Nous allons dîner au restaurant Plénitude Arnaud Donckele de l’hôtel Cheval Blanc Paris. Nous sommes six et Alexandre Larvoir, le directeur du restaurant, m’avait dit qu’Arnaud Donckele ferait un menu spécialement pour nous.
Je suis très embarrassé pour décrire ce festival inouï de saveurs. Face à un feu d’artifice, on ne peut dire que : « oh la belle bleue » ou « oh la belle rouge » et rester bouche bée. C’est pareil ici, on ne peut dire que : « oh quelle création géniale » ou bien « mais comment peut-il faire cela ? ». Car l’inventivité d’Arnaud Donckele est sans limite et le résultat est que chaque bouchée est un voyage. Les saveurs se mêlent, s’entrecroisent, se bousculent ou se flattent, en un ballet entraînant.
Sa cuisine est fondée sur les sauces et les mets sont au service des sauces et c’est brillant, incroyable. Nous nous sommes tous dit que nous vivions le repas le plus extraordinaire de nos vies.
Le menu qui noous a été remis à la fin du voyage est : partition maraîchère pour Vinaigrette « tellurique » / poule faisane, courge, châtaigne pour sauce Vierge : « douce épicarpe » / sandre, chou et truffe pour sauce à manger « lénitive » / trou normand / ris de veau, blette, chardonnay pour double sauce « champenoise » / en cuisine, lièvre à la royale / souvenir affectif, pomme, coing, vanille, pommeau pour Jus « baume du verger ».
Pour donner quelques idées sur le raffinement de ce qui s’est passé, voici la description des sauces incluses dans notre menu :
Vinaigrette « tellurique » : jus de betterave pourpre centrifugée, eau de péridium, cognac, réduction d’échalote au vinaigre de Callas, infusion de livèche, huile d’olive de Bouteillan, poivre Voatsiperifery.
Sauce vierge : « douce épicarpe » : consommé de poule faisane, lard fumé et sauvignon blanc, miel de châtaignier, moutarde de Callas, vinaigre de Xérès, infusion de romarin, huile d’olive de Bouteillan, truffe noire, courge, châtaigne rôtie, ciboulette, noix de muscade.
Sauce à manger lénitive : fumet d’arêtes rôties, riesling, chou et Roseval étuvés, suc de citron vert, beurre de truffe, huile d’olive de Bouteillan, infusion de basilic thaï et bergamote. Poivre Sancho.
Double sauce « champenoise » : fond de braisage, velouté de veau, réduction de champagne, crème crue, infusion de verveine, citronnelle et gingembre, huile d’olive et huile d’amandon de pruneau, raisin macéré au verjus. Poivre Kampot.
Jus « baume du verger » : essence de coing et de pomme, infusion de safran, jus de citron jaune, râpé de pomme fraîche.
Les sauces de notre dîner ne sont qu’une partie de la palette des nombreuses sauces qui contient notamment : le bouillon « ilargia », le bouillon « ache des montagnes », le bouillon « songe anisé », le Velours d’Eden, le sabayon « borgne », le fumet de vache « bravache », le sabayon « shahia », le jus « bois tison », le consommé « plume des brumes », le velours « d’Amarelle », ou la sauce pectinée et condimentée « esquisse d’endocarpe ».
En lisant ces titres on imagine le bouillonnement créatif du chef. Le choix des mots le dispute au choix des ingrédients.
L’inventivité est infinie et le résultat est époustouflant. On est comme dans un rêve car chaque saveur est pertinente et rebondit en donnant le même plaisir que celui que l’on ressent quand on jette des cailloux dans l’eau et que l’on réussit six ou huit ricochets.
L’accueil est chaleureux. Les hôtesses sont jolies et attentives et quand elles présentent les plats, on sent qu’elles les vivent. Elles sont attentives à la façon dont nous vivons cette expérience.
Emmanuel Cadieu, le chef sommelier de l’hôtel Cheval Blanc nous a conseillé les vins de façon très pertinente et aimable. C’est très agréable.
Le Champagne Jacques Lassaigne Les Papilles Insolites Blanc de Noirs sans année est très vif, cinglant et tranchant, de belle personnalité. Il a créé un très bel accord avec l’huître élégante et gourmande.
Ayant adoré le Champagne Dom Pérignon 2012 lors du dîner au Plaza Athénée, la tentation était grande de le commander à nouveau malgré un prix sensiblement supérieur au prix du Plaza. Le champagne est grand, de belle rondeur, mais je n’ai pas retrouvé la magie que j’avais ressentie hier. Le Dom Pérignon est idéal sur les pétoncles.
L’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2002 a une grande personnalité, riche et complexe. C’est un seigneur. Je pense toutefois qu’il est un peu moins vif que le 2010 que nous avons bu hier. Mais c’est un grand vin.
Le Bandol Domaine Tempier La Tourtine 2010 est un vin de garrigue. Il a des accents du sud fort plaisants. Avec Emmanuel nous nous sommes fait la réflexion que rien ne vaut un vin du sud lorsqu’il est bu dans le sud, car à Paris on attend un peu plus d’ampleur. Mais le vin va se montrer de haut niveau sur le lièvre à la royale, juste pour montrer que je l’ai sous-estimé.
A propos du lièvre à la royale. Il est d’usage que les personnes qui dînent soient invitées à se rendre en cuisine à une petite table à condition que le groupe ne dépasse pas quatre convives. J’ai donc proposé à Alexandre Larvoir que je reste à table avec ma femme pendant que nos quatre amis pour qui c’est le premier dîner à Plénitude profitent de cette occasion de bavarder avec le chef en cuisine. Après le service des poissons, Alexandre vient à notre table et nous dit que nous serons reçus tous les six en cuisine pour déguster un plat ajouté à notre menu.
Arnaud Donckele nous reçoit en cuisine et une charmante hôtesse nous lit le texte du sénateur Couteaux paru en 1898 dans le journal Le Temps qui décrit de façon très précise la recette du lièvre à la royale dite du Sénateur Couteaux. Ce lièvre est excellent car il y a une pointe de fraîcheur qui adoucit les lourdes saveurs de la chair. Et le Bandol brille avec lui.
Le dessert est aérien et conclut un dîner absolument parfait d’un génie culinaire. J’inscris ce dîner dans ma mémoire comme le plus brillant de tous ceux que j’ai eu la chance de vivre grâce aux chefs les plus talentueux de la planète. Une émotion incommensurable.