dont 5 vins d’un siècle ou plus. Le risque existe que des bouteilles soient difficiles et la plus risquée me semble être le Pichon Baron 1904 au niveau à mi- épaule. Je commence par ouvrir La Tâche 1950 au bouchon noir et dont le haut de bouchon, avant que je ne le nettoie, est couvert d’une poussière noire qui sent la terre. Heureusement cette odeur n’existe pas pour le vin. Le Chambertin 1929 a un parfum que j’adore, représentatif de cette glorieuse année. Le parfum du Château Margaux 1924 en magnum est extrêmement convainquant. J’adore les odeurs des deux blancs et je suis fasciné par le parfum du 1904, qui offre une odeur de fruits rouges que l’on n’imaginerait pas. Les parfums les plus forts sont ceux du Vin blanc d’Arlay et du Maury si riche.

Les vins étant ouverts nous avons le temps de parler avec Arnaud Donckele et Guillaume Gomez et c’est fort agréable.

Il y a presque un mois j’avais travaillé avec Arnaud Donckele, Alexandre Larvoir le directeur du restaurant et le chef cuisinier du restaurant pour bâtir le menu. C’est pour moi enthousiasmant de confronter mes idées avec le génie de ce grand chef. Nous avons fait un programme qui semble passionnant.

Le menu créé par Arnaud Donckele est ainsi libellé : gourmandises de bienvenue (dont une huître) / homard – tourteau – corail pour sauce à manger « langue de chat » / partition maraîchère pour vinaigrette « patidou » / rouget – boulangère – genièvre pour soupe de roche « tanin des failles rocheuses » / lièvre – céleri – baie rose pour jus « bois tison » / Gnocchi – Alba – Crocus pour Poulette « d’Y » / Flave Equinoxe nuances de mangue à pomme pour sauce pectinée « bruine d’endocarpe » / Financier de François Audouze.

J’aime cette présentation où le mot « pour » est systématiquement utilisé pour montrer que les ingrédients sont au service de la sauce, qui est le cœur du plat. Si le financier porte mon nom c’est parce que je l’ai souvent proposé comme point final d’un repas. Il est à la rose.

Je présente les règles des repas aux cinq nouveaux mais aussi aux habitués pendant que l’on boit le Champagne Dom Ruinart 1990. Il est riche et brillant, tout en gloire car il est d’une année mythique pour Dom Ruinart. Il est associé avec le Champagne Krug Vintage 1966 pour les amuse-bouches. L’huître est à se damner avec le Krug, si noble et profond. Il représente l’aristocratie du champagne, d’une noblesse exemplaire. Les deux champagnes sont très différents, l’un pour son charme plaisant et l’autre pour sa perfection incomparable car 1966 est le sommet du champagne.

Le homard est d’un raffinement absolu. Le Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves 1971 est un vin percutant, pointu, vif et noble. A côté, le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 est d’une douceur et d’un charme inouï. Il est comme une gondole de Venise qui glisse doucement dans le gosier. Comme pour les champagnes, les deux blancs sont résolument différents et c’est ce qui rend l’expérience du mariage mets et vins si excitante.

La partition maraîchère accueille les deux vins centenaires. Le Magnum Château Margaux 1924 est tout simplement sublime. Il aura une victoire cinglante de six votes de premier. Ce vin est la définition absolue du bordeaux parfait, avec un équilibre impressionnant et une vivacité marquante.

A côté de lui j’avais choisi le Château Grand Saint Lambert Cru Bourgeois Supérieur 1924 (cave du Chapon Fin à Bordeaux) pour lui faire compagnie. Bien évidemment il y a un écart important de noblesse et d’émotion, mais ce vin lui aussi n’a pas d’âge et aurait été la vedette d’un repas où le Margaux n’aurait pas été présent. J’ai aimé de lui laisser l’opportunité de figurer dans un grand repas.

Le rouget est l’ami des pomerols. Aussi le plat est fait pour le Château Nénin Pomerol 1961, vin en pleine maturité triomphante montrant un goût de truffe noire du plus bel effet. Étonnamment ce vin n’aura pas de vote alors qu’il est grand, ce qui montre la richesse de la compétition.

J’ai personnellement un faible pour ce Château Pichon Baron de Longueville 1904 que j’ai bu plusieurs fois et qui a offert un vin fruité que l’on n’attendrait jamais d’un vin de 120 ans. Il a su être présent ce qui me fait plaisir.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950 a tout d’un grand vin de la Romanée Conti. Une couleur terreuse, un nez et un goût de sel et cette subtilité logue et persistante, d’un vin qui ne veut pas flatter. Il est grand, mais ayant le souvenir de l’Echézeaux 1967 bu hier, je pressentais que La Tâche ne pourrait pas surpasser l’Echézeaux parfait.

Le lièvre combine puissance et légèreté avec des accents intenses. Le Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929 en aime certaines vivacités et La Tâche d’autres. Je ressens la plénitude absolue de ce vin liée à l’immensité du millésime. On est bien avec les vins de 1929.

L’envie était grande d’essayer le Maury domaine de Volontat 1880 sur le lièvre et c’est une excellente idée car ce vin d’une richesse infinie au goût concentré comme une liqueur est d’un charme extrême. Je connais le tonnelet qui avait gardé ce vin. La part des anges était telle qu’elle avait gardé une concentration folle de cet élixir que j’adore. Le nez fait penser à celui des liqueurs de goudron. Le Maury a accompagné le dessert par la suite.

Dès qu’on m’a servi le Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911 j’ai eu un choc comme celui que je ressens face à un vin parfait. Et l’émotion s’en prend à mon âme. Alors qu’il y a des vins grandioses dans ce repas, je serai le seul à le classer premier du fait de ce choc de pureté et d’absolue perfection. L’apparition de ce choc ne se commande pas.

Le Château Suduiraut Sauternes 1936 est d’un équilibre qui lui donne une puissance que l’on attendrait d’un 1937, la grande année de sa décennie en Sauternes. Il n’a pas la splendeur du Suduiraut 1928 qui est le plus beau sauternes 1928 que j’aie eu la chance de boire, mais il est au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C’est un sauternes riche et puissant, compagnon idéal du dessert aux fruits délicats.

Le classement des vins est toujours un exercice difficile. Sur les 13 vins, seulement trois vins n’ont pas eu de votes, ce qui signifie que dix vins sont dans les cinq premiers d’au moins un convive. Six vins ont eu le privilège d’être votés premiers, six fois pour le Château Margaux 1924, deux fois pour le Krug 1966 et une fois pour quatre vins : Laville Haut-Brion 1971, Bâtard Montrachet 1990, La Tâche 1950 et le Vin Blanc Vieux d’Arlay 1911.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Magnum Château Margaux 1924, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990, 5 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 6 – Château Laville Haut Brion 1er Cru de Graves white 1971.

Mon classement est : 1 – Vin Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1911, 2 – Magnum Château Margaux 1924, 3 – Champagne Krug Vintage 1966, 4 – Chambertin Grand Cru Coron Père & Fils 1929, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1950.

L’accord le plus sublime est celui des légumes à la vinaigrette avec les deux bordeaux de 1924. Qui aurait osé un tel accord ? Ce fut un coup de génie. Le Gnocchi à la truffe blanche avec le Vin Blanc d’Arlay m’a enthousiasmé, mais on peut dire que tout fut d’un génie extraordinaire car nos papilles ont été entraînées dans un tourbillon de merveilles gustatives. Nos palais faisaient un voyage comme dans la grande roue de Londres ou de Singapour.

La brigade de service composée d’hommes et de femmes impeccablement habillés et attentifs a fait un travail parfait qui rend hommage à la gastronomie, les femmes étant belles et remarquablement maquillées. Emmanuel Cadieu a fait un service du vin idéal.

En début de repas Arnaud Donckele était venu louer le travail que nous avions fait en commun, au point de dire que ce repas a été fait par François Donckele, mêlant nos deux noms. C’est infiniment gentil mais le talent d’Arnaud est le grand responsable de ce beau repas.

Nous sommes allés dans le fumoir pour goûter de beaux cigares apportés par les uns et les autres. J’avais apporté des cubains de la période Davidoff. Le Old Taylor Kentucky Straight Bourbon Whiskey 43° m’avait tellement plu par sa couleur de mangue dans ma cave que je l’avais choisi. Il s’est montré gourmand et idéal pour que nous continuions de bavarder, encore impressionnés par ce repas parfait.

déjeuner au restaurant Pages samedi, 9 novembre 2024

Un ami de longue date me propose de déjeuner au restaurant Epicure de l’hôtel Bristol car cela fait des années que nous ne sommes pas vus puisqu’il vivait en Australie. Par ailleurs l’américaine qui est la plus fidèle de mes dîners vient d’arriver à Paris, et participera demain au déjeuner au restaurant Plénitude. Elle me demande quand nous pourrions nous voir. Je lui propose de se joindre à nous.

Jonathan demande à Epicure s’ils pratiquent un droit de bouchon. Le prix qu’ils indiquent est tellement ridiculement haut que je lui suggère d’annuler sa réservation. Nous irons donc déjeuner au restaurant Pages. Nous serons quatre, car j’ai demandé à ma femme de se joindre à notre petit groupe car l’américaine est une amie.

Jonathan a apporté un Krug Clos du Mesnil 2008. J’ai apporté un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 et un Château Chalon Bouvret 1959 que j’ouvre en arrivant. Le bouchon du 1967 est illisible et le parfum subtil est engageant. Le parfum du Château Chalon est tonitruant et conquérant. Une bombe de saveur.

Je fais le menu avec le chef Ken : carpaccio de wagyu / pagre cru / turbot / wagyu ou lièvre à la royale ou les deux / dessert.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 2008 a un parfum délicat qui est assez réservé. En bouche, je suis très agréablement surpris de sa largeur et de sa convivialité, alors que le champagne est jeune. Avec les deux entrées de viande et poisson crus, le champagne est brillant, vif et profond. Mais c’est en fait dans vingt ans que ce champagne donnera ses plus belles complexités, car ce champagne gagne en vieillissant, le millésime 1979, le premier de tous, étant le plus exceptionnel.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1967 me fait tomber en pâmoison. Et je souris. Depuis des années je participe à la présentation des vins du domaine de la Romanée Conti et l’Echézeaux est servi en premier, considéré comme le petit débutant qui doit ouvrir le spectacle. Or cet Echézeaux est absolument étonnant, d’un niveau très supérieur à ce qu’il devrait offrir. Il est délicat, raffiné, et je le considère l’égal d’une Romanée Saint-Vivant qui serait parfaite.

Ce vin m’émeut au plus haut point car ses finesses progressent en bouche sans trouver de fin. C’est un régal sans limite. Alors bien sûr, il est tentant de le boire avec le turbot cuit nature, et c’est parfait. Nous sommes deux à manger le wagyu et deux à profiter du lièvre à la royale. Ayant eu ce lièvre hier j’ai pris le wagyu. L’accord est parfait et toute l’âme de la Romanée Conti se montre en ce vin, sel, finesse, longueur terrienne infinie.

Un Comté est prévu pour le Château Chalon Bouvret 1959. Quelle déception ! Alors que le parfum est explosif, le vin est plat, réservé, sans l’énergie que l’on aimerait. Quel dommage. Bien sûr il se boit mais il manque d’âme.

Le subtil dessert de Lucas est accompagné par le Krug toujours aussi élégant.

Le classement sera facile : 1 – Echézeaux 1967, 2 – Clos du Mesnil 2008, 3 – Château Chalon 1959. De nombreux souvenirs communs ont ensoleillé ce repas où l’équipe de cuisine a fait des prouesses.

déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur mercredi, 6 novembre 2024

L’écrivain me propose de venir à des séances de signature de ses livres mais les dates ne conviennent pas. J’invite l’auteur à déjeuner au restaurant Le Sergent Recruteur. Lorsque j’arrive, je suis accueilli par Aurélien qui fait office de sommelier mais aussi de directeur de salle.

J’ouvre les vins que j’ai apportés. Tous les deux ont des bouchons magnifiques, les niveaux sont parfaits et les parfums sont distincts. Le Corton Charlemagne a un nez puissant et conquérant tandis que le Chambertin a un nez subtil et délicat. Aurélien sent aussi les vins et nous composons le menu. Il y aura une assiette de cèpes juste poêlée et le lièvre à la royale. Aurélien pensait que le vin rouge serait trop frêle pour le lièvre et j’ai pensé au contraire que le vin charmant calmerait la puissance du lièvre.

L’écrivain arrive et nous buvons le Corton-Charlemagne Pierre Marey & Fils 1982 sur les gourmandes rillettes du restaurant. La couleur du vin est d’un or clair très séduisant. En bouche on ressent son côté guerrier, puissant, conquérant. C’est un grand Corton-Charlemagne que je n’imaginais pas aussi solaire pour l’année 1982. L’accord cèpes et vin blanc est absolument parfait.

Le lièvre à la royale, façon sénateur Couteaux, est délicieux. Sa puissance est mesurée, ce qui est agréable. Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley négociant 1969 a une très couleur rouge sang. Le nez est discret mais subtil. En bouche je suis immédiatement conquis. Je me sens invité par Madame d’Epinay ou par la Marquise de Lambert, à l’un de ses salons où l’on parle de science et de poèmes. C’est le côté courtois de ce vin que j’adore, tellement raffiné et glissant sans fin dans le palais. Et le vin adoucit l’ardeur du lièvre avec un talent infini.

Je suis aux anges avec ce chambertin qui n’a pas d’âge tant il est pertinent. On dirait qu’il est de 1985, on ne ferait pas d’erreur, tant il est accompli. Alain Pégouret fait une cuisine d’une belle justesse.

Nous avons continué à boire les deux vins sur des fromages bien choisis par le restaurant.

Ce déjeuner avec des vins très différents et parfaits a été passionnant car nous avons échangé sur des sujets intéressants. Il est assez probable que nous nous retrouverons.

déjeuner chez des amis vendredi, 1 novembre 2024

Nous sommes dans le sud et nous allons déjeuner chez des amis qui habitent Eygalières, une petite ville entourée d’un paysage d’une grande beauté. Notre ami est un passionné de cuisine et a préparé des plats délicieux.

A l’apéritif nous buvons un Champagne Louis Roederer Brut Premier sans année. Il n’est pas désagréable, mais il manque de complexité.

Sur une entrée originale avec un boudin noir, Le Schistes d’Agrumes Condrieu M. Chapoutier 2020 est une magnifique surprise. Je m’attendais à un vin trop jeune pour mon goût, or ce vin est gourmand, plein, fruité, frais et très agréable à boire. Un réel plaisir.

J’ai apporté un Château de Beaucastel Châteauneuf du Pape 2001. Quelle merveille. Ce vin est totalement accompli, riche, construit, explosant de joie de vivre. Il est arrivé à un équilibre parfait, de belle maturité. Il va encore s’épanouir, mais il est déjà proche de la perfection absolue. L’accord avec la joue de bœuf est idéal.

Pour le dessert nous avons un Porto Ramos Pinto 2011 riche et percutant. Il est encore jeune, mais il atteint son but, riche de gourmandises pointues. Son équilibre est très agréable.

Par une belle journée ensoleillée, d’un été indien qui s’est invité dans l’automne, nous avons passé une agréable journée avec des amis charmants et deux vins de grand intérêt.

Déjeuner avec trois Romanée Conti mercredi, 23 octobre 2024

Il y a quelques mois, un de mes fournisseurs de vins m’a proposé une Romanée Conti 1945. Il y avait plusieurs photos montrant un niveau bas. Ce fournisseur a l’esprit d’un torero, toujours prêt à des batailles et la pugnacité d’un taureau de combat. Ce qui prêche en sa faveur, c’est que j’ai acheté une bouteille qu’il avait mis en vente aux enchères il y a quelques années, un jéroboam de Romanée Conti 1961, que personne n’avait acheté tant il était peu fringant. Je l’avais acheté et il s’est révélé brillant dans un dîner que j’ai organisé.

La question immédiate qui vient face à un tel mythe est évidente : faux ou pas faux ? La parcelle de la Romanée Conti avait gardé ses vignes préphylloxériques et en 1945, les vignes avaient 200 ans et étaient si fatiguées qu’il a été décidé de les arracher pour les remplacer par des jeunes vignes. La production de 1945 ne fut que de 600 bouteilles alors que d’habitude elle était de 4000 à 7000 bouteilles et comme il n’y a pas eu de vin de la Romanée Conti pour 1946 jusqu’en 1950, la Romanée Conti 1945 est devenu un symbole et un mythe.

Tous les amateurs de vin ont en tête le prix qu’a obtenu une Romanée Conti 1945 provenant de la cave de famille Drouhin qui vendait ce vin, prix qui est le plus élevé pour une bouteille de vin.

Les images que j’ai vues ne me semblaient pas correspondre à un vin falsifié et le niveau était bas. Mais quelque chose m’a poussé à aller plus loin. Le fournisseur voulait absolument boire le vin. Il sacrifierait la moitié de son revenu pour boire le vin. A mon sens, il ne ferait pas cela s’il n’avait pas confiance dans le vin.

Les discussions ont été difficiles, avec des joutes qui ressemblaient à des combats de coqs. Cinq ou six fois, j’ai dit : stop, terminé, ciao… et un jour nous sommes arrivés à une entente. Comme dans un poker, on calcule son risque. J’ai calculé et accepté le risque d’un vin qui serait mort ou faux.

J’ai réservé une table au restaurant Pages parce qu’ils sauront cuisiner pour les vins. Chacun de nous deux apporterait un autre vin.

Je suis arrivé à 9 h 30 au restaurant Pages. Nous devions nous rencontrer à 9 h45 mais Guillaume m’a envoyé un message me disant qu’il serait en retard, à 10 h 15.

J’ai décidé d’ouvrir la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955. J’avais pris cette bouteille pour avoir une référence pour la Romanée Conti 1945 car les deux ont des niveaux bas et pour une autre raison. Curieusement, les Romanée Conti de nouvelles vignes, de 1951 à 1955, présentent une complexité inattendue. Et cette complexité n’est pas loin de celles des vins préphylloxériques. C’est très curieux, et Aubert de Villaine pense que les racines qui n’ont pas été débarrassées du sol ont eu une influence sur les nouvelles pousses.

J’ai ouvert la Romanée Conti 1955 et l’odeur était si intensément mauvaise, boue et terre, que je n’étais pas sûr qu’elle perdrait ses vilaines senteurs en un temps court.

Guillaume est arrivé et j’ai ouvert la Romanée Conti 1945. Le liège noir et gras donnait une indication : impossible que ce vin soit faux. C’est un liège typique et laid, comme on en trouve du Domaine de La Romanée Conti durant les décennies 40, 50, 60 et 70.

L’odeur n’est pas parfaite mais j’espère que toutes les mauvaises odeurs pourront disparaître. Et les défauts sont typiquement conformes aux défauts que j’avais senti en ouvrant les vieux vins du Domaine de La Romanée Conti.

La Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1929 a été apporté par Guillaume et c’est une Vandermeulen. C’est un grand négociant en vin de Belgique qui avait le privilège de pouvoir embouteiller les vins reçus en barriques. Il a vendu de grands vins et beaucoup de faux vins. Je suis attentif en ouvrant et l’odeur ne correspond pas à ce que j’attendais. Les odeurs laiteuses ne sont pas normales. Le retour à la vie est prévisible et je n’ai pas d’opinion sur le fait qu’il s’agisse d’un faux ou non.

Après avoir ouvert les trois Romanée Conti, nous avons décidé de marcher dans Paris et de revenir au restaurant à 13 heures. Par chance le soleil est radieux.

Notre déjeuner commence à 13 heures après l’ouverture des vins de 9 h45 à 11 heures.

Le menu que j’ai suggéré au chef Ken, comme nous ne buvons que trois Romanée Conti et rien d’autre est : carpaccio de filet de bœuf / bœuf de Normandie / deux services successifs de Wagyu / lièvre à la royale / financiers.

Je pensais que l’odeur de la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1955 aurait du mal à se rétablir, mais elle s’est complètement reconstituée, redevenant absolument parfaite, marquée par le sel. En bouche c’est un pur rêve. La couleur est typique pour les vieilles Romanée Conti : terre brune, qui avec les vins du domaine n’est pas une caractéristique négative. Le goût est magique, archétypal de la Romanée Conti. Je suis si heureux. C’est une merveille. Probablement la meilleure Romanée Conti que j’ai bue de la période 1951 à 1975. Il faut noter que 70% des amateurs de vin auraient jeté ce vin à cause de l’odeur désagréable à l’ouverture.

Comme je le dis très souvent, ma méthode d’ouverture fait des miracles et ce n’est pas pour essayer de faire le fanfaron. Je suis tellement content de la typicité parfaite de ce vin. J’ai offert un verre pour que Ken et son équipe puissent s’en imprégner.

Pour la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 j’avais pensé que l’odeur imprécise avec des défauts disparaîtrait mais en fait, quelques défauts d’odeur sont restés. Je pensais : aïe aïe aïe. Mon désir allait-il être gâché ?

Mais comme les surprises arrivent toujours avec le vin, le goût n’a absolument aucun défaut. C’est curieux. La couleur du vin est lourde et le goût du vin est dense et lourd, ce qui est typique des vins préphylloxériques. Et puis la complexité, la fraîcheur et la longueur impérissable sont apparues.

Deux secondes de ma vie ont été l’éternité. J’ai mangé une bouchée de Wagyu et quand j’ai bu le 1945, toute l’histoire de l’univers était dans mon verre. Un moment de bonheur stratosphérique. Romanée Conti 1945 est faite pour Wagyu et vice versa. Ce fut le choc d’un instant. La grandeur de la viande grasse fait exploser la générosité du vin.

Puis je me suis demandé, est-ce une grande Romanée Conti ? Pour mon goût, je préfère la 1955. Mais pour la légende, ce vin est la légende. Et je me souviendrai toujours de la force du préphylloxérique, de l’incroyable longueur et de la complexité.

C’est un moment totalement précieux dans ma vie.

J’avais déjà bu la Romanée Conti Domaine de La Romanée Conti 1945 il y a 25 ans. J’avais aimé mais je n’avais pas les connaissances que j’ai aujourd’hui, qui me permettent d’avoir une meilleure perspective.

C’est maintenant le tour de la Romanée Conti 1929 Vandermeulen. Quand on l’a ouverte, l’odeur de la 1929 était désagréable. Certains aspects laiteux s’atténuent au déjeuner, mais je suis toujours agacé par ces odeurs.

La question vraie ou fausse était toujours dans mon esprit, en raison de la réputation de Vandermeulen qui avait vendu de grands vins mais aussi des contrefaçons. Mais une sensation est apparue avec le lièvre à la royale, comme l’éclair de magie pour la 1945.

La combinaison était si intense que le 1929 a révélé des marqueurs de la Romanée Conti.

Je n’ai pas été impressionné par cette 1929 parce que j’ai bu tellement de bourgognes de 1929 qui étaient meilleurs, mais j’ai eu un instant un flash non éloigné de celui que j’ai eu pour la Romanée Conti 1945.

Nous avons terminé ce voyage irréel avec de délicieux financiers crées par Lucas le pâtissier du restaurant Pages.

Si je veux résumer ce déjeuner, en termes de perfection, la 1955 est la parfaite Romanée Conti, mais en termes d’émotion, la 1945 est l’émotion de ma vie.

La Romanée Conti 1945 est une légende absolue. Nous avons eu son émotion. Cinq heures plus tard, je souriais encore.

Le lendemain j’ai téléphoné à Pierre-Alexandre, le directeur de Pages pour le féliciter. Il m’a dit : c’était tellement émouvant de vous voir si heureux. C’était une aventure unique.